Réforme Attal : vers la destruction du collège unique

par Alain Marshal
lundi 25 mars 2024

Ce courrier a été adressé cet été par un syndicat enseignant à un Rectorat de province pour dénoncer des mesures de tri social dans un collège. La mise en place précoce de réformes dans la droite ligne de celles qui sont prévues pour la rentrée 2024 y a suscité de vives tensions parmi l'équipe enseignante et a causé un préjudice réel aux élèves les plus fragiles. Ces dérives clientélistes ne peuvent que se généraliser si la casse méthodique du service public d’éducation se poursuit.

[Note : toutes les informations sont anonymisées]

Monsieur le Recteur,

Par la présente, je souhaite attirer votre attention sur la situation du collège ***. Le manque de moyens génère un climat de tension et pousse à la mise en place de mesures que nous considérons contraires aux principes fondateurs du service public d’éducation.

Nous nous permettons donc de vous écrire en sus du courrier intersyndical qui vous a été adressé pour demander l’ouverture de deux divisions au collège ***. Nous souhaitons attirer votre attention sur quelques éléments complémentaires susceptibles d’appuyer cette demande. Il ne nous a pas paru opportun de les mentionner dans le courrier intersyndical, non pas parce qu’ils seraient secondaires (ils nous paraissent essentiels), mais parce que ledit courrier avait vocation à circuler et à être publié, et qu’il nous semble préférable que ces points restent, pour l’instant, confidentiels.

La dotation insuffisante du collège *** et la concurrence du collège privé adjacent *** en particulier ont amené son nouveau principal à procéder à la non-inscription au DNB de 19 élèves en difficulté, afin d’augmenter artificiellement les résultats de l’établissement, dans une mesure caractérisée par l’équipe enseignante comme une « éviction d’autorité » qui sape la confiance en soi et l’envie de travailler des élèves, et entraîne une véritable perte de chance. Le taux de réussite du collège à l’examen du brevet a littéralement explosé, passant de ≈80 % à +95 % et faisant l’objet d’une communication en fanfare du chef d’établissement. Cette mesure de tri social a fait l’objet d’une vive protestation de l’équipe enseignante, via un courrier à destination de Monsieur le Principal, qui stipulait notamment :

« Cette année, et pour la première fois dans notre établissement, 19 élèves en difficulté n’ont pas été inscrits au brevet des collèges. A la place, et dans le cadre d’entretiens exclusifs, ils se sont vus inciter à accepter l’inscription au CFG [Certificat de formation générale] et à renoncer à s’inscrire au DNB [Diplôme national du brevet], alors même que l’inscription aux deux examens est possible et pourrait justement être valorisante en cas d’échec au DNB (qu’on ne peut et qu’on ne doit jamais présumer avec certitude). Une telle démarche va à l’encontre de leurs intérêts fondamentaux et de notre vocation d’enseignant, et ne doit jamais se reproduire. »

Un entretien des élus au CA [Conseil d’administration] avec le chef d’établissement a fait suite à cette démarche, et nous vous en adressons le compte rendu intégral qui a été envoyé à l'équipe enseignante. Nous attirons notamment votre attention sur ces éléments de justification de la mesure d’éviction par Monsieur le Principal et la réponse des élus enseignants au CA :

« M. le Principal

Élus enseignants au CA

Le courrier de protestation demandait une réponse formelle, c’est-à-dire écrite, contenant un engagement à ce que ces pratiques contraires à la déontologie ne se reproduisent pas. Cette demande n’ayant pas été suivie d’effet, M. L., Professeur de Lettres modernes, élu au Bureau de notre syndicat et nous représentant dans l’établissement, a proposé, avec l’appui de nos caisses de grève, une grève de la correction des copies du brevet. Soit dit en passant, il avait déjà effectué une action similaire en protestation contre des mesures d’obstruction au droit de grève, ce qui lui avait valu de vives admonestations de sa hiérarchie doublées de pressions dénuées de tout fondement légal.

Une autre mesure qui a été envisagée et soutenue par la direction, et a fait l’objet d’une réunion spécifique de l’équipe enseignante le 22 juin, était de réunir dans une même division de 3e les élèves les plus difficiles / en difficulté, en violation de la réforme Haby du collège unique en 1975, qui impose l’hétérogénéité des classes (voire un compte rendu informel de cette réunion en annexe, aucun compte rendu « officiel » n’en ayant été réalisé, contrairement aux usages). Cette pratique de création de divisions de niveau, sans mixité, nous a déjà été signalée par des personnels du collège *** de la ville de ***, où exerçait M. le Principal avant sa nomination dans cet établissement. L’opposition résolue de notre représentant à ce projet de « classe de mauvais élèves » a vraisemblablement été décisive, cette idée ayant finalement été abandonnée au profit d’un dispositif de tutorat pour les élèves les plus fragiles, avec jusqu’à quatre périodes de stage au lieu d’une, au risque d’un « collège à la carte ». Cet épisode a fait l’objet de tensions entre les enseignants favorables et opposés à ce projet, qui ont abouti à la dégradation du casier de notre représentant dans la salle des Professeurs, inaccessible aux élèves (arrachage de ses autocollants syndicaux). Aucune mesure n’a été prise par la direction face à ce geste lamentable et indigne, pas même une simple condamnation. Notre demande de rendez-vous d’urgence avec le Principal pour garantir la sérénité et la liberté syndicale de M. L. a été ajournée à une date où elle n’aurait plus été d’aucune utilité. Pour notre représentant au collège ***, l’année s’est terminée en un accident de service qui est en cours d’instruction par le service médical du Rectorat.

Enfin, si le collège *** a perdu une division en 5e, le principal a longtemps exprimé la crainte de la perte de deux divisions (une en 5e et une en 3e), et n’a dissipé cette crainte que le 21 juin, ce qui paraît très tardif, contredit la DHG de début 2023 et a laissé aux personnels le sentiment d’une information déloyale de la part de leur direction visant à neutraliser toute protestation voire tout effort de mobilisation.

Nous prenons votre attache afin que de telles pratiques de tri social n’aient pas droit de cité dans l’académie de ***. Et ces dérives déplorables n’étant que les conséquences de la dotation insuffisante du collège ***, nous espérons que vous pourrez considérer favorablement la demande d’ouverture de deux divisions supplémentaires dans cet établissement.

Nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez à ce courrier.

Veuillez croire, Monsieur le Recteur, en notre profond attachement au service public d’éducation.


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