Quand les Galeries Lafayette exposaient en vitrine des femmes en sous-vêtements
par Fergus
lundi 18 novembre 2024
Il y a 25 ans, des jeunes femmes mannequins, uniquement vêtues de lingerie sexy Chantal Thomass, ont été exhibées dans les vitrines parisiennes des Galeries Lafayette sous le regard ébahi des promeneurs du boulevard Haussmann…
On connaît le succès que remportent chaque année durant l’automne les vitrines de Noël des grands magasins de la capitale. Sous le regard attendri des parents, les jeunes enfants, baignés dans une musique de circonstance, découvrent avec des yeux émerveillés les décors spectaculaires et les personnages animés nés de l’imagination des concepteurs et du savoir-faire des étalagistes.
Au printemps 1999, c’est un tout autre type d’animation, à finalité clairement commerciale, que les Parisiens ont pu découvrir dans plusieurs vitrines des très renommées Galeries Lafayette, aménagées pour la circonstance en pièces d’appartement douillettes : des jeunes femmes mannequins y vaquaient en toute tranquillité à leurs occupations, seulement vêtues de sous-vêtements sexy, à la stupéfaction des chalands.
L’une, assise dans un fauteuil en nuisette, feuilletait distraitement un magazine ; une autre, en slip et soutien-gorge, vernissait avec application les ongles de ses pieds ; ailleurs, un mannequin, en peignoir transparent, se poudrait le visage devant sa coiffeuse tandis que dans une vitrine voisine une jeune femme porteuse d’un body en dentelles se préparait un thé en toute décontraction.
Toutes étaient là pour présenter la nouvelle collection de lingerie de Chantal Thomass. Et le moins que l’on puisse dire est que l’objectif poursuivi par la créatrice de mode – accrocher le regard des passants et attirer l’attention des médias – a d’emblée été atteint. À noter qu’à aucun moment, il n’y a eu de complicité entre les mannequins et les badauds du boulevard : les femmes en vitrine ont toujours pris soin d’éviter tout échange visuel.
Comme l’on peut s’en douter, l’évènement a, du fait de son caractère inhabituel et délibérément provocateur, été largement médiatisé, de la presse écrite aux antennes de radio ou de télévision, et cela bien au-delà des frontières de notre pays. Un buzz dont Chantal Thomass, à l’origine de cette initiative marketing atypique, n’a pas manqué de se réjouir dans un premier temps, malgré les vives critiques qui ont rapidement surgi ici et là.
Sans surprise, ce sont les militantes des associations féministes, outrées de voir le corps des femmes exploité à des fins commerciales dans un contexte inapproprié, qui ont été les premières à protester, soutenues par quelques responsables politiques. On a parlé d’« exhibition dégradante », d’« incitation au voyeurisme » et de « porno chic ». Les plus virulents sont même allés jusqu’à comparer ces vitrines à celles du « quartier rouge d’Amsterdam » en stigmatisant une forme de « prostitution ».
En pointe dans le combat, l’association Mix-Cité – fondée deux ans plus tôt par Clémentine Autain – a très vite appelé au boycott du magasin et de la marque Chantal Thomass tandis que des manifestantes défiaient la direction du magasin en scandant « Galeries Lafayette proxénètes ». Parmi elles, l’ancienne ministre des Droits des Femmes Yvette Roudy dénonçait avec fermeté « l’utilisation du corps des femmes offertes comme des marchandises à la lubricité des voyeurs ».
Face au tollé, la direction des Galeries Lafayette a fini par reculer, non sans dénoncer dans son communiqué à la presse une « prise en otage » par les organisations féministes. Prévue du 13 avril au 8 mai 1999, l’exhibition des mannequins vivants en vitrine a été suspendue dès le 21 avril. Exit l’« évènement raffiné », le « lieu de féminité par excellente, symbole international du bon goût et de la qualité française » vanté par ladite direction.
Le plus étonnant dans cette affaire est que ses protagonistes aient été uniquement des femmes, au grand dam des associations féministes : la styliste Chantal Thomass, la décoratrice en chef des vitrines des Galeries Lafayette et les quatre jeunes mannequins volontaires pour parader en petite tenue dans les vitrines du grand magasin. Un quart de siècle plus tard, ce fait interroge toujours...
Pour en savoir plus, vidéo de l’INA : lien.