Une langue bien dangereuse

par beo111
mardi 14 mai 2024

Une langue bien dangereuse. Ou pour reprendre la formule de l'Harmattan qui a édité le livre : L'espéranto, langue dangereuse. Tel est le titre de la traduction en français de La danĝera lingvo, essai historique élaboré il y a quelques décennies par l'Allemand Ulrich Lins. J'ai rencontré à Strasbourg Pierre Dieumegard, qui a coordonné la traduction de l'ouvrage en français. Et je lui ai posé la question : comment diable une langue peut-elle être dangereuse ?

Il me répond que la langue n'est pas forcément dangereuse, mais qu'elle peut être perçue comme telle par les élites de notre temps. Par exemple au micro de France Inter un linguiste a récemment affirmé que l'espéranto n'était pas capable d'exprimer des nuances. Donc évidemment cette langue ne peut être la langue d'un peuple, pour être le miroir de ses émotions. Et l'apprentissage forcé de l'espéranto à une échelle populaire pourrait rendre le peuple encore plus bête qu'il n'est déjà, en lui barrant la route à la pensée nuancée.

Pourtant, d'après Pierre Dieumegard, l'espéranto n'est pas dangereux pour le peuple. Pour la bonne et simple raison, que l'espéranto n'est pas pour le peuple, mais pour la communication entre les peuples. C'est une langue internationale. Et toujours d'après lui, lorsque l'on regarde l'Histoire, les peuples ont beaucoup moins à craindre de l'espéranto que leurs dirigeants. C'est d'ailleurs tout l'objet de l'étude historique dont il a supervisé la traduction en français.



Alors évidemment, lorsque je parle de nos dirigeants, je ne parle pas de nos dirigeants actuels, qui sont extrêmement gentils, puisque dans l'occident démocratique et le camps du bien. Non, je parle des dictateurs extrêmement méchants comme Adolf Hitler et Joseph Staline. On ne va pas s'attarder sur le premier, puisque l'espéranto a été inventé par un Juif. Or c'est un secret pour personne, Adolf Hitler n'aimait pas les Juifs, il n'avait pas d’appétence particulière à leur égard.

Donc fort logiquement il a critiqué l'espéranto comme une chimère "issue d'un cerveau juif" et il n'a pas fait de cadeau particulier à ses locuteurs. D'ailleurs il est à noter que la communauté des locuteurs de l'espéranto est la seule minorité avec les Tziganes qui a eu à souffrir des persécutions et des nazis et des communistes staliniens. Mais pourquoi diable Joseph Staline en avait-il après les espérantistes ? L'ouvrage d'Ulrich Lins ne donne pas à proprement parler de réponse définitive à cette question.

En consultant d'autres documents, notamment la correspondance de Trotsky, on se rend compte que Staline a appris l'espéranto quand il était en prison, suite à un coup d'État manqué. Mais d'après Trotsky, Staline n'avait pas les capacités intellectuelles pour apprendre une langue, même aussi facile que l'espéranto. En fait il a essayé d'apprendre. Et la stratégie politique de Staline, toujours avancer au niveau de la ligne de plus faible résistance, s’accommodait peu de quelque apprentissage que ce soit.

Cependant, Ulrich Lins a rassemblé des documents intéressants, comme le seul et unique article que Staline ait écrit dans le journal Pravda. Pradva qui signifie vérité en russe. Donc la seule et unique fois où Staline a pris la plume pour s'exprimer dans le journal phare de la pensée soviétique, ce fut pour dénigrer l'espéranto. Ou pour être plus précis, ce fut pour critiquer âprement la pensée du linguiste Marr, qui développait une théorie dans laquelle l'espéranto pouvait jouer un rôle de langue pont entre les peuples.

Alors évidemment, personne n'a osé critiquer la vision du petit père des peuples, et de toute façon s'il y en avait eu, les critiques auraient disparu, et de l'Histoire, et de son récit. Aujourd'hui cependant, on peut parler librement de l'espéranto, et de l'utilité qu'il pourrait avoir pour la communication entre les peuples. D'ailleurs une liste se présente aux élections européennes, sous l'intitulé Espéranto langue commune. C'est la liste présentée par le parti Europe Démocratie Espéranto.


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