Le 8 mai ou le 9 mai ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 8 mai 2025

« La première victoire qui soit commune, c’est la victoire de l’Europe sur elle-même. (…) L’Europe, nous la faisons, nous aimons nos patries. Restons fidèles à nous-mêmes. Relions le passé et le futur et nous pourrons passer, l’esprit en paix, le témoin à ceux qui vont nous suivre. » (François Mitterrand, le 8 mai 1995 à Berlin).

Ce jeudi 8 mai 2025, des milliers de communes, grandes mais aussi petites, des villages, des hameaux, vont organiser des rassemblements pour commémorer la victoire du 8 mai 1945. Se recueillir devant nos morts pour la France. Cette année est un peu particulière puisque c'est le 80e anniversaire de la Victoire, et c'est aussi l'une des dernières années où l'on pourra encore écouter des témoins directs de la Seconde Guerre mondiale, des anciens combattants, des anciens résistants, des anciens déportés, des survivants de ce passé si trouble, aux destinées très différentes selon la vie de chacun.

C'est François Mitterrand qui a rétabli le jour férié au 8 mai. Auparavant, on avait estimé que le 11 novembre pouvait rassembler les deux fins de guerre, 1918 et 1945, afin de réduire les journées chômées. Mais les deux guerres étaient très différentes et ce n'est pas inutile que chaque année, les citoyens se penchent de façon distincte sur ces deux guerres.

Cette année, le 8 mai, comme le 1er mai, tombe un jeudi, ce qui pourrait faire deux ponts prolongés avec seulement deux jours de congé (huit jours au total, deux fois jeudi à dimanche). Après tout, c'est mieux en mai ensoleillé qu'en novembre embrumé. Mais l'idée n'était pas de faire un pont ni de se prélasser au soleil. L'idée était de commémorer ces fins de guerre.

Une polémique s'est instaurée à l'aide des désinformateurs professionnels soumis à Vladimir Poutine, selon laquelle il faudrait choisir entre le 8 mai et le 9 mai. Factuellement, c'est la capitulation allemande a eu lieu le 8 mai 1945 à 23 heures 01, et la reddition de l'armée du Reich fut signée le 7 mai 1945 à Reims. Mais Staline, en apprenant cela, a été rage de colère car il voulait une signature à Berlin que l'Armée rouge avait conquis. Une nouvelle signature a donc eu lieu à Berlin le 8 mai 1945 à 23 heures 16, heure de Berlin, un peu en différé puisque l'arrêt des combats avait eu lieu le 8 mai 1945 à 23 heures 01, heure de Berlin. Or, à cette heure-là, il était 1 heure 01 du matin du 9 mai 1945 à Moscou, d'où la date du 9 mai retenue par la Russie. Toutefois, Staline n'en a pas fait une journée nationale particulièrement festive, car la date rappelait trop les lourdes pertes humaines soviétiques dans cette guerre.
 

Cette année, Vladimir Poutine a voulu en faire un enjeu d'influence internationale, notamment en invitant Lula, Xi Jinping, Sissi, et quelques autres. Il voudrait jouer à celui qui urine le plus loin, dans une sorte de surenchère de roi Ubu. Volodymyr Zelensky a prévenu qu'il ne garantissait pas la sécurité de Moscou pendant le 9 mai parce qu'il craignait une manipulation de Vladimir Poutine (en d'autres termes, un faux attentat à Moscou). Depuis plus de trois ans, l'Ukraine est agressée par la Russie de Vladimir Poutine et donc, par la faute de ce dernier, les deux pays sont en guerre.

La fête organisée par Vladimir Poutine est un non sens historique. On devrait commémorer la fin de la guerre pour promouvoir la paix dans le monde. Mais dans ce cas-là, le Président de la Fédération de Russie voudrait montrer sa force militaire pour impressionner ses supposés ennemis dans un but guerrier et pas pacifique.

Toutefois, je n'ai jamais été contre l'idée de faire une commémoration le 9 mai. Pour moi, c'est même une date plus importante que le 8 mai. Le 8 mai, c'est la sortie d'un enfer. Je conçois le 9 mai comme plutôt l'entrée dans un paradis. Paradis est un bien trop grand mot et il est un horizon inatteignable ; pour y aller, il y a d'abord un labyrinthe qui, parfois, nous faire revenir au point de départ, mais le chemin est là, le port est là, celui de la paix.

