Pouvoir d’achat, inégalités croissantes et déclassement social

par Eliane Jacquot
jeudi 25 avril 2024

La France vit une transformation dans l'indifférence politique la conduisant vers un modèle de société qui ne produit plus mais consomme ce qui se fabrique ailleurs, une désertification des territoires gravement touchés par la désindustrialisation à l'écart des grandes métropoles. Alors que le pouvoir d'achat reste la priorité des citoyens, cela se traduit dans le language des macro économistes par de froides statistiques. 

Inégalités et Chômage

En France le plein emploi s'éloigne en raison de la faible croissance de l'activité et conduit à une hausse du taux de chômage qui devrait s'élever à 8, 2% de la population active à la fin de l'année selon une note récente de l'OFCE ( Avril 2024 ) conduisant à une baisse du pouvoir d'achat. Cette évolution préoccupante nécessiterait une hausse des crédits alloués aux emplois aidés, mais on observe une tendance inverse avec la baisse des contrats relatifs aux personnes éloignées de l'emploi ( Parcours emploi compétences, aide aux créateurs d'entreprises .. ) au moment où la contrainte budgétaire déconnectée de la réalité sociale se durcit. On observe aussi dans le secteur marchand une baisse continue de la productivité horaire depuis 2019, déformant le partage de la valeur entre les parties prenantes de l'entreprise. Dans ce contexte le Premier ministre, Gabriel Attal a pour objectif de réformer pour la cinquième fois depuis 2017 les conditions d'attribution de l'assurance-chômage en les durcissant à partir du premier Juillet. Or la réduction de la durée d'indemnisation ne concerne que les 41% de personnes prises en charge par l'UNEDIC, dont 50% sont en activité réduite ( jeunes adultes peu diplômés, séniors ...). Le Pôle emploi ne couvre pas les personnes plus ou non indemnisées et qui souhaitent travailler. Les chiffres des chômeurs indemnisés recouvrent 2,6 millions de personnes inscrites à Pôle emploi alors que les demandeurs d'emploi inscrits à France Travail fin 2023 s'élève à 5,8 millions ( cf graphiques ci-joint France Travail, Dares). Le taux de chômage qui ne dit rien non plus des inégalités territoriales ou d'âge liées à l'emploi, dont l'exclusion croissante des plus de 50 ans à faible niveau de formation. Les effets comptables de cette réforme vont réduire la part des chômeurs indemnisés en les conduisant à faire appel à des aides sociales ciblées telles que le revenu de solidarité active ( RSA) en les plongeant dans une grande précarité. Enfin, seulement 40% des allocataires du RSA sont inscrits à Pôle emploi.

Pouvoir d'achat et niveau de vie décent

En France, selon une étude de l'Insee publiée en Février 2024 15% des personnes sont pauvres, les chômeurs, les indépendants et les familles monoparentales étant les plus touchés et 14% des personnes ne peuvent plus couvrir leurs dépenses courantes, chauffer leur logement, se nourrir convenablement, payer les besoins scolaires de leurs enfants. Avec l'inflation qui érode leur pouvoir d'achat, la pauvreté les frappe plus durement. C'est ainsi que les réseaux associatifs d'aides alimentaires accueillent 2,6 millions de personnes en 2023. En 2019, la moitié des personnes pauvres a un niveau de vie inférieur à 885 euros mensuels. Le RSA instauré en 2009 est un revenu minimum garanti, dégressif selon le niveau de vie de la famille et inférieur au seuil de pauvreté (1 ). Un étude publiée par la DREES en décembre 2023 indique qu'à la fin de 2022, les 2,1 millions de personnes bénéficiaires du RSA sont tenues de rechercher activement un emploi. La loi de plein emploi récemment votée a durci le dispositif avec l'obligation de réaliser 15 à 20 heures d'activité par semaine visant à établir un projet professionnel. Cette conditionnalité va augmenter le non recours et l'accroissement de l'exclusion de nombreuses personnes. On observe dans les grandes villes, un taux de pauvreté des adultes inactifs en forte augmentation. C'est ainsi qu'à Marseille selon des données 2019 de l'Insee, 26 % de la population vit dans des quartiers où le taux de pauvreté est supérieur à 30%. Et les discours politiques télévisés récurrents visant à provoquer les travailleurs en emploi précaire et à temps partiel ont pour effet d'accroitre le sentiment de vulnérabilité et de déclassement d'une partie non négligeable de la population.

Une initiative originale et porteuse d'espoir menée depuis l'année 2015, est le projet Territoires Zéro Chômeurs de Longue Durée. Présidée par Laurent Granguillaume, elle démontre que 98% des personnes privées d'emploi rencontrées sont intéressées par un CDI rémunéré au SMIC utile à des territoires. Un Fonds constitué en association a été crée visant à piloter la mise en oeuvre du projet, apporter aux territoires l’appui et l’accompagnement nécessaires dans le déploiement des actions, financer une partie de la rémunération des personnes recrutées. Louis Gallois en a été le Président de la création jusqu’au 25 mars 2024.

Cette crise du pouvoir d'achat nourrit la défiance des citoyens vis à vis du pouvoir politique

En France la politique sociale disqualifie celles et ceux auxquels elle apporte un soutien en leur donnant un statut d'assistés. Comment reconsidérer ceux qui vivent dans une grande dignité leur condition précaire ? En leur donnant accès aux ressources non monétaires essentielles que sont l'éducation, la santé, la mobilité géographique. Nicolas Duvoux dans son dernier essai ( 2 ) rapporte que « C'est bien un rapport à l'avenir, fait de déprise qui permet de saisir au plus près la dégradation de la situation sociale vécue par de larges fractions de la population, face au sentiment d'incertitudes vécues au quotidien. »

Mais il est évident qu'en période préélectorale nos dirigeants politiques ne visent que la réduction de la dépense publique à court terme alors que le Rassemblement national et son populisme caracole en tête des sondages.

( 1) Le seuil de pauvreté évalué en 2019 à 1102 euros par mois pour une personne seule est fixé à 60% du revenu médian et représente 14,6 % de la population française. Il existe d'autres mesures : le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion (CNLE) définit un halo de pauvreté concernant environ 13 millions de personnes aux ressources modestes qui peinent à vivre dans la dignité.

( 2) L'avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine. 2023

Eliane JACQUOT

 


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