Catherine Ribeiro : un volcan s’est éteint
par Pale Rider
samedi 24 août 2024
Catherine Ribeiro est décédée à 82 ans. Une existence volcanique et quelques tentatives de suicide n’auront pas entravé la longévité de cette artiste absolument inouïe.
« Inouïe », c’est-à-dire « non-ouïe ». Personne, personne ne lui était comparable sur le plan auditif. Or, il se trouve que je l’ai ouïe, vue, et même rencontrée. Comme beaucoup de gens de ma génération, j’avais évidemment entendu parler d’elle. J’étais journaliste, elle venait chanter à 15 kilomètres de chez moi ; sans presque rien connaître d’elle, j’avais sollicité – et obtenu – une interview bouleversante. C’était en mars 1993.
Bouleversant, le tour de chant auquel j’avais assisté juste avant m’avait tétanisé, scotché à mon siège. Que ce soit avec ses propres compositions, avec Aragon (« Aimer à perdre la raison »), Ferré, Brel (« Ne me quitte pas ») ou Piaf, elle transfigurait tout et mettait dans ses interprétations une énergie prodigieuse, faite de violence mais aussi de tendresse. J’avais mis des mois à me remettre de cette soirée de feu.
Catherine féline
Catherine Ribeiro chantait avec une puissance peu commune, presque terrifiante, mais parlait très doucement, d’une belle voix grave parfaitement assortie à son épaisse chevelure noire et à son regard sombre. Dans sa loge, pendant l’entretien, nous avions abordé des sujets douloureux, comme l’addiction à l’héroïne qui avait frappé sa fille. Nous avions même parlé de Dieu, de la foi et, à ma grande surprise, sans prétendre le connaître – tout juste le pressentir – elle l’évoquait avec une sorte de sympathie, précisant même que l’expression « Dieu de granit » qu’elle venait de chanter, « c’était Léo » (Ferré) mais qu’elle n’y souscrivait pas.
Écorchée vive, l’expression n’est pas qu’une formule concernant cette artiste. Cette fille d’immigrés portugais était une boule de souffrance, de révolte, de questionnements. Elle-même se trouvait invivable, mais peut-être pas tant que ça puisqu’elle est restée mariée pendant vingt-cinq ans à l’ancien maire de Sedan jusqu’au décès de ce monsieur. Moi qui étais aux antipodes de ce qu’elle avait fait avant – chanson à texte expérimentale dans un milieu plus ou moins hippie où circulaient des substances pas très licites –, je pense l’avoir rencontrée au bon moment. L’interview aurait pu échouer, mais elle s’était muée en rencontre véritable, en sympathie profonde. Un curé qui faisait de la radio s’était même joint à nous. Nous avions l’impression de vivre un état de grâce, un peu comme si nous étions descendus avec appréhension dans la cage d’une lionne pour en ressortir sans une égratignure : la féline Catherine nous avait fait le cadeau de sa patte de velours.
Je n’en dirai pas plus, je ne raconte que ce que je sais ; pour le reste, reportez-vous aux nécrologies (celle de Rakoto ?). J’ajouterai simplement que, en apprenant que Catherine Ribeiro venait de nous quitter, j’ai été ému bien davantage que je ne l’aurais pensé. Elle a achevé son parcours terrestre en maison de retraite, cette dame qui était à la fois folle et très sensée, hypersensible aux malheurs du monde, notamment à celui des Palestiniens à qui elle va manquer.
Qu’elle repose en paix. Enfin en paix.