Homélie pour un lapin

par C’est Nabum
jeudi 27 avril 2023

Chapeau les artistes

 

Il était une lapine éplorée qui surgit de son terrier pour nous enchanter de son immense chagrin, son défunt fils Yvan sous le bras, repose dans un petit cercueil. Le malheureux a connu la gloire au détour de la baguette d'un magicien qui le fit apparaître sur le devant de la scène. Le succès monte à la tête, même pour qui a de grandes oreilles. Le chemin est peut-être un peu plus long mais n'en demeure pas semé de fleurs et inévitablement d'épines, dans le lot. Ainsi va la vie de ceux qui brûlent leur existence sur le feu des projecteurs.

Si le décor est planté, l’onirisme n'est pas loin, il affleure à chaque instant. La première chanson viendra semer le trouble, plaçant le spectateur sur un fil ténu tandis que le réel perd pied en passant de l'autre côté du miroir. Mais pourquoi diable se faire tirer l'oreille, l'enchantement sera au bout du voyage, qu'importe si en rédiger un récit ou bien une carte détaillée n'a strictement aucun sens. Acceptez en ce compte-rendu foutraque.

Que je vienne ici tenter l'aventure de vous mettre au parfum serait à la vérité vous jouer un mauvais tour. Il m'appartient de brouiller les pistes qui sont bien plus sensitives qu’olfactives sur le fil d'un récit plus ténu que tendu, en dépit des premières apparences et de l'art de la comédienne de fourrer son nez partout. Je ne vendrai pas ici la peau du lapin, il l'a lui-même mis en péril en jouant les acrobates circassiens.

Ce n'est donc pas le clown que nous allons pleurer malgré une merveilleuse mélodie à vous tirer les larmes. Nous faisons à partir de cet instant le deuil du sens, de la logique, du cartésianisme pour suivre l'homélie et son rituel, entre textes ancrés dans les soupirs et cantiques païens. Chansons et théâtres, mélopées et pantomimes, la lapine nous prend par le cœur tout en nous menant par le bout du nez.

Les fleurs nous mettent au parfum, elles poussent à la métaphore tout en s'épanouissant parmi un public qui se laisse happer par la magie de la prestidigitatrice des improbables confrontations, des apartés et des facéties. À trop manger son chapeau, la belle ira consulter un voisin plombier lui tressant une couronne à la manière d'un Boris sur les dents.

Il est vrai qu'à manger les pissenlits par la racine, le risque est grand d'en perdre son latin ce qui ouvre la porte à d'autres langues. L'essentiel se passe de la compréhension comme les cérémonies d'antan, servies jadis avec une langue morte. La puissance de l'interprétation servie par la musique de son comparse, interdit au public de s'accrocher au réel.

C'est un bouquet imprégné, une pièce incertaine, un récit improbable, une aventure insensée, un spectacle impossible à transcrire en mots explicatifs. La magie a essaimé du chapeau à l'assistance, chacun retient son souffle, rit, s'émeut, s'interroge et se réjouit de cette folle équipée au-delà de la raison. Il n'est pas fréquent de perdre ainsi pied sans pouvoir se raccrocher à quoique ce soit. Il suffit de se laisser emporter par ce tourbillon joyeusement démentiel, dramatiquement existentiel.

La lapine s'en retournera dans son monde, nous laissant là, pantois et admiratifs, extasiés et médusés. Comment s'être laissé collectivement prendre par ce tourbillon délirant, cette folie irrationnelle, ce récit dénué de toute logique ? Il suffit parfois de lâcher prise, de cesser de vouloir comprendre pour se contenter de prendre pour vivre le plus merveilleux des voyages.

Il me fallait rendre compte d'un spectacle qui ne se raconte pas. Je vous laisse sur le bord du chemin sans brouiller une piste semée de petites fleurs qui passent de main en main. C'est un bouquet d'émotion, de sensation, de bonheur qu'il convient de découvrir sans se poser nulle question. Oubliez cette critique évanescente et courez vite les écouter.

Elle s'appelle Anna et ce duo étrange où le musicien se fait discret pour simplement souligner les divagations de sa partenaire vous comblera si vous laissez votre rationalité à la lisière du terrier. Au pays des merveilles, les lapins vous provoquent par la comptine connue de tous : « Haut les mains, peaux de lapins ».

C'est la magie du spectacle vivant de sons sortis de son chapeau, un objet émouvant non identifié, un voyage dans un monde sensible qui vous transporte et vous transforme. Merci à ces deux-là de nous avoir accordé ce bonheur ineffable.

N'hésitez pas à découvrir le duo "les Choses de la Vie " constitué d'Anna REUX du Kenzo Théâtre à la création, au chant et à la comédie et Gérard DUSSOUBS à l'accompagnement musical tandis que Amédée BRICOLO a supervisé la mise en scène.

À contre-sens.


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