René Chateau (1939-2024), éditeur vidéo français célèbre, n’est plus
par Vincent Delaury
lundi 19 février 2024
Un (René) Chateau de cartes, ou plutôt de vieilles cassettes VHS, s’effondre ! On perd, avec cette « mémoire du cinéma français » populaire disparue, un grand nom du septième art, un puissant homme de l’ombre de son industrie, secret et controversé, surnommé « le roi de la VHS », au patronyme connu du grand public et pourtant au visage quasiment inconnu : le distributeur de cinéma, et éditeur vidéo, entre autres ! (car il a eu comme plusieurs vies professionnelles, ayant même commencé par être carreleur – quel destin incroyable, digne d’un roman !), René Chateau - cf. les BELMONDO, lettrage en lettres capitales exprès ici pour parodier tendrement leurs affiches, des années 1970 et 1980, bien sûr, en pole position - est mort, à 84 ans : il vivait seul sur la fin, retiré chez lui, tel un Xanadu à la Orson Welles (on le comparait même, via sa vie recluse, au Masque de fer !), recevant très peu, dans sa superbe propriété sous forme de bastide, truffée de souvenirs (bouquins, photos, posters, cassettes vidéo et DVD), à Saint-Tropez, dans le Var : né le 3 juillet 1939 (ou 1940), Le Mans (Sarthe) et certainement décédé le 5 février 2024, La date exacte de son décès est encore inconnue, on la situe, à commencer par Wikipédia, autour du 5 et du 11 février 2024, sachant que c’est sa propre famille, il y a quelques jours, qui a annoncé que ce vieux lion de la VHS, bras droit de Belmondo, au sens des affaires redoutable et au génie publicitaire indéniable portant une marque reconnaissable entre mille identifiée par un logo hyperconnu de panthère noire tournant en rond sur du Richard Strauss tonitruant, « la griffe des stars » selon l’intéressé, s’est éteint « la semaine dernière », de « cause naturelle », chez lui à Saint-Trop’, après que la nouvelle a été divulguée, via Var-Matin, le jour même de la Saint-Valentin, à savoir le 14 février dernier (©photos V. D., d’après la presse écrite ou Internet, cliché principal : portrait de René Château, avec un appareil polaroid, boîte magique à souvenirs instantanés, sur le tournage du Guignolo à Venise, octobre 1979. ©Photo Daniel Simon/Gamma-Rapho).
Le Marginal René Chateau
- René Chateau chez lui à Saint-Tropez, en 2012. ©PhotoPQR/« Nice-Matin »/Philippe Arnassan
Par ailleurs, assez rapidement, toujours dans l’idée d’une détestation (partagée) à l’égard des journalistes qui le lui rendaient bien, et alors même que Chateau, après avoir été successivement carreleur (élève médiocre, il fut pour autant titulaire d’un certificat d’études), photographe puis, plus tard, journaliste tout d’abord au sein d’un fanzine auto-publié, La Méthode, avant d’intégrer l’équipe chapeautée par Jacques Lanzmann (1927-2006), parolier de Dutronc, du magazine masculin Lui en tant que, selon ses termes, « spécialiste des playmates », revue érotique qui lui permettra de rencontrer Bébel de qui il deviendra l’ami et le confident (« sa plus grande histoire sentimentale, dixit Brigitte Lahaie, a été sa longue amitié de dix-huit ans avec Belmondo », puis attaché de presse, publicitaire ainsi que propriétaire de cinémas (cf. les trois salles mythiques du fameux Hollywood Boulevard à Paname, à deux pas du musée Grévin, diffusant en masse du cinéma bis, dont des films de kung-fu et ceux de la Blaxploitation qu’affectionne tant de nos jours le « réalisateur patchwork » Tarantino, cinéma culte hélas définitivement fermé en 1992), commence tout juste à fréquenter le milieu du cinéma, en conseillant Anny Duperey, Godard, Gérard Blain ou encore l’acteur et réalisateur français José Benazeraf (1922-2012).
Celui-ci, surnommé alors carrément « L’Antonioni du porno », choisit en 1966 de lui confier les relations presse pour son polar Du suif chez les dabes, que René Chateau décide de renommer aussitôt Joë Caligula, film jugé avec trop de violence et trop de sexe qui sera interdit par la censure la même année : pratique de changement de titre dont il était coutumier, « parce qu’au niveau des titres, je suis hyperdoué ! », déclarait-il à qui voulait l’entendre, la poursuivant à foison par la suite : avec lui, Comment détruire la réputation du plus grand agent secret du monde deviendra, avec le succès que l’on sait, Le Magnifique (De Broca, 1973), L’Inspecteur de la mer, Flic ou Voyou (Lautner, 1979) puis, Monsieur Alexandre, Stavisky (Alain Resnais, 1974) - ça sonne mieux tout de même, en étant plus percutant, reconnaissons-lui ça !
