L’armée ukrainienne envahit une région de la Russie
par Jean Dugenêt
mercredi 14 août 2024
Poutiniens, poutinistes et poutinolâtres, prenant leurs désirs pour des réalités, annoncent régulièrement la victoire prochaine de la Russie écrasant définitivement l’armée ukrainienne. Les fanfaronnades vont bon train d’autant plus que le grignotement de terrain par l’armée russe est une réalité. Vladimir Poutine a lui-même revendiqué la conquête de 880 km2 de terrain et d’une cinquantaine de localités depuis le début de l’année. De fait, entre le 9 et le 15 mai, 257 km2 ont été conquis dans la seule région de Kharkiv, épicentre de l’offensive russe.
Après l’échec d’une contre-offensive où les ukrainiens étaient contraints, par leurs accords avec les USA, de ne pas faire trop de mal aux russes, l’armée ukrainienne est en effet crispée en position défensive. Mais les exactions massives de Poutine ont contraint les USA à lever les interdictions faites aux ukrainiens de frapper sur le territoire russe. Cependant, les militaires ukrainiens devaient économiser leurs munitions pour repousser les attaques. La comptabilité des tirs de part et d’autre du front, n’avait jamais été aussi défavorable aux Ukrainiens. Ils tiraient en moyenne douze fois moins de projectiles explosifs (obus, missiles, roquettes et bombes) que l’envahisseur russe. Dans ces conditions, il faut reconnaître qu’ils ont su se montrer efficaces pour limiter les dégâts comme ils l’ont fait.
L’échec de la contre-offensive avait ainsi acté le retour à une guerre de position qui ne semblait plus devoir finir. Les promesses de livraisons d’armes n’étaient jamais concrétisées. Pour les ukrainiens, il fallait tenir en cédant le moins possible de terrain pour attendre des jours meilleurs.
Soudainement, le « creux de la vague » semble passé. Le mardi 6 août, l’armée ukrainienne a lancé une grande offensive en territoire russe dans la région de Koursk en s’emparant de 28 localités. En seulement trois jours d'opérations actives, les Ukrainiens ont gagné plus de territoire à Koursk que les Russes en trois mois à Kharkiv… et leur avancée continue.
Je reprends le récit de cette offensive tel qu’il nous est donné dans une vidéo du RFU français. Les informations de cette chaîne Youtube sont toujours favorables aux ukrainiens mais nous n’avons nulle part ailleurs un récit de cette offensive ukrainienne. Les russes n'ayant rien vu venir, ce n'est évidemment pas de leur part que nous pouvons trouver un récit global et cohérent de cette attaque ukrainienne. RFU donne toujours ses informations deux ou trois jours après les faits. Rien de ce que cette chaine dévoile ne peut ainsi être exploité, d'un point de vue militaire, par l’un des deux camps.
Une force d’assaut initiale composée seulement de 300 combattants soutenus par 11 chars et 20 véhicules blindés s’est élancée le 6 août avec pour objectif de pénétrer rapidement au-delà de la frontière russe. Avec des unités très mobiles, ils ont repéré les positions russes, analysé le terrain et neutralisé systématiquement les défenses frontalières russes en bénéficiant d’un effet de surprise. Cette force comprenait des éléments d’élite des 88ème et 92ème brigades d’assaut aérien. Ces brigades comptent parmi les unités les plus redoutables de l’armée ukrainienne.
Le principal groupe d’assaut a rapidement éliminé les forces russes au poste frontière de Soudja ouvrant ainsi la voie vers la ville de Soudja elle-même. Un autre groupe d’assaut s’est dirigé vers le nord en prenant le contrôle de deux villages frontaliers sécurisant ainsi le flanc nord. Un troisième groupe s’est emparé de deux villages situés au sud de Soudja.
