L’amélioration en trompe l’oeil du solde commercial

par Laurent Herblay
samedi 9 mars 2024

Même les macronistes, pourtant guère avares en postures mensongères, ne se sont pas trop attardés sur le fort rebond du solde commercial en 2023, passé d’un déficit de 163 à 100 milliards d’euros en une seule année. D’abord, cela reste le second déficit le plus élevé de l’histoire. Ensuite, pour qui rentre un minimum dans le détail des chiffres, il y a plus de motifs d’inquiétude qu’à se rassurer.

 

Un rebond purement conjoncturel

Le graphique d’illustration permet d’un coup d’œil de saisir les dynamiques qui ont permis la forte baisse de notre déficit : la baisse de plus de 50 milliards des importations d’hydrocarbures, d’électricité et de pétrole raffiné explique plus de 80% de la baisse du déficit en 2023. En somme, le mouvement de 2023 est purement conjoncturel et tient uniquement à la forte baisse du prix des hydrocarbures, du fait du ralentissement économique, et à la fin des déboires d’EDF sur les centrales nucléaires. Pour couronner le tout, l’amélioration du solde de nombreux autres produits vient largement de la baisse de nos importations, du fait de la baisse du pouvoir d’achat qui a réduit la consommation dans ces secteurs, comme l’habillement (-3 milliards), le bois et le papier (-2,6) l’informatique et l’électronique (-2,2), les produits manufacturés divers (-1,8) ou le caoutchouc et plastique (-0,8).

Pour être honnête, il y a quelques points positifs dans les chiffres de 2023. Le solde aéronautique continue à progresser avec une augmentation de 8 milliards des exportations, qui devrait se poursuivre cette année tant Airbus augmente ses cadences pour répondre à une demande boostée par les déboires de Boeing. Le solde des produits chimiques progresse très fortement, malgré un recul des exportations, du fait d’un recul de 10 milliards des importations. Il en va de même pour la métallurgie, avec un recul de 5 milliards des importations, plus fort que celui de 2 milliards des exportations. Portées par le luxe, les exportations de textiles et de parfums augmentent de 4 milliards. Dernier point positif, les exportations de machines progressent de 3,9 milliards, alors que les importations progressent de 2 milliards. Néanmoins, il faut rappeler que notre solde dans le domaine reste négatif, de près de 10 milliards.

Pire encore, beaucoup d’évolutions de l’année confirment l’affaiblissement de notre tissus productif, dans des domaines pourtant critiques. L’exécutif ne manque pas une occasion de parler de souveraineté au sujet de l’agriculture, l’automobile ou la santé, des secteurs où la France avait un excédent il y a vingt ans. Problème, en 2023, ces secteurs ont vu leur solde commercial se dégrader le plus, -2,6 milliards pour la pharmacie, -3,4 pour l’automobile, et -3,6 pour l’agriculture. Alors qu’il y a 20 ans, l’excédent automobile atteignait 13 milliards, en 2023, notre déficit a atteint 24 milliards. Bref, derrière les grands discours ou les innaugurations pompeuses d’usines, la réalité, c’est que les plus de 100 milliards d’aides (annuelles !!!) supplémentaires aux entreprises mises en place depuis 12 ans, et les innombrables dérèglementations destinées à renforcer notre compétitivité n’ont eu aucun effet sur notre solde commercial. Un fiasco complet.

Le bilan par pays et zone géographique confirme le caractère purement conjoncturel de l’amélioration de 2023. Le solde s’améliore de 10,9 milliards avec la Russie (avec la baisse des importations d’hydrocarbures), de 8,5 avec la Chine et Hong Kong, du fait de la chute de nos importations, de 7 milliards avec l’Amérique du Nord. Le solde avec l’UE s’améliore de 14,6 milliards, mais cela s’explique essentiellement par la forte évolution du solde avec la Belgique (+10,3 milliards), liée à l’arrêt des importations de gaz par le Nord Stream. Au global, les soldes par pays et régions montrent un déséquilibre très fort de nos échanges avec l’Asie (-57,6 milliards) et l’UE (-47,2 milliards). Ceci indique que nous nous sommes beaucoup trop ouverts à l’Asie sans que cela soit réciproque ou équilibré, mais aussi que le marché unique de l’UE est un piège économique pour notre pays, qui s’appauvrit à force d’accumuler des déficits.

En résumé, la situation commerciale de la France reste très préoccupante, à peine rattrapée par quelques secteurs dont le succès ne doit pas grand-chose aux mesures mises en place depuis 2012 et une conjoncture favorable. En revanche, elle révèle que la politique dite de compétitivité est un fiasco complet et coûteux, logique dans le marché unique de l’UE. Et la situation de certains anciens secteurs d’excellence comme l’agriculture, la pharmacie ou l’automobile a continué à se dégrader en 2023…


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