Fin de vie : les axes de l’action gouvernementale

par Fergus
mercredi 31 mai 2023

 

Après les déclarations de responsables de la majorité et les prises de parole inquiètes de professionnels des soins palliatifs ainsi que de partisans d’une évolution des textes existants, l’exécutif a clarifié les rôles le dimanche 21 mai : c’est désormais à Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée à la Santé, qu’il appartiendra d’exprimer la parole officielle sur le sujet de la « fin de vie » dans l’attente de la future loi...

Dessin paru dans Le Monde

Le 13 septembre 2022, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu public un avis très attendu sur la question sensible, notamment aux plans philosophique et religieux, de la fin de vie. Cette instance, en l’occurrence auto-saisie depuis 2021, a, sans surprise, pointé l’urgence de développer les structures de soins palliatifs, mais aussi acté la nécessité de faire évoluer la législation en vigueur. En conséquence, le CCNE s’est déclaré favorable à la légalisation d’une « aide active à mourir », à condition qu’elle soit « strictement encadrée ». Seuls 8 des 45 membres de cette instance – qui comporte des praticiens des soins palliatifs – ont émis des réserves sur une évolution législative de l’actuelle loi Claeys-Léonetti.

Le 2 avril 2023 s’est tenue la dernière réunion de la Convention citoyenne sur la fin de vie qui a ensuite remis son rapport final au Chef de l’État. Il en ressort qu’aux yeux des 184 participants, et au terme de nombreux débats avec des médecins et des sociologues, le cadre législatif actuel est clairement insuffisant. Dès lors, comme le CCNE, la Convention souhaite un développement des soins palliatifs accessible à tous, partout sur le territoire. Et comme les membres du Comité d’éthique, prenant acte des carences de la loi Claeys-Léonetti, elle préconise (pour 76 % de ses membres) d’instaurer une aide active à mourir dans un cadre très strict. À noter que 92 % des participants ont plébiscité la qualité du processus en approuvant le contenu du rapport final.

Dans une interview donnée peu après au quotidien Le Monde (le 8 avril), le ministre de la Santé, François Braun, s’est, quant à lui, prononcé prioritairement pour un « renforcement de l’existant » en matière de soins palliatifs, en soulignant qu’« un texte de loi allant [dans le sens de l’aide active à mourir] changerait profondément notre société et notre rapport à la mort. » Le constat du ministre ne ferme toutefois pas la porte à une évolution législative assez largement plébiscitée par les Français, mais à condition qu’une avancée sociétale dans ce domaine ne puisse s’appliquer que « dans des cas très précis (...) qui devraient être rigoureusement encadrés. »

De son côté, le député du Modem Olivier Falorni, président de la Commission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Léonetti, n’a pas caché sa satisfaction au terme des travaux de la Convention citoyenne. Le constat sur le cadre légal existant ainsi que les préconisations qui figurent dans le rapport de la Convention rejoignent en effet les conclusions auxquelles sont arrivés les députés dans leur propre rapport. Outre l’urgente nécessité de renforcer les soins palliatifs, les parlementaires soulignent que « le cadre législatif actuel n’apporte pas de réponses (...) lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. » D’où, là encore, l’évidence de faire évoluer la loi pour l’ouvrir à une aide active à mourir, sous conditions, dans des cas clairement identifiés.

Il reste que des professionnels de la médecine, engagés pour la plupart dans les processus de soins palliatifs, se montrent très réservés. Certains sont même opposés à toute évolution de la loi Claeys-Léonetti malgré son inadaptation manifeste à prendre en charge les cas des malades atteints de souffrances réfractaires, mais qui ne sont pas pour autant exposés à une mort imminente ou proche. Très logiquement, leur demande va dans un sens unique : un renforcement des moyens alloués aux soins palliatifs, tant au domicile des patients qu’au sein d’unités dédiées dont étaient encore dépourvus 21 départements en mars 2023. Une réserve possiblement dictée par un réflexe corporatiste.

Le choix d’Agnès Firmin-Le Bodo pour porter le projet de loi à venir sur la fin de vie en lieu et place de son ministre de tutelle François Braun n’est évidemment pas dû au hasard : le président de la République ne peut, une nouvelle fois, s’affranchir des travaux des participants de la Convention citoyenne comme il l’avait fait sur la question climatique. Dès lors, il n’est pas surprenant que, contrairement au ministre de la Santé, très frileux sur le sujet, Agnès Firmin-Le Bodo soit convaincue de la nécessité de faire évoluer la loi sur la fin de vie pour répondre aux attentes de nos concitoyens. Pour autant, il n’est pas question pour cette pharmacienne de formation de privilégier ses propres convictions, nous dit-elle dans le Journal du Dimanche, mais de transcrire au mieux dans le texte législatif les pistes d’action dessinées par la Convention citoyenne.

Précisément, qu’en est-il de ces pistes d’action ? Tout d’abord, faire droit au consensus portant sur les soins palliatifs. Tous les départements devraient, d’ici à la fin 2024, être dotés de structures dédiées. L’autre grand volet est évidemment l’ouverture à un droit à bénéficier d’une aide active à mourir, mais à condition pour le malade attient d’une pathologie irréversible « que son pronostic vital soit engagé à moyen terme » – quelques semaines à quelques mois – et que sa volonté ait été consciemment exprimée « à plusieurs reprises ». Seraient a priori exclus du processus, à la demande d’Emmanuel Macron, les mineurs ainsi que les patients atteints de souffrances psychiques. Il appartiendra aux rédacteurs du projet de loi de préciser si le texte se limitera au suicide assisté ou s’il permettra le recours à l’euthanasie dans des circonstances particulières. Enfin, le projet devrait entériner la possibilité pour les médecins de faire valoir une « clause de conscience ».

Dans une société vieillissante qui a très largement surmonté les blocages – notamment religieux – qui existaient naguère sur le rapport à la souffrance et à la mort, l’évolution de la loi sur la fin de vie va dans le sens de l’histoire, et ce n’est pas un hasard si, d’ores et déjà, plusieurs états ont, en Europe et en Amérique du Nord, légiféré dans ce sens sur la base de modèles sensiblement divergents. Il appartiendra à la France d’écrire dans ce domaine sa propre histoire dans les mois à venir. Il est probable désormais qu’elle le fera. Si tel n’était pas le cas, ce serait une faute politique.

Précédent article sur le sujet : Euthanasie : l’hypocrisie des adversaires d’une évolution de la loi Claeys-Léonetti.


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