André Figueras et le langage du pamphlet

par Sylvain Rakotoarison
lundi 8 janvier 2024

« Aujourd’hui ces hommes, écrivains, militaires, religieux, ont, pour la plupart, disparu. Raison pour laquelle la liste des parias est devenue celle des réprouvés. Pire, elle n'existe plus. Pour le plus grand nombre de nos contemporains, ils sont désormais inconnus. (…) Les maux que nous vivons aujourd’hui, les exaspérations, le délitement généralisé de notre patrie, ne sont pas le fait du hasard. » (Olivier Figueras, "Politique Magazine" n°231 de janvier 2024).

Le journaliste, essayiste, pamphlétaire, polémiste, pétainiste, antigaulliste et ancien résistant, André Figueras est né il y a 100 ans, le 8 janvier 1924 à Paris. Il est mort à l'âge de 78 ans le 15 mars 2002 également à Paris. Ce centenaire, comme le déplore son fils Olivier Figueras, (ancien) journaliste de "Présent", ne sera pas officiellement célébré parce qu'évidemment, André Figueras n'est pas vraiment un auteur politiquement correct.

Résistant dès 1941 à l'âge de 17 ans, André Figueras fut un agent de liaison dans les FTP, intégré au réseau Défense de la France. Il a édité des journaux clandestins, réalisé des faux papiers, fait des transferts d'aviateurs américains, etc. En 1944, il s'est engagé dans les commandos de parachutiste de l'armée d'Afrique. À la fin de la guerre, il a reçu à la fois la Croix de guerre et la Médaille de la Résistance, ainsi que la Médaille des libérateurs de Belfort.

Son petit-fils Jean Figueras a raconté bien plus tard, le 30 novembre 2023 dans "Monde & Vie" (auquel collabora André Figueras) : « De ses années de guerre, il parlait très peu, estimant qu’il avait fait son devoir, et répondu à l’appel de la France lorsqu’elle avait eu besoin de lui. Il résista, donc, en écrivant dans le journal de son mouvement sous la houlette de Pierre Brossolette (une des principales figures de la Résistance), et en faisant passer un certain nombre de personnes en Suisse ou en Espagne. Il emprunta lui-même cette filière après avoir été repéré par les Allemands, et, après un passage par le camp de Miranda, rejoignit l’Afrique du Nord où il intégra les commandos de parachutistes de la France libre, avec lesquels il participa à la libération de la France et à la campagne d’Allemagne. ».

À la Libération, André Figueras a fait du journalisme politique, notamment aux côtés de Maurice Clavel. Marié trois fois, le polémiste a été, pour ses premières noces, le mari, assez brièvement, d'Anne Brossolette, la fille de Pierre Brossolette (mort en 1944). Cette union ne l'a pas conduit à avoir d'éventuels passe-droits car il était trop indépendant pour cela. André Figueras a travaillé pour divers journaux, en particulier "Combat", "L'Essor", "L'Aurore", "Le Figaro", Présent", "Minute", "La Crapouillot", "Le Journal du Parlement", "Les Nouvelles Littéraires", etc. Il a tiré sa révérence peu après sa tentative impossible de se présenter à l'Académie française au fauteuil de Jacques Laurent qu'il voulait ainsi honorer.

Dans la vieille tradition des pamphlétaires, André Figueras usait de l'antiparlementarisme primaire pour fustiger toutes les erreurs, fautes et défauts de la classe politique. Malgré son engagement dans la Résistance, il défendait la mémoire de Pétain, a beaucoup parlé de la collaboration et aussi, était proche des milieux catholiques traditionalistes (il était proche de Mgr Marcel Lefebvre et son fils Raphaël est prêtre), ce qui l'a fait se rapprocher du FN et de Jean-Marie Le Pen (parrain de sa fille) à partir des années 1970. Il défendait aussi le GUD, organisation étudiante d'extrême droite très activiste. Quand De Gaulle a procédé à l'autodétermination puis à l'indépendance de l'Algérie, il fut un opposant acharné du gaullisme et de De Gaulle (qu'il avait pourtant admiré pendant la guerre), au nom de l'Algérie française.

