François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde

par Sylvain Rakotoarison
lundi 13 mars 2023

« Vous savez que la tâche du conclave était de donner un évêque à Rome. Il semble bien que mes frères cardinaux soient allés le chercher quasiment au bout du monde… Mais nous sommes là… Je vous remercie pour votre accueil. La communauté diocésaine de Rome a son Évêque : merci ! Et tout d’abord, je voudrais prier pour notre Évêque émérite, Benoît XVI. (…) Et maintenant, initions ce chemin : l’Évêque et le peuple. Ce chemin de l’Église de Rome, qui est celle qui préside toutes les Églises dans la charité. Un chemin de fraternité, d’amour, de confiance entre nous. Prions toujours pour nous : l’un pour l’autre. Prions pour le monde entier afin qu’advienne une grande fraternité. » (pape François, le 13 mars 2013 à Rome).

Il y a dix ans, le mercredi 13 mars 2013, au second jour du conclave, le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires depuis le 18 février 1998, a été élu pape de l'Église catholique. Le conclave a été provoqué par un événement historique, sans précédent depuis six siècles, la renonciation du pape Benoît XVI le 28 février 2013, épuisé par ses fonctions, trop fatigué pour pouvoir continuer dans son rôle pontifical après presque huit ans de pontificat.

D'un contact simple, le pape François allait devenir l'évangéliste, après le communicant (Jean-Paul II) et l'intello (Benoît XVI). Les premiers mots, souvent, marquent un pontificat. Jean-Paul II, à son élection, avait proclamé : « N'ayez pas peur ! ». François, dans la joie et l'étonnement de son élection, s'est proclamé pape du bout du monde, l'Argentine, qui connaît ainsi son premier pape de l'histoire doublement millénaire de l'Église.

Lors de la proclamation de son élection, le nom du nouveau pape a été mal compris en France. Dans les premières minutes, on parlait, à la télévision française, du pape Francis, parce qu'en latin, on disait Francesco (et surtout, qu'en anglais, on disait Francis). François, pour honorer saint François d'Assise, premier pape du nom, ce qui est très rare. Même Karol Wojtyla, qui avait voulu s'appeler Stanislas Ier, en l'honneur à sa patrie, la Pologne, y a renoncé : on lui a déconseillé, il valait mieux se référer à des anciens papes, il a donc honoré la mémoire de son prédécesseur, l'un des papes les plus brefs de l'histoire, Jean-Paul Ier, qui avait choisi ce nom, à la fois nouveau et ancien, en référence à ses deux prédécesseurs qui ont mené le Concile Vatican II, Jean XXIII et Paul VI (il était aussi évêque de Venise où il y a la basilique des Saints-Jean-et-Paul, San Zanipolo). Se faire appeler François (et pas François Ier a-t-il bien insisté), c'était donc une petite révolution au Vatican, mais quelques semaines après la renonciation historique de Benoît XVI, on n'était plus à cela près.

Dans une interview à l'occasion du deuxième anniversaire de son pontificat, le 13 mars 2015, le pape François n'imaginait pas du tout fêter ce dixième anniversaire : « J'ai le sentiment que mon pontificat sera bref, quatre ou cinq ans, peut-être même deux ou trois (…). Deux années ont déjà passé. C'est une sensation étrange. J'ai le sentiment que le Seigneur m'a placé là pour une courte période de temps. ». Et il a ajouté qu'il ne se refuserait pas de renoncer à ses fonctions si c'était nécessaire : « Je pense que Benoît a courageusement ouvert la porte aux papes émérites. Benoît ne doit pas être considéré comme une exception mais comme une institution. ».

Dix ans plus tard, le pape émérite Benoît XVI a disparu (le 31 décembre 2022) et le pape François a déjà plus de 86 ans : il est déjà parmi les dix papes qui ont vécu le plus longtemps de toute l'histoire de la papauté, bien plus âgé que Benoît XVI (qui a renoncé avant ses 86 ans), que Jean-Paul II (mort à presque 85 ans), et il faut remonter au grand pape Léon XIII, mort à 93 ans en 1903, pour connaître un pape "en exercice" aussi âgé. De même, si la durée moyenne d'un pontificat depuis un siècle est de onze ans et dix mois, ce dixième anniversaire du pontificat de François le place largement au-dessus de la moyenne de ses prédécesseurs dans l'histoire depuis près de mille ans (avant, les dates sont trop incertaines pour faire le calcul), qui est de huit ans et huit mois pour les pontificats à partir de celui de Lucius III en 1181.

En dix ans, le pape François a créé 44 cardinaux électeurs, mais dont seulement 5 ont été affectés au service de la Curie). Reprenant le bâton de pèlerin de son prédécesseur polonais avec le même rythme, François a effectué 40 voyages apostoliques hors d'Italie, visitant une soixantaine de pays des cinq continents (il a consacré 176 jours à ces voyages). Il a en particulier visité des peuples qui n'avaient encore jamais reçu la visite d'un pape, à savoir l'Irak, la Birmanie, la Macédoine du Nord, les Émirats arabes unis, le Soudan du Sud et Bahreïn. À ma connaissance (selon mes vérifications), il n'a pas posé les pieds en France en tant que pape (très étrangement), et très rarement en Europe occidentale. Il a également effectué 28 visites pastorales en Italie.



