La commune de Vergèze contre « Nestlé Waters » : faut-il jeter « Perrier » aux waters ?
par Paul Villach
vendredi 22 février 2008
La bataille juridique qui oppose la commune de Vergèze (Gard) à « Nestlé Waters », propriétaire de « la Source Perrier », sise sur son territoire, vient de connaître une première étape. Elle avait été provoquée par la décision prise le 25 octobre 2007, par le conseil municipal de nommer désormais le lieu-dit « Les Bouillens » où est captée la source - entre Vergèze et Vauvert - « Source Perrier-Les Bouillens » pour tenir compte de l’usage désormais pris d’appeler ce lieu-dit « la Source Perrier ».
« Nestlé Waters » attaque en justice
La multinationale avait aussitôt saisi en référé le Tribunal administratif de Nîmes pour lui demander d’annuler la décision municipale qu’elle estimait illégale. Or, le jugement rendu, après l’audience du 22 décembre 2007, se contente de botter en touche, renvoyant à un examen ultérieur le fond du problème : puisque la commune n’a pas compétence pour modifier le nom d’un lieu-dit, la décision attaquée n’a aucune portée juridique et donc n’a pas lieu d’être annulée. La bataille va donc se poursuivre, non seulement devant la juridiction administrative, mais aussi sur le terrain judiciaire. La multinationale a simultanément porté le litige devant le Tribunal de grande instance en reprochant à la commune de porter atteinte à deux marques déposées « Perrier » et « Source Perrier » dont elle est propriétaire.
Restructuration, conflit social et menaces
Cette hâte soudaine de la commune de Vergèze à moderniser sa toponymie traditionnelle n’avait rien de fortuit. Sous la casuistique juridique développée se tapit un conflit économique et social majeur provoqué par la mondialisation qui fait rechercher la production au moindre coût à la surface de la planète.
Au printemps 2004, un plan de restructuration de l’usine Perrier avait déclenché un conflit ouvert entre le syndicat CGT majoritaire et la direction : plus de 1 000 départs à la retraite étaient envisagés. Dans le feu de l’action qui ne laissait prévoir aucun compromis, la direction avait laissé entendre qu’elle n’excluait pas de produire du « Perrier » ailleurs ! Il n’en a pas fallu plus pour mettre le feu aux poudres et craindre une stratégie de « délocalisation »
Délocaliser une source, est-ce possible ?
La question, apparemment farfelue, se posait donc de savoir s’il était possible à « Nestlé Waters » de baptiser « Perrier » une eau quelconque qui viendrait d’on ne sait où, de Hong Kong ou d’Indonésie. Qu’une voiture, un appareil ménager, des vêtements puissent venir des quatre coins du monde, on le conçoit sans peine parce que ces produits n’ont aucun attachement territorial. De même, une boisson gazeuse composée d’une recette-maison ou un hamburger n’a pas plus d’enracinement et peuvent être confectionnés sous la même enseigne aux quatre coins de la planète sans que leur insipidité en soit affectée.
Mais la marque d’une eau de source qui tire ses propriétés d’un bassin hydrologique déterminé, peut-elle être donnée à n’importe quelle autre eau de source de n’importe quel point du globe ? Que prétend justement le site internet de la multinationale pour vanter l’originalité de son eau ? « L’eau Perrier est unique, est-il écrit, car une géologie unique lui donne naissance. Au nord du site de Vergèze se trouve une vaste région naturelle et sauvage, les "Garrigues de Nîmes", constituée par des calcaires crétacés de l’ère Secondaire ; c’est par-là que l’eau s’infiltre et se minéralise. Au sud de la plaine de "la Vistrenque", se trouve une faille majeure, dite faille de Nîmes ; elle est à l’origine du gaz de la source Perrier. »
Même si la notoriété fait d’une marque, par antonomase, un nom générique qui a permis à « Perrier » de se présenter comme « le champagne des eaux de table », n’importe quel vin blanc mousseux ne peut se nommer « champagne ». Le roquefort, ce fromage produit avec du lait de brebis paissant sur les causses de l’Aveyron, ne peut pas plus se fabriquer dans la pampa argentine, du moins en portant ce nom.
Des finasseries juridiques trop incertaines
Oui, sans doute, objectait le 17 mars 2005, le ministre Patrick Devedjian, alors ministre délégué à l’Industrie en réponse à une question du sénateur Simon Sutour, mais le problème de l’eau de source « "Perrier" est d’être à la fois une marque, qui appartient au groupe Nestlé, et la dénomination d’une eau minérale, qui ne peut pas être une appellation d’origine contrôlée mais qui ressort juridiquement au régime réglementaire des eaux minérales. » Propriété exclusive de Nestlé, la marque « Perrier » ne saurait être défendue que par son propriétaire.
Toutefois, poursuivait le ministre, une directive européenne de 1980, transposée dans le droit français, « dispose que chaque source d’eau minérale doit faire l’objet d’une mention d’origine. Or la source "Perrier" correspond bien à un lieu géographique. » Et le ministre de conclure avec optimisme que dans ce cas Nestlé pourrait bien utiliser « la marque Perrier » pour n’importe quelle eau mais non « la marque d’origine », car « la directive prévoit l’obligation de mentionner, sur l’étiquette, le nom de la source de l’eau en caractères infiniment plus gros que ceux qui sont utilisés pour la marque éventuellement apposée. Tel est l’état du droit, commentait-il. Si Nestlé envisage d’agir ainsi, à mon avis, le consommateur ne s’y trompera pas ! » Cela reste à voir !
L’affaire Vergèze - Source Perrier-les Bouillens - « Nestlé Waters » n’a, en tout cas, rien d’anecdotique. Elle révèle les extravagances auxquelles conduit une mondialisation échevelée dont le seul souci est la réalisation d’un profit maximal par l’abaissement des coûts de production dans les pays les moins développés. Si on n’y met pas un frein, on en viendra à délocaliser des sources. C’est insensé ! Il faut, pour y croire, avoir une foi à transporter les montagnes. Il est surtout confondant de voir les contorsions juridiques auxquelles doivent s’astreindre ceux qui ne peuvent se résigner à l’uniformisation insipide des cultures avec, en prime, leur appauvrissement et celui de tous ceux qui les font vivre. Même si Nestlé s’est adjoint le mot « Waters » pour conquérir le monde, ce n’est pas une raison pour jeter « Perrier » aux waters.
Paul Villach