André Figueras a laissé une œuvre très fournie, une centaine de livres, déversant souvent sa rancœur et son dégoût, dont la liste exhaustive a été publiée par la revue "Lectures Françaises" n°540 en avril 2002 à l'occasion de sa disparition. On pourra avoir un petite idée du polémiste rien qu'en lisant le titre de certains de ses ouvrages, comme : "Lyautey assassiné. La question marocaine ou comment nous avons perdu le Maroc" (1959), "Nous sommes Frey. La Vérité sur l'UNR" (1959) [Roger Frey était l'un des barons du gaullisme], "Faut-il rester en république ?" (1960), "Les Gaullistes vont en enfer" (1962, saisi), "Guide d'anti-cinquième" (1963, interdit), "Les Pieds Noirs dans le plat" (1963, saisi), "Charles le dérisoire" (1964, interdit), "Le Général mourra" (1965, saisi), "Figueras contre De Gaulle" (1965, saisi), "Mes condamnations" (1966), "Adjudant fisc" (1969), "De Gaulle l'impuissant" (1970), "J'accuse Michel Debré" (1970), "La république des gredins" (1972), "Faux résistants et vrais coquins" (1974), "La Croix de Lorraine qui tue" (1975), "Giscarnaval et Mitterrandoignon" (1976), "Marty sans laisser d'adresse" (1976), "Le camarade cardinal" (1977), "La gestapo fiscale" (1977), "Saint Nicolas du Chardonnet. Le combat de Mgr Ducaud Bourget" (1977), "Pétain c'était De Gaulle" (1979), "Avorteurs et avortons" (1980), "Pas de champagne pour les vaincus" (1981), "Ce canaille de D...reyfus" (1982), "Les derniers jours de la Patrie" (1982), "Les résistants à la Popaul" (1982), "Traité de balayge" (1985), "Philippe Pétain devant l'histoire et la patrie" (1986), "Les quatre secrets de Barbie" (1987), "L'Affaire Dreyfus revue et corrigée" (1989), "Pétain et la résistance" (1989), "Pour en finir avec le Général" (1990), "Mémoires intempestifs. Mi-Figueras, mi-raisin" (1993), "Mes opinions indépendantes sur Pétain, Salan, Le Pen et quelques autres" (1994), "Pas d'Oradour à Saint-Amand-Montrond" (1996), "La fable d'Auschwitz et d'Abraham" (1997), "Dialogues politiquement incorrects" (1998), "Le palimpseste de Vichy" (1998), etc.

Probablement que le plus intéressant est dans sa remarquable "Zoologie du Palais-Bourbon", sorti en 1956 pour sa première édition, complétée dans sa deuxième édition en 1964, où, à l'instar de Léon Daudet et Charles Maurras, André Figueras a dressé de nombreux portraits de personnalités politiques qui, évidemment, ne les grandissaient pas. Alors qu'André Figueras, bien implanté dans les milieux intellectuels et politiques d'après-guerre, aurait pu "faire carrière", fréquentant notamment Albert Camus, François Mitterrand, Maurice Druon, Pierre Poujade, Georges Bidault, etc., il fut au contraire dégoûté par la classe politique de la Quatrième République et son livre de zoologie politique l'a définitivement mis hors des clous, s'attirant la foudre de toute la classe politique, y compris de l'extrême droite.

Dans le "Petit dictionnaire des injures politiques" (sorti en 2011) dont il a dirigé la rédaction, l'historien Bruno Fuligni s'est fréquemment servi de l'ouvrage d'André Figueras pour citer les injures politiques entendues ou lues publiquement. En voici quelques-unes dont une émane d'un autre ouvrage alors indiqué (à ne savourer qu'avec modération, si on ne veut pas rendre la démocratie trop indigeste).

François Mitterrand : « Il ressemble à une gazelle qui aurait des coutumes ecclésiastiques ; on dirait qu'il y a du prélat chez ce sauteur. ».

Pierre Mendès France : « Son visage est celui d'un hibou épuisé ; son sourire a l'air d'avoir servi depuis dix mille ans, tant il est flétri, pâle, mince ; ses yeux sont ternes, flous et usés ; sa voix elle-même tombe en ruine. Quant à son corps, il est rabougri et frileux. Ses mains ont l'air de vieilles serres mises à la réforme. Bref, c'est l'oiseau de nuit vétuste et morose, au vol bas, lourd, hostile. ».

