Roanne comme si vous y étiez

par C’est Nabum
vendredi 6 octobre 2017

D’un Liger club à l’autre

Le Liger Club est une association qui regroupe des amoureux de la Loire et de la vie. Il y a ainsi une quinzaine de structures, essentiellement réparties sur le cours de notre rivière : Sainte Eulalie – Bourbon Lancy – Roanne – Sancerre – Orléans – Blois – Tours – Saumur – Nantes, sur les affluents : Chinon – Vichy mais également à Paris et La Baule. Le but est de promouvoir des actions culturelles autour de la Dame Liger tout en entretenant des relations amicales entre les membres.

Le Liger Club de l’Orléanais rend visite à son homologue de Roanne. La Loire du milieu s’en va à la découverte d’une rivière plus sauvage, au passé marqué par l’aventure de Saint Rambert et au présent influencé par le barrage de Villerest. C’est donc vers une toute autre culture que nous nous rendons, loin des chalands remontant au vent et des vapeurs roulant leurs aubes sur les flots.

Ce sont donc vingt-cinq galvaudeux qui se rendent avec trois mini-bus à contre-courant pour un périple de trois jours au programme aussi copieux qu’agréable. Des pilotes, triés sur le volet, ont été désignés pour renoncer aux plaisirs des découvertes œnologiques. Notre capitaine porte casquette marine réglementaire, de quoi pouvoir sans doute éviter le naufrage.

L’autre mini-bus ne dispose pas d’un pilote aussi sûr. Il se perd en chemin. Nous devons faire halte à Nevers pour reconstituer le groupe. La question de l’heure, essentielle entre toutes, réside dans la composition du menu à notre arrivée, bourguignon ou bien poulet. Le ligérien ne perd jamais le nord et encore moins l’appétit. Hélas, les vins ne sont pas compris, je vais avoir besoin d’un traducteur... D’autres sont égarés sur une autre route, l’essentiel étant de tous se retrouver à la sainte table !

La table fut bruyante comme il se doit quand vingt-six personnes se retrouvent avec l’apport conséquent en décibels du président du Liger club de Roanne. Le patron de l’endroit en avait vu d’autres, lui qui jadis officiait à Saint Claude, patrie des pipes. Je m’occupais personnellement du choix des vins, héritant ainsi du titre de sommelier pour le reste du parcours. Je prenais ce rôle avec ferveur, donnant autant de ma personne que du gosier.

Pour digérer quoi de mieux qu’une visite cultuelle. Le Musée de Saint Priest la Roche nous ouvrit exceptionnellement ses bras avec Odile et Chantal, deux filles du pays. La Loire d’avant le barrage de Villerest était évoquée avec ses terres noyées, les pans entiers d’une histoire locale avalés par les flots impétueux. Un autre barrage fait ici débat, celui de Grand-Jean qui déverse insidieusement ses boues et ses métaux lourds dans l’indifférence générale quand la vanne profonde libère en val ses poisons assassins. Nous devinons ici exaspération et impuissance face aux pratiques d’EDF, maître absolu d’une vérité qu’il convient toujours de cacher.

Le château de la Roche nous attendait avec de l’eau basse à en pleurer, laissant un spectacle de désolation et de désespoir. Pas surprenant qu’il n’y ait pas eu de lâcher pour le Festival de Loire. Il manque d’eau dans ce pays après les excès de l’an passé. La planète file un mauvais coton, nous en prenons soudainement conscience.

Plus loin, nous ne pouvions que buter sur le barrage, petit monstre de béton qui laisse passer un mince filet d’eau, une Loire miséreuse qui fait peine à voir. Notre guide justement évoque le mépris des gens d’ici pour le passé, le patrimoine marinier comme si plus rien n’avait d’importance. Élus et décideurs locaux tiennent les quais et les traces d’une glorieuse histoire pour quantité négligeable. C’est une triste réalité qui décourage les responsables du Liger club qui ne parviennent pas à transmettre cette nécessité de sauvegarde de ce qui fut jusqu’à l’avènement du chemin de fer.

Au pied du barrage sur la rive qu’on disait autrefois Empire et que vous qualifierez de droite, nous attend l’église forteresse de Vernay, haut lieu de dévotion des mariniers. Ceux qui échappaient au redoutable saut du Perron venaient remercier Notre Dame d’un cierge tandis les malheureux qui avaient terminé le voyage dans les flots, trouvaient place dans le cimetière, au pied de l’église. Une vierge noire atteste de l’encrage du culte dans celui des gens qui voyagent et des ex-voto attestent de la foi des mariniers d’eau.

C’est enfin le temps venu de se poser dans notre refuge, la ferme aux biches, un lieu champêtre, rustique et fort agréable. Un feu de cheminée nous régale de ses clartés tandis que nous dînons d’un repas copieux. Les conversations bruissent et le temps s’écoule, repoussant à fort tard dans la soirée la conférence de notre hôte roannais. Quelques soucis d’ordinateur viennent confirmer le rituel du conférencier en goguette en but avec les difficultés techniques. Je meuble l’attente d’un conte au débotté pour permettre aux mystères informatiques de se régler.

René Fessy nous présente alors la problématique ligérienne de Roanne, cité qui fut un temps, le premier port sur la Loire, assurant la relation entre la Méditerranée, l’ouest et la région parisienne. Les produits du Sud arrivaient en charroi après une escale lyonnaise puis reprenaient les flots : huile d’olive, savon, coton d’Inde étaient au programme.

 

L'essor économique du Royaume provoqua alors sous Louis XV la grande épopée du transport du charbon de terre. Les bassins miniers de la région de Saint Étienne trouvèrent à Saint Rambert, le débouché naturel vers l’exportation de leur minerai. Ce fut soudainement un boum incroyable avec la fabrication de six milles salambardes par an pour embarquer le charbon et affronter une rivière qui se faisait torrent furieux.

Il convient de revenir sur ce trajet de Saint Rambert à Roanne, réalisé par des experts, des hommes repoussant la mort en affrontant des passages terriblement dangereux. Le saut du Perron étant ainsi le passage le plus redoutable, avec un enrochement important exigeant un saut de près de Trois mètres de hauteur. La mort était le prix de l’erreur, de la malchance ou de l’inattention. Les bateaux subissaient eux aussi les avanies de cette cascade périlleuse et il fallait faire de trois embarcations deux qui allaient descendre plus paisiblement la Loire à partir de Roanne avec un équipage de huit mariniers tandis que les deux trompe-la-mort retournaient à leur point de départ pour une nouvelle épopée.

Le port de Roanne, à l’instar de celui d’Orléans grouillait alors de bateaux qui partaient pour un trajet plus tranquille. Nous pouvions compter jusqu’à une centaine de départs quand la rivière était à flot. Puis le chemin de fer vint mettre un arrêt définitif à cette folie qui dura près de deux cent cinquante ans. Le canal suppléa un temps cette formidable aventure puis progressivement la ville se détourna de la Loire en dépit de son passé et des aménagements qui se firent pour détourner le cours de la rivière et dresser un pont de pierre.

Nous sentions dans les propos du président du Liger Club une certaine amertume à ne point parvenir à toucher ses concitoyens et les élus. Le patrimoine existe pourtant, il se promet de nous le faire visiter le lendemain mais cette richesse inestimable semble ne concerner personne dans ce pays sans mémoire. Nous verrons si cette impression est justifiée et s’il n’y a pas moyen de déciller les yeux des roannais.

Sapinement sien.


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