Car le 9 mai, c'est avant tout le 9 mai 1950, les soixante-quinze ans maintenant de la célèbre déclaration de Robert Schuman qui a mis en place toutes les conditions pour la fondation de l'Europe dans le but, pas unique mais principal, d'être en paix. Et il faut dire qu'il a eu raison : les pays de l'Europe organisée, comme je l'appellerais, qui sont maintenant vingt-sept, six au départ (France, Allemagne, Italie et Bénélux), on peut rajouter le Royaume-Uni au fil des années, ont vécu en paix entre eux depuis quatre-vingt ans, et cela est inédit dans l'histoire des deux millénaires de notre vieux continent !

En 2025, la situation est complètement différente de 1950 : aujourd'hui, on semble retourner dans une période d'avant-guerre, dans les années 1930, avec Vladimir Poutine dans le rôle de Hitler, Xi Jinping dans celui de Mussolini, Donald Trump dans celui de Chamberlain (lors des Accords de Munich). L'Ukraine devenant la nouvelle Tchécoslovaquie (le Donbass et la Crimée dans le rôle des Sudètes). En France, on n'est pas loin de 1936, les manifestations contre la réforme des retraites en 2023 faisant penser aux revendications du Front populaire. Ces Français qui ont manifesté sont, en grand partie, complètement déconnectés de la situation internationale actuelle très tendue (en Ukraine, à Gaza, en Syrie, au Cachemire, entre autres).
 

Dans sa déclaration, Robert Schuman a énoncé le principe porteur d'une union de nations démocratiques et libres dans un cadre novateur institutionnellement très novateur et original : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. ». Et le meilleur concret, à l'époque, c'était l'énergie et l'industrie, c'est-à-dire, le charbon et l'acier : « La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. ». Ces prémices d'Europe allaient devenir la CECA, puis la CEE, enfin l'Union Européenne.



Ce premier coup de génie était en fait inspiré de la réflexion de Jean Monnet. Le second coup de génie, c'était que l'union de l'Europe passait nécessairement par l'union entre la France et l'Allemagne : « Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne. ».
 

Justement, ce mercredi 7 mai 2025, Friedrich Merz, qui a été élu, la veille, Chancelier de l'Allemagne fédérale (seulement au second tour), a été reçu par le Président de la République française Emmanuel Macron à l'Élysée pour une première prise de contact officielle. Les deux hommes ont confirmé leur attention de relancer l'Europe par le renforcement politique du couple franco-allemand : « Nous voulons rendre notre partenariat plus stratégique, plus opérationnel, afin d’obtenir des résultats concrets pour nos concitoyens et pour l’Union. Nous exploiterons au maximum la coordination et le réflexe franco-allemands pour rendre l’Europe plus souveraine, en mettant l’accent sur la sécurité, la compétitivité et la convergence. La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a fait voler en éclats l’illusion selon laquelle la paix et la sécurité étaient garanties en Europe. Nous avons d’ores et déjà commencé à assumer une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité, et nous allons en faire encore davantage. (…) Nous avons besoin de réformes pour garantir la stabilité de l’Europe. Au niveau interne, pour promouvoir la démocratie, l’état de droit et la capacité d’action de l’Union Européenne. Au niveau externe, pour nous préparer à l’élargissement et pour relever les défis géopolitiques, en nous appuyant également sur la Communauté Politique Européenne. 75 ans après la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, nous sommes fiers de ce que les Européens ont accompli. Nous servirons, chaque jour, l’objectif de ces "réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait", et nous le ferons ensemble, la France et l’Allemagne, pour une Union Européenne plus souveraine et promouvant ses intérêts. ».

Cette relance de la relation franco-allemand est donc une excellente nouvelle pour la défense de nos valeurs, notre sécurité et la paix en Europe. Cela annonce un véritable renouveau européen. À nous d'y prendre part.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le 8 mai ou le 9 mai ?
La Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.
Philippe De Gaulle.
Auschwitz : soyons la mémoire de leur mémoire !
Auschwitz aujourd'hui.
La Nuit de la Shoah.
Mauschwitz.
Esther Senot.
Pogrom à Amsterdam : toujours la même musique...
Laura Blajman-Kadar.
Le rappel très ferme d'Emmanuel Macron contre l'antisémitisme.
Les 80 ans du Débarquement en Normandie.
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Elie Wiesel.
Robert Merle.
Le calvaire de Simone Veil.
Anne Frank.
Le nazisme.
Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon : pluie et émotion !
Hommage du Président Emmanuel Macron à Missak Manouchian au Panthéon le 21 février 2024 (texte intégral et vidéo).
Les Manouchian mercredi au Panthéon.
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Michel Cherrier.
Léon Gautier.
Claude Bloch, passeur de mémoire.

 

 


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