Jacques Chaban-Delmas : « Imaginez-le, ayant enfilé l'habit à losanges, la batte à la main, et faisant parade sur les tréteaux. Avec ses jolies mains, recroquevillées comme il les tient volontiers (car on est cabotin, mesdames), sa tête câline un peu à la renverse où l'œil est langoureux presque autant que celui de Luis Mariano, son sourire de fille de joie qui va passer maquerelle et qui s'essaye à la respectabilité, son regard enamorando dès qu'ils lorgne une petite, n'est-il pas ravissant, le Chaban-Delmas ? (…) Gracieux comme un ouistiti. Du ouistiti, en effet, Chaban-Delmas a les gamineries futées et coquettes, la séduction un peu niaise, les privautés oculaires. Et l'on adorerait, sur le Rocher des Singes, au zoo de Vincennes, voir gambader Chaban-Delmas librement avec une jolie queue longue lui sortant du derrière. ».

Gaston Defferre : « Defferre, partout où il traverse le domaine français, laisse derrière soi la pollution de sa bave. On rétorquera que c'est son métier d'escargot qu'il fait, et qu'il n'appartient à personne de transformer sa nature. ».

Michel Debré : « Je ne nie point qu'il s'agisse en l'espèce d'une sorte de scolopendre raté, de scorpion geignard, de coléoptère sans carapace. Je sais qu'il est catalogué déjà, et que les limaces elles-mêmes, et les vers de chiottes, préférant légitimement être dans leur peau que dans la sienne, sont intervenus auprès du Bon Dieu pour qu'Il ne le range point dans leur catégorie. » ("J'accuse Michel Debré").

Jean-Marie Le Pen : « Jean-Marie Le Pen est l'intellectuel du groupe poujadiste, le penseur des épiciers. Il est l'inventeur de la formule qui eut du succès : "Sortez les sortants !" ».


Georges Bidault : « Bidault tient en effet du cuistre et du joujou. Il y a en lui un Triboulet qui se sublime, qui se transcende et qui s'admire. Il est condescendant comme un régent de collège, et burlesque comme un toton. Supposez qu'une toupie tournante et ronflante prenne tout à coup forme humaine, pense et s'exprime, vous aurez Georges Bidault. ».

Robert Schuman : « Ce n'est sûrement à ce vieux singe que l'on apprendra à faire des grimaces, car il les fait supérieurement. Sa bouche lippue, ses joues ridées, ses yeux bigles, son nez saucissonneur, son front oblique, ses lunettes d'officier allemand, font de lui un parfait macaque blanchi sous le harnois. On l'imagine fort bien à quatre pattes, et se faisant, par le ouistiti par exemple, épouiller les fesses. (…) Dans tous les ministères où il a passé, et à la Présidence du gouvernement, il a donné l'impression d'un macaque demeuré, hydrocéphale, et qui aurait bien aimé que, pour le distraire pendant les conseils, on lui jetât une banane. ».

Édouard Herriot : « Alfred Capus, voyant ce débris s'agiter encore, dirait avec son gai et profond cynisme : "Mais qu'est-ce que fait donc la mort ?". Car ce n'est pas assez, pour le pélican décati, d'avoir multiplié les fautes pendant une interminable existence, d'avoir joué toujours sur le mauvais tableau, d'avoir gaffé comme il respirait. Il faut encore qu'il s'éternise devant la mangeoire politique, qu'il continue de clabauder, de faire des effets de thorax et de jouer, suprême dérision, au penseur et au pacificateur. (…) Cette baderne nous a suffisamment nui. ».

Antoine Pinay : « L'horizon de son intelligence se borne exactement aux frontières de l'hémicycle. Le bourricot qui tourne indéfiniment la noria ne sait même pas qu'il existe de grands paysages libres. ».

Édouard Daladier : « Flaubert a dit : "L'aigle de Meaux était une oie". On peut écrire de même que "le taureau du Vaucluse" est un veau vieux. Il n'a plus corne, ni dents, ni sabots, ni le reste. On le mènerait au pâturage avec une vieille ficelle. On ne peut rien voir de plus mou, de plus tombé, de plus laid que ce bonhomme. ».

René Pleven : « Le vampire-spectre, qui a quatre incisives à chaque mâchoire, suce le sang des hommes pour se nourrir. Incapable en effet de prospérer par lui-même, il a besoin de la mort des autres pour en tirer sa vie. ».