Même si ce dernier, Stavisky, un bon film pourtant agrégeant deux vedettes (le classieux Belmondo et la sémillante Duperey), échouera, douloureusement pour Bébel, au box-office, insuccès notoire qui le poussera d’ailleurs à privilégier hélas par la suite, dans sa filmographie, les films d’action purement commerciaux au détriment du cinéma d’auteur. Mais la projection du film labellisé Benazeraf, Joë Caligula, est un échec cuisant, suscitant maints rires moqueurs de la part des plumitifs réunis pour l’occasion au point que le cinéaste, piqué au vif, crie à tout rompre sa colère dans la salle, entraînant ainsi la sortie de tout ce petit monde ! De son côté, René Chateau, fort courroucé aussi, a déclaré : « C’est la dernière fois que j’ai fait une projection pour la presse. »
- L’un des plus grands méchants de l’Histoire du cinéma français, un certain Minos (l’Italien Aldaberto Maria Merli), psychopathe et terroriste, dans « Peur sur ville » (1975, Henri Verneuil, score : Ennio Morricone)
Le Masque de fer à la gouaille de titi parisien, sauce Audiard
- Le trépidant Bruce Lee, star du cinéma asiatique, tenant l’affiche au Hollywood Boulevard de René Chateau, dans les années 1970, au mythique 4 boulevard Montmartre, 9ème arrondissement, Paname
René Chateau n’apparaissait plus médiatiquement, traitant ses affaires loin de ses bureaux parisiens en vivant retranché dans son antre de Saint-Tropez – au passage, on peut penser au destin étonnant du producteur américain Howard Hughes (1905-1976), vu dans Aviator (2004, Scorsese), vivant, les dernières années de son existence, totalement reclus, tel un ermite, dans un hôtel de Las Vegas ! Il y a quelques mois, pour la petite histoire, Chateau avait accepté un entretien pour un documentaire sur l’âge d’or de la vidéo à la seule condition de ne pas être filmé, le critique ciné Jean-François Rauger, dans sa nécro pour Le Monde (n°24 611, 17 fév. 2024, p. 23), finissant par ses mots clairvoyants : « Il était devenu une sorte de fantôme, cultivant de cette manière, et une dernière fois, la fascination que son parcours avait engendré. »
- René Chateau, devant son ciné à Paris, le Hollywood Boulevard, en 1980. ©Photo Marc Bulka/Gamma-Rapho
Parmi sa pléiade de bouquins aux éditions René Chateau, participant à la redécouverte du patrimoine cinématographique français au même titre que sa collection vidéo attachante La mémoire du cinéma français portée par de belles jaquettes participant pleinement à la vente des K7 VHS et DVD (« J’ai remis à la mode, notait à raison Chateau, les affiches dessinées, sinon ce n’était que des photos »), comportant tant des classiques que des raretés, on peut particulièrement retenir l'édition en 1995 de son livre bien documenté, comportant moult dialogues impayables (des Tontons Flingueurs à Mélodie en sous-sol en passant par Les Grandes Familles et Cent Mille Dollars au soleil) et textes, interviews et polémiques, sur le scénariste et réalisateur (1920-1985) Michel Audiard (« Vivant, je peux bien être modeste, déclarait-il riant, mais mort, il me paraît naturel qu’on reconnaisse mon génie ! »), Audiard par Audiard (417 pages, énorme succès : 140 000 exemplaires vendus pour la première édition), publication érudite que saluera l’écrivain Frédéric Dard, auteur des San-Antonio (gros succès de l’édition française d’après-guerre), s’adressant directement à René Chateau : « Je vous félicite de ce que vous faites pour le cinéma en général. Ce sont des gens de votre trempe qui le gardent en vie. »
Un René Chateau fort
- Chateau et Bébel, années 1980, période « Le Professionnel » (1981) et « Les Morfalous » (1984)
Puis, si l'on dit Chateau, on pense forcément à Bébel, comédien gouailleur explosif associé de facto, tel un âge d’or commercial du cinéma hexagonal, à son partenaire de choc René, le nom de Chateau, pour les cinoques de cinoche bigger than life, résonnant magiquement comme une madeleine de Proust ; les deux, sur fond de relation virile et fusionnelle, seront longtemps associés, via la fusion médiatisée Cerito Films, la société de production de Belmondo créée en 1971 en hommage au patronyme de sa grand-mère maternelle, & René Chateau. C’était la griffe Belmondo-Chateau, avec une série de films populaires sympas, bien fichus (de prenantes courses-poursuites en voiture et de la baston en veux-tu en voilà !), mâtinant action et humour décontracté agrémenté de panache, la marque de fabrique belmondienne par excellence que même les Ricains nous envient (« Belmondo, signalait Chateau, il a un sens du spectacle, il est extraordinaire »), tels que Flic ou Voyou (1979), Le Guignolo (1980), Le Professionnel (1981, pour l’anecdote, c’est Chateau qui mettra en avant le thème d'Ennio Morricone Chi Mai, composé par le maestro huit ans auparavant, l’extirpant ainsi, avec son flair infaillible – il apportera également sur un plateau le Bonnie and Clyde (1967) d’Arthur Penn à Gainsbourg qui s’en inspirera pour sa chanson éponyme culte avec Bardot ! -, d’un film polonais oublié, Maddalena, avec le succès que l’on sait, la bande originale s’écoulera à plus de 3 millions d’exemplaires ; ce morceau mythique accompagna de manière poignante, en septembre 2021, le cercueil de Bébel aux Invalides), L’As des as (1982) et autres Marginal (1983).
