Les « Furies » de NETFLIX

par annaba philippe
samedi 9 mars 2024

Il faut croire que l’on n’enseigne plus les mythologie grecque et romaine au collège ou au lycée. Je ne suis pas abonné à Netflix, et n’ai donc pas vu le premier épisode des « Furies ». Mais les commentaires de la presse et de la télévision, pas très flatteurs d’ailleurs, révèlent, sans mettre le doigt dessus, l’ignorance et le contre-sens d’une telle saga, qui se targue d’être l’actualisation du mythe des « Furies ».

Dans la mythologie romaine, les « Furies » correspondent au « Érinyes » grecques. Outrée que Kronos tue Ouranos en le castrant et jetant ses attributs dans la mer, la Terre-Mère transforma trois gouttes de sang tombées sur terre, en vengeresses des parricides et des parjures : Alecto, Mégère et Tisiphone. 

Elles représentent la Triple déesse elle-même. A l’origine, leur fonction était de venger les offenses à une mère, aux vieillards et celles des enfants à l’égard des parents. C’était la justice rendue au sein des sociétés matrilinéaires, où les femmes étaient respectées en tant que « donneuses de vie ». 

Ce sont de vieilles femmes à tête de souris et dont les cheveux sont des serpents. Elles sont armées de fouets comportant des crochets de cuivre. Elles sont parfois confondues avec les Harpyes ou les Gorgones, autres défenseuses de la grande Mère.

Elles vivent dans l’Érèbe et sont donc plus âgées que les dieux de l’Olympe, qui marquent l’avènement du patriarcat. Ainsi elles pourchassèrent Oreste pour avoir vengé son père Agamemnon tué par sa mère Clytemnestre et son amant Égisthe, en tuant ces derniers. 
Mais Oreste fut défendu par Athéna qui apaisa certaines Érinyes par quelques subterfuges, et furent alors appelées les « Bienveillantes ». Athéna, née non d’une femme, mais du cerveau de Zeus, avait en effet la tâche de remplacer la justice des « Furies » par celle d’un tribunal masculin. 

« Après un conflit entre Poséidon et Athéna, celle-ci put fonder Athènes, mais à condition que les femmes de la ville soient privées de leur droit de vote et il fut interdit aux hommes de porter le nom de leur mère comme c’était le cas jusqu’alors » (Robert Graves, Les mythes grecs).

En fait la mythologie grecque, bien que très complexe à comprendre, parce qu’issue de nombreux auteurs de diverses régions, révèle un renversement des valeurs entre deux types de sociétés totalement contradictoires, les sociétés matrilinéaires, gérées en grande partie par les « mères » et la société patriarcale prenant le dessus avec violence (Guerre de Troie, Héraclès et les Amazones, etc.).

Les sociétés matrilinéaires étaient des sociétés de réciprocité ; elles ne permettaient pas l’acquisition d’un pouvoir politique ou l’avènement d’une classe dirigeante. Elles vivaient en communautés avec des rituels de redistribution qui n’excluent personne. La coopération était le moteur de ces sociétés et non la concurrence comme dans le système qui l’a remplacé. L’existence humaine n’y était pas séparée des cycles de la nature et il n’y avait donc pas comme dans les sociétés patriarcales de dualisme entre Nature et Culture. Il ne peut donc pas y avoir de conflit, de lutte, entre la Nature et la Culture, donc d’exploitation ou de destruction de la Nature. 

« L’emploi du mot "homme" pour désigner l’humanité dans son ensemble trahit l’influence de traditions patriarcales, mais dans la Crète antique la mère avait un rôle considérable. Loin de vivre recluse comme dans la plupart des pays d’Orient, elle ignore le harem et le purdah [obligation faite aux femmes de couvrir leur corps et de cacher leurs formes] et il ne semble pas qu’elle ait été confinée dans une partie déterminée de la maison […] Elle circule au milieu de la société crétoise comme une grande dame très adulée. Will Durant, La vie de la Grèce.

« Les fidèles de la Mère divine défendirent longtemps l’ordre ancien et ses valeurs de respect à l’égard de l’ensemble de la création, valeurs d’équilibre qui disparurent du monde guerrier patriarcal, finalement vainqueur » (Françoise Gange, Les Dieux menteurs).

Les « Furies » de NETFLIX ne sont pas les "gardiennes de la paix" de la mythologie grecque, mais les "Athena" des organisations criminelles qui règnent dans les "civilisations" patriarcales, qui n’ont cessé de créer du malheur depuis 6 à 8000 ans. Les "références" à la mythologie grecque sont renversées pour ne décrire que l’incohérence d’un monde moderne où les femmes, au lieu de lutter contre la violence ambiante et toujours plus omniprésente, y participent totalement. Ce n’est pas très rassurant. 


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