Joseph Laniel : « On voudrait bien, ne serait-ce que par souci de ne pas être banal, comparer Joseph Laniel à autre chose qu'un bœuf. Mais cela est d'autant plus impossible qu'il semble cultiver comme à plaisir la ressemblance. Ce n'est pas assez qu'il soit massif, pesant, de membres brefs et lourds, que sa tête engoncée dans ses épaules soit presque aussi large que son poitrail, que ses gros yeux aux bords rouges aient l'air d'attendre les mouches, et que, de son museau qui mastique à l'horizontal (c'est la seule façon qu'a Laniel de ruminer), on s'étonne de ne pas voir découler un scintillant filet de bave. Il a encore fallu que Joseph Laniel se fît coiffer en brosse, de façon que son mufle apparût à plein, carré. De sorte qu'on rêve de l'apercevoir à l'abandon dans une pâture, et se nourrissant, par grosses bouchées, de sa litière. ».

Pierre Pflimlin : « Son nom est à peu près aussi imprononçable que celui de l'échidné auquel il ressemble, et qui est, nous disent les manuels, "un animal épineux, fouisseur, dont le museau est prolongé en une sorte de bec arqué". L'œil, ajouterons-nous, n'est pas tout à fait pétillant ; les membres son raides ; l'allure générale maladroite et molle. C'est Bourvil au Palais-Bourbon. ».

Jacques Duclos : « Ce crabe des cocotiers a perdu une pince ; ce qui fait qu'il se propulse d'une manière syncopée et roulante (dans tous les sens du terme) ; et que ses grandes mandibules ne font qu'une moitié d'impression. ».

Vincent Auriol : « Prestidigitateur au faciès de fœtus hémiplégique... ».

Guy Mollet : « Il a la consistance froide, la couleur indéfinissablement blême, la pauvreté mentale, la rétractibilité politique de la méduse. Toujours entre deux eaux, poussé par les courants, remué par ce qui passe, c'est un invertébré typique. ».

Henri Queuille : « Ce cloporte béquillard, plat et blasé, était l'éternel ministre de l'Agriculture de la IIIe République. Dans le ministère, comme dans tout village, il est bon qu'il y ait un "idiot" pour faire la joie des autres, qui se croient plus malins que lui. Henri Queuille joua ce rôle dix-sept fois. La IVe République, dont on n'observera jamais trop qu'elle a été faite principalement avec les déchets de la IIIe, transforma Queuille en Président du Conseil. Il inventa alors une trente-troisième position, celle qui seyait le mieux à son tempérament, l'immobilité. Tout le temps qu'il resta au pouvoir, il s'amusa tout seul, mais il n'engendra pas le plus petit projet, la plus petite innovation. Il fut aussi stérile qu'Onan. ».

Gaston Monnerville : « Le caïman édenté du Sénat... ».

Paul Ramadier : « Cette chenue bique, un moment flanquée au rancart dans son étable crasseuse, s'est remise à crotter sur nos grands-routes. On ramasse ses incongruités à la pelle, et c'est si sec, si puant, si pauvre, qu'il n'y a même pas moyen de se servir de ce fumier pour faire pousser des éclats de rire. ».

Jean-Louis Tixier-Vignancour : « C'est en permanence le sanglier qui débouche, la défense hargneuse, le trop lourd et rude, soufflant par ses naseaux épais une sorte de feu obscur, griffant le sol dans son impatience féroce, prêt à renverser et à piétiner tout ce qu'il rencontrera, de temps en temps levant son dur mufle pour humer ce que le vent lui livre de raison, de prudence ou d'audace, et puis, repartant d'un train d'enfer, brute bénévole, magnifique et dangereuse, fauve qui n'est pas sans cousinage avec le porc, mastodonte hérissé, orgueilleux, vindicatif, à la fois horrible et épatant. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mauriac et ses vacheries.
Clemenceau et l’art de la vacherie.
Liste exhaustive des ouvrages du pamphlétaire André Figueras.
André Figueras.
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Rassemblement national : objectif 2027... ou avant !
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Le nouveau JDD et la récupération des Enzo...
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Incident raciste : 89 nuances de haine à la veille du congrès du RN ?
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