Langue de papier …

par C’est Nabum
vendredi 24 mars 2023

 

Papoter

 

Qui papote sans tourner sa langue sept fois dans sa bouche, ignore sans doute que ce babillage incessant, ce bavardage sublime a eu à son origine du plomb dans l'aile. Comment imaginer alors que la lecture file un mauvais coton, que les palabres qui désormais trouvent refuge dans le clavardage de la toile, a pour origine le mot papier.

Le papelard donna ce papotage qui troqua l'écrit pour une volatilité des mots dans une conversation incessante, un jabotage peu sage fruit d'une jactance volubile. Ne vous froissez pas, il y a grand mérite à s'obstiner à vouloir converser de vive voix dans un univers où le monologue avec son écran est devenu la norme.

Parler pour ne rien dire, discuter avec ses amis et mieux encore, avec des inconnus dans la rue pour préserver ce lien social essentiel que le peu d'humanité qu'entendent nous laisser les promoteurs de cette société de l'enfermement sur soi. Il est impératif de couper ce maudit appareil qui vous asservit tous en vous isolant dans une bulle illusoire.

Discuter, dialoguer, se donner la peine de ne pas se déchirer quand le désaccord est patent. C'est là le privilège de ce mode de communication pour lequel, nul moteur de recherche, nul algorithme ne viendra sélectionner vos interlocuteurs. Faites donc le pari insensé de l'aléatoire, du hasard et de l'inopiné.

Papoter sans se mettre en boule, de papier ou bien de nerf. C'est l'école de la tolérance, cette merveilleuse qualité que nos parlementaires démontrent un peu plus chaque jour, qu'elle échappe à leur compétence. C'est aussi l'art de l'argumentaire et de l'écoute si l'autre, cet inconnu qui se trouve en face de vous trouve grâce à vos oreilles.

Causer certes mais sans jamais penser in petto « Cause toujours » à celui qui tente vainement de vous répondre. Formuler des réponses qui tiennent compte des arguments de votre interlocuteur c'est bien mieux que de vous contenter d'un pouce bleu qui est le degré zéro de la communication. L'éloquence n'est certes pas un art spontané, elle réclame de la pratique, le désir de progresser dans cette jonglerie du verbe et des idées.

Il vous reste alors à fuir ces impasses de la conversation qui vous tendent bien des pièges. Faites tout votre possible pour ne point jargonner pour vous donner l'air d'appartenir à la cohorte des initiés, des experts, des techniciens du sujet. Oublier également de marmonner entre vos dents, l'articulation est une délicatesse tout autant qu'une politesse. Tourner aussi le dos à l'argot qui réduit la pensée avec des mots qui manquent de nuance.

Vous éviterez si vous en avez la force de ratiociner, de tourner en rond ou autour du pot, de baragouiner ou de pinailler, d'ergoter ou de béatifier. Une langue bien pendue ne fera pas de nœuds coulants à vos cordes vocales, prenez de l'assurance pour monter sur une estrade, une scène, un perchoir afin de défendre vos opinions.

Qu'importe ce que vous avez à dire, il faut le faire en public dans cette société où il n'y a jamais eu autant d'individus, de groupes de pression, de partis politiques, d'institutions qui entendent vous confisquer ce droit essentiel. Refuser le brouhaha d'un parlement qui n'a plus rien de légitimité, repousser le vacarme des sonos de la contestation, couper les parasitages des chaînes d'information.

Le peuple doit reprendre la parole, redonner sens à sa voix puisque ses voix sont, par une falsification de la démocratie, rendues nulles et non avenues. Alors, même si votre discours n'est pas de même nature que le mien : papotez, discutez, dialoguez, débattez et déchirez toutes ces misérables idoles de papier.

À contre-voix.

Tableaux de Jean-Claude Maas


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