L’offensive a commencé par un bombardement ukrainien visant la garnison russe au poste frontière de Soudja. Les troupes russes, surprises par l’intensité du barrage d’artillerie, ont été contraintes de se mettre à l’abri dans les bâtiments. Les russes ont tenté de déployer deux chars T62M depuis la ville de Soudja mais ces chars ont été rapidement détruits sur la route avant d’atteindre le poste frontalier. Le commandement russe a ensuite déployé des hélicoptères d’attaques MI-28 et K-52 mais les deux hélicoptères ont été abattus. Le MI-28 a été touché et abattu par un drone FPV ce qui constitue une nouvelle tactique maintenant pleinement opérationnelle. Leur position étant intenable, plus de 40 soldats russes survivants du poste de contrôle de Soudja se sont rendus au groupe d’assaut ukrainien. On estime qu’au total, 300 russes se sont rendus dans la région de Koursk. Les forces russes étaient peu nombreuses et dispersées le long de la frontière sans aucune possibilité de recevoir des renforts à court terme. Elles ont été rapidement isolées et éliminées. Ce succès à la frontière a permis aux forces ukrainiennes d’entrer dans la ville de Soudja (parfois écrit Sudzha) en repoussant les forces russes surprises et désorganisées sur la rive droite de la rivière Soudja.
Ces actions initiales étaient destinées à ouvrir la voie aux principales forces offensives ukrainiennes qui ont pu ainsi se déplacer en territoire sécurisé pour en consolider le contrôle. Pour sécuriser leurs gains, les ukrainiens ont déployé des systèmes lourds de défense aérienne notamment des Buk-M1, et des systèmes d’artillerie tels que les obusiers M777. Ce déploiement a considérablement renforcé leur puissance de feu et la sécurité de l’offensive ce qui leur a permis de supprimer les dernières forces russes dispersées dans la région avant de lancer les principaux assauts. A partir de Soudja les ukrainiens ont déployé des formations mobiles à bord de Stryker pour avancer le long de la route 38-K-004. Ces véhicules permettent une grande mobilité associée à une forte puissance de feu. Ils ont permis de déployer des stormtroppers ukrainiens dans toute la région de Koursk. Ils ont ainsi pris le contrôle d’une douzaine de villages tels que Malaya, Lokhnya et Liubimivka (Lyubimovka). Ces formations d’élites ukrainiennes ont ensuite été envoyées à plus de 35 kilomètres derrière les lignes russes afin d’examiner les points faibles de la défense russe pour choisir la prochaine zone d’assaut.
Après cette première phase de l’offensive de Koursk les forces ukrainiennes se sont préparées à la prise complète de Soudja avec une manœuvre d’encerclement commençant par un assaut vers les villages de Martinovka et Dimitrikov.
Les ukrainiens sont maintenant en Russie depuis une semaine. Oleksandre Syrsky, le commandant de l'armée ukrainienne, revendique le contrôle d'une portion du territoire russe atteignant près de 1.000 km². La plus grosse partie de Soudja est occupée. Les ukrainiens ont ainsi le contrôle d’un centre de régulation des flux gaziers russes à destination de la Hongrie, de la Slovaquie, de l’Autriche et de la Slovénie. La zone occupée va jusqu’à une trentaine de kilomètres de la frontière, avec des opérations avancées jusqu’à une soixantaine de kilomètres. La centrale nucléaire russe de Kourtchatov, est à la portée des forces ukrainiennes ce qui évoque le souvenir de la prise de la centrale de Zaporijjia par les russes. Et l’armée ukrainienne qui a engagé des milliers de soldats dans cette offensive, n'entend pas s'arrêter là.
« L’objectif est d’étirer les positions de l’ennemi, de lui infliger des pertes maximales, de déstabiliser la situation en Russie, car ils sont incapables de protéger leurs propres frontières, et de transférer la guerre sur le territoire russe »
C’est ce qu’a précisé auprès de l’AFP, un responsable ukrainien anonyme du secteur de la sécurité d’après Le Figaro.
La nouvelle provoque une onde de choc désorganisatrice pour toute la Russie.