- Un excellent mook, truffé d’anecdotes et de clins d’œil savoureux, « Schnock » n°13. La revue des Vieux de 27 à 87 ans, novembre 2014, pour un spécial Jean-Paul Belmondo
En outre, René Chateau… fort, au firmament de son triomphe commercial, tant en salles qu’en édition vidéo, c’est Bébel certes, mais celui-ci n’est pas un arbre qui cache la forêt, qu’elle s’appelle Marie, croisée non sans humour, via un féminisme bienvenu, dans Les Morfalous, ou autres, il y a aussi, on l’a vu, Bruce Lee : à eux deux, malgré leur « B » commun, ils formaient, non pas le gang Barrow, laissons ça au fumant Gainsbarre !, mais le duo virevoltant des champions de la castagne XXL au cinoche, sans oublier les films estampillés Alain Delon, sur fond d’éternelle Parole de flic rivale (en 1985, le guépard se met aussi à jouer les costauds torse nu au teint carotte mais, chut, Ne réveillez pas un flic qui dort !), puis la mise en avant d’autres grandes vedettes baraquées du 7e art du moment, tels Clint Eastwood, Chuck Norris, Kurt Russell et autres Charles Bronson : les affiches promotionnelles et les jaquettes VHS de leurs diverses productions musculeuses, tous y redoublant d’efforts, à la fois doux, durs et dingues, pour bomber le torse, avec une imagerie pop survitaminée certes majoritairement calibrée pour un public masculin, sont redoutablement efficaces !
- Belmondo, « Le Marginal » (1983, Jacques Deray, musique : Ennio Morricone)
- Portrait de René Chateau (1939, Le Mans - 2024, Saint-Tropez), industriel puissant et redouté du 7e art, portant le logo de sa marque. Crédit Gamma-Rapho via Getty Images/©Bernard Charlon
René, menant alors la vie de château (on l’aurait dit éternellement sorti d’une soirée festive d’Eddie Barclay), éditait aussi de nombreux longs-métrages d’horreur devenus cultes avec le temps, comme Zombie (1978) de George Romero, Maniac (1980) de William Lustig ou encore Massacre à la tronçonneuse (1974), au titre programmatique accrocheur, de Tobe Hooper, fleuron bricolé du cinéma d’horreur longtemps interdit en France en salles puis à la télé ; Chateau, stratège averti au nez creux, le sortira directement, pour contourner la loi, en K7 vidéo : trouvaille marketing de génie, portant sur la jaquette l’attirante mention « Les films que vous ne verrez jamais à la télévision » - ce qui est bien vu, on connaît la chanson, l’interdit, pour un obscur objet, crée le désir ! Son succès, ainsi que l’effet spécial Bruce Lee, feront sa fortune : en fait, c’est grâce à la vente des droits télévisés des Bruce Lee à La Cinq de Berlusconi que René Chateau pourra s’offrir, en châtelain devenu tout-puissant, tant son hôtel particulier parisien que sa séduisante demeure tropézienne : « Ici, c’est la maison de Bruce Lee », aime-t-il dire à l’envi aux quelques visiteurs venant le rencontrer, in situ, dans ce petit port méditerranéen tellement prisé par la jet-set l'été. Et c’est dans cet endroit secret que ce nabab a fini sa vie rocambolesque, à l’ombre des sunlights, pas si éloigné géographiquement, au fond, de la Bardot…
Pour rappel, un mot, très juste, de sa société d'édition de longs-métrages, en apprenant le décès du taulier, roi hexagonal de l’édition vidéo, prospective et rétrospective, en dénichant nombre d’inédits et de perles rares, a fonctionné sur moi avec la force de l’évidence : « La culture cinématographique d'aujourd'hui était le cinéma de divertissement d'hier. » Eh oui, cinéphilie et goût du spectacle ne sont pas forcément antinomiques, ils forment un tout qu'on appelle la mémoire du cinéma et René Chateau, à sa manière, en était l'un de ses plus fervents représentants. Respect, donc.