La publicité ne servirait ŕ rien

par Robert GIL
samedi 6 avril 2024

On nous fait croire que c’est à partir de la demande du consommateur que les entreprises fabriquent les produits qu’il désire. Donc, en attendant que le consommateur dicte ses choix à l’économie, les entreprises seraient en stand-by. Puis soudain, le consommateur décide d’un produit dont il aurait envie et les entreprises se mettent à produire rapidement afin de satisfaire le consommateur. Dans ce cas, la publicité ne servirait à rien, vu qu’elle aurait une longueur de retard sur le désir réel du consommateur. Vous trouvez cela absurde, non ? Vous avez raison, le consommateur ne décide de rien. Les produits lui sont imposés par la publicité. Michael Löwy, sociologue et philosophe franco-brésilien écrit : « Contrairement à ce que prétend l’idéologie du marché, ce n’est pas la demande qui commande l’offre, ce sont les entreprises capitalistes qui, très souvent, créent, par les différentes méthodes du marketing, par la manipulation publicitaire et par l’obsolescence programmée des produits, le marché pour leurs produits. La publicité joue un rôle essentiel dans la production consumériste de la demande, en inventant des faux besoins et en stimulant des habitudes de consommation compulsives. »

C’est bien la publicité qui dicte nos choix de consommation. Prenons l’exemple du téléphone portable, au début des années 1990, personne n’avait besoin d’un téléphone portable, et 30 ans plus tard c’est devenu un objet indispensable, qu’il faut renouveler régulièrement. Que s’est-il passé ? Y a-t-il eu de grands mouvements populaires pour réclamer dès le milieu des années 1980 des téléphones portables ? Et donc suite à ces manifestations, les entrepreneurs auraient dit « bon, et bien afin de satisfaire les consommateurs, on va se pencher sur la question et inventer un téléphone portable » ? La publicité sait créer le rêve, l’envie, le manque. L’industrie ne gaspille pas des milliards d’euro en pure perte, seulement pour le plaisir. La publicité, cible un panel de clients potentiels et ensuite cherche à créer le besoin, que le consommateur voudra assouvir. Le budget de la publicité mondiale est de plus de 500 milliards d’euros, le budget publicitaire des entreprises du CAC 40 est supérieur (1) à leur budget recherche, lequel notons-le est largement financé par l’Etat (2). Il est plus rentable de dépenser en publicité qu’en innovation. Cela pour faire naitre des besoins qui n’existaient pas auparavant. Dans son rapport de 2018, le collectif « Éthique sur l’Etiquette (3) » notait : « La stratégie des grands équipements comme Nike et Adidas repose sur deux piliers : l’explosion des coûts de sponsoring et l’optimisation des coûts de production  ». Les deux marques dépensent deux à trois fois plus en publicité et en sponsoring que pour payer les travailleurs qui fabriquent les chaussures, les maillots ou les ballons. Et si le montant alloué à la pub est en progression, les dépenses liées aux salaires sont toujours jugées trop importantes. L’idéal ce serait de vendre des produits fabriqués gratuitement … problème, si l’on ne paye plus les salariés, qui achètera ces produits ?

Evidemment, on peut toujours décider que l’on a assez de volonté pour résister à la manipulation qu’exerce la publicité sur le reste de la population. Mais votre démarche n’aura aucun effet sur le système. La publicité ne cible pas un individu en particulier mais un groupe de consommateurs en général qui constitue la cible que l’on veut atteindre et convaincre. Ce n’est pas quelques résistances esseulées qui perturberont le conditionnement du comportement de la masse. Et ce n’est pas parce que certaines campagnes publicitaires sont des échecs que cela remet en cause son principe. Vos programmes de télé, votre envie d’un chien ou de changer de voiture, vos habits, vos préférences alimentaires, le choix des jouets de vos enfants… tout cela n’a rien à voir avec votre libre arbitre ou la liberté du choix, car tout est déterminé par avance. La publicité est un moyen de vous manipuler et de vous asservir en douceur.

Au début des années 1900, la cigarette était un marqueur typiquement masculin. La moitié de la population, les femmes, étaient exclues de ce marché. Devant la possibilité de doubler leurs gains, les cigarettiers ont décidé de faire fumer les femmes. La pub et la manipulation d’évènements populaires avec les fameux « flambeaux de la liberté (4) » pour désigner les cigarettes, ont persuadé les femmes que la liberté passait par là. Aujourd’hui le marché des produits corporels et de beauté est particulièrement destinées aux femmes, donc, les industriels du secteur perdent potentiellement 50% de la clientèle possible. La pub et des évènements soigneusement préparés vont convaincre les nouvelles générations masculines que le nec plus ultra, c’est de prendre soin de son corps à coup de crèmes, de masques, d’épilation et soins du corps. Pour eux, la liberté aura pour prix celui de la contrainte. La liberté de consommation impose ses choix aux hommes et aux femmes, le profit n’est pas sexiste !

Deux ans avant, un an avant, six mois avant, suivant le produit, des équipes travaillent pour décider de ce qui vous fera plaisir, de ce qui vous deviendra indispensable, de ce que vous serez obligé d’acheter. Une fois que le produit est déterminé et mis en fabrication, vous serez submergé d’images, de clips, d’affichages quatre mètres par trois sur toutes les routes que vous emprunterez. Vos films seront coupés par des spots publicitaires, vos sportifs ou acteurs préférés vous venteront les mérites du produit. Du matin au soir vous serez confronté à ce que vous ne connaissiez pas 15 jours avant et qui ne vous était pas du tout utile. Puis votre voisin ou votre beau-frère l’achètera et vous convaincra de ses avantages et 15 jours plus tard l’objet vous appartiendra ! Non, désolé de vous décevoir, mais vous ne décidez de rien !

 

Ref :

(1) Les Echos, le 01/03/2017 : « Les entreprises françaises plus dépensières en communication qu’en R&D ». (2) Les Echos, le 17/07/2018 : « Le crédit impôt recherche, un gouffre de presque 6 milliards d’euros ». (3) Collectif Ethique sur l’Etiquette : Mondialiser les droits humains au travail. (4) Le Monde Diplomatique, février 2019 : « Et les femmes fumèrent… ».


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