Son premier voyage hors du Vatican fut d'ailleurs pour l'île italienne de Lampedusa le 8 juillet 2013 pour venir se révolter comme le drame des réfugiés naufragés en haute mer : « Immigrés morts en mer, dans ces bateaux qui au lieu d’être un chemin d’espérance ont été un chemin de mort. Ainsi titrent des journaux. Il y a quelques semaines, quand j’ai appris cette nouvelle, qui malheureusement s’est répétée tant de fois, ma pensée y est revenue continuellement comme une épine dans le cœur qui apporte de la souffrance. Et alors j’ai senti que je devais venir ici aujourd’hui pour prier, pour poser un geste de proximité, mais aussi pour réveiller nos consciences pour que ce qui est arrivé ne se répète pas. Que cela ne se répète pas, s’il vous plaît ! Mais tout d’abord, je voudrais dire une parole de sincère gratitude et d’encouragement à vous, habitants de Lampedusa et Linosa, aux associations, aux volontaires et aux forces de sécurité, qui avez montré et montrez de l’attention aux personnes dans leur voyage vers quelque chose de meilleur. Vous êtes une petite réalité, mais vous offrez un exemple de solidarité ! Merci ! ».

D'autant plus révoltant que personne ne s'en sent responsable : « Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle ; nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parlait Jésus dans la parabole du Bon Samaritain : nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous "le pauvre", et continuons notre route, ce n’est pas notre affaire ; et avec cela, nous nous mettons l’âme en paix, nous nous sentons en règle. La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-mêmes, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire ! Revient la figure de l’Innommé de Manzoni. La mondialisation de l’indifférence nous rend tous "innommés", responsables sans nom et sans visage. ».

Dès ses premiers pas au Vatican, le pape François a marqué les esprits par son style fait de simplicité et de proximité ; il a montré un comportement de pasteur, celui d'être proche des humbles, loin des protocoles, loin des formalismes, avec un retour à l'essentiel, aux fondamentaux, en d'autres termes, un retour à l'humain. En quelque sorte, il s'incarne comme le pape du peuple.


Sur la chaîne catholique KTO sera diffusé le lundi 13 mars 2023 à 20 heures 35 un documentaire, réalisé par Gualtiero Peirce, qui commence par des images extrêmes de solitude : le pape adressant seul sa bénédiction urbi et orbi à une foule inexistante devant une place Saint-Pierre complètement vide. C'était le 27 mars 2020 en pleine première vague de la pandémie de covid-19.

Le libellé du documentaire explique : « Dès son entrée au Vatican, le Saint Père, de manière très confidentielle, a commencé à faire des visites impromptues dans certains endroits, chaque vendredi de la Miséricorde. Il arrive avec une Ford blanche anonyme et, à la stupéfaction et à l’incrédulité des passants, se jette dans la foule. Les prisons, les hôpitaux, les bidonvilles, les familles pauvres, les écoles et les établissements pour personnes âgées font partie de ces lieux où le souverain pontife se plaît à brouiller périodiquement la distinction entre les hautes sphères de l’Église et le peuple des fidèles. Une expérience pastorale inédite, faite de proximité et d’échanges chaleureux qui a été portée à la connaissance des médias en pleine pandémie de covid-19 et de confinement généralisé. Malgré l’éloignement imposé par les mesures sanitaires, le pape semble dire, par son attitude, que la seule façon de s’en sortir c’est "ensemble". ». L'émission est diffusée aussi sur Youtube (vidéo proposée à la fin de l'article).





Dans sa dernière intervention publique, ce dimanche 12 mars 2023 à midi, à l'Angélus, sur la place Saint-Pierre, le pape François a parlé à la fois de pauvreté et d'écologie sur le thème de la soif : « Un appel parfois silencieux qui s'élève chaque jour vers nous et nous demande de prendre soin de la soif des autres. Prendre soin de la soif des autres. "Donne-moi à boire", nous disent ceux qui, dans la famille, sont si nombreux sur le lieu de travail, dans les autres lieux que nous fréquentons, soif de proximité, d'attention, d'écoute, ceux qui ont soif de la parole de Dieu et qui ont besoin de trouver dans l'Église une oasis où ils peuvent s'abreuver. "Donne-moi à boire" est l'appel de notre société où la précipitation, la course à la consommation et surtout l'indifférence, la culture de l'indifférence, génèrent l'aridité et le vide intérieurs. Et ne l'oublions pas, "donne-moi à boire" est le cri de tant de frères et sœurs qui manquent d'eau pour vivre, alors que nous continuons à polluer et à défigurer notre Maison commune, elle aussi épuisée et desséchée par cette soif. Face à ces défis, l'Évangile d'aujourd'hui offre à chacun de nous l'eau vive qui peut faire à chacun de nous un point d'eau pour les autres. ».

À la fin de la bénédiction, il a terminé par cette demande (régulière) : « À vous tous, je souhaite un bon dimanche. S'il vous plaît, n'oubliez pas de prier pour moi ! Bon appétit et au revoir ! ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).
L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François.
Saint Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
Il est venu parmi les siens...
Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.
Maurice Bellet.



 


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