La tête déconfite de Poutine et des officiels réunis en urgence pour discuter de « la situation » réjouit tous les ukrainiens. Les euphémismes qu’ils emploient sont devenus un sujet de plaisanterie. « Situation » signifie : déculottée, désastre, déconvenue, fiasco… Les informations sur cette « situation » viennent essentiellement des « millblogers » (blogueurs militaires) russes. Poutine persiste à appeler sa guerre une « opération militaire spéciale » et, maintenant que cette guerre se déroule pour partie en Russie, il désigne ses mesures de défense du nom d’« opération antiterroriste ». Une fois de plus l’expression « lutte contre le terrorisme » dans la bouche de Poutine désigne les pires forfaitures. C’est au nom de la « lutte contre le terrorisme » qu’il a massacré des centaines de milliers de tchétchène et de syriens. Puisqu’il s’agit une fois de plus de lutter « contre le terrorisme », la direction des opérations a d’ailleurs été confiée au FSB dans les oblasts de Briansk, Koursk et Belgorod
Les discours de Poutine sont de plus en plus discrédités par les faits. Cela fait déjà longtemps qu’il ne promet plus de régler définitivement la situation en quelques jours avec son « opération militaire spéciale » mais il a continué, envers et contre tout, a répété qu’il avait le contrôle de la situation. Il est évident aux yeux de tous qu’il n’avait nullement prévu que cette invasion d’un territoire de la Russie pourrait se produire. Cependant, Poutine s’est gardé la possibilité de faire sauter quelques fusibles. Il est probable que le général Guérasimov ne s’en remettra pas. Il endossera les mensonges du début de l’opération militaire spéciale. Alors que l’armée russe avait l'avantage depuis des mois sur le front oriental en Ukraine cette invasion est un revers inattendu. Les habitants de la région de Koursk qui ont cru à ces discours se demandent ce que Poutine attend pour réagir, puisqu’il maitrise la situation, et ils s’interrogent : « comment se fait-il que l’inimaginable se produise ? »
Les militaires russes semblent avoir tenté une contre-attaque improvisée qui a échoué. Ils ont envoyé des Tchétchènes, qui se seraient débandés. Ils ont aussi envoyé des conscrits alors qu’officiellement, jusqu’à maintenant, ceux-ci ne participaient pas à la guerre en Ukraine. Les journalistes russes ont montré à la télé une colonne de camions transportant des conscrits… Peu de temps après, les camions étaient tous détruits et nous n’avons plus entendu parler des conscrits… Faut-il s’en étonner ? Pour sa part, l’Ukraine ne donne aucun renseignement permettant de connaître les positions de ses véhicules militaires.
Surtout soucieux d’avoir le contrôle total de l’information, Poutine a depuis manifesté le désir qu’il n’y ait aucun contact entre la population russe et l’armée ukrainienne. Les forces ukrainiennes, sont décrites dans les informations des télés russes comme des bandes de sauvages sanguinaires et nazis. Pour Poutine, il ne faut surtout pas que les habitants de cette région de la Russie prennent conscience de la réalité. Il ne peut pourtant pas déplacer la totalité de la population. Cependant, près de 180 000 habitants de l'oblast de Koursk ont reçu l'ordre d'évacuer, a indiqué Aleksey Smirnov (Acteur russe bien connu). Viatcheslav Gladkov, le gouverneur de la région voisine de Belgorod, dans le sud de la Russie, a déclaré que les habitants du district de Krasnoïaroujski étaient déplacés et relogés vers des endroits plus sûrs (source CNN). Environ 11 000 habitants de ce district seraient déjà concernés. Le régime poutinien tente de bloquer l’information et a d’ailleurs pris des mesures contre Youtube.
Le régime d’exception imposé par le FSB dans toute cette région oblige les habitants à contrôler ce qu’ils disent et à exécuter les ordres sans broncher. Ils disposent souvent ainsi de quelques minutes pour faire leurs bagages et monter dans le car qu’on leur a désigné pour aller là où ils seront débarqués.
Pendant combien de temps, Poutine pourra-t-il encore tenir ainsi sa population ?