La Loutre et son loutron

par C’est Nabum
mercredi 19 juillet 2023

 

Faire sa catiche

 

 

 

Il advint qu'une loutre avait rencontré un mâle en goguette dans un boire sauvage, à l'abri des regards des visiteurs indélicats. Profitant de l'aubaine, ces deux-là s'aimèrent prestement dans l'eau d'une union qui fit grands remous à la surface de l'onde. Puis fort satisfait de la chose, monsieur s'en alla porter sa bonne semence en d'autres lieux, laissant la belle loutre à son délicat rôle de parturiente.

Dourgy notre belle petite loutre porta son rejeton 60 jours avant que de le mettre au monde sans sa catiche, un refuge qu'elle avait installé dans la demeure précédente d'un blaireau qui s'était aventuré près de l'eau. Notre amie avait l'âme d'une squatteuse, n'hésitant nullement à élire domicile chez les autres. Nous ne lui en tiendrons pas grief.

La mère et son unique loutron coulèrent alors des jours heureux même si le garnement n'était pas en peine de facéties et de bêtises qui durant les huit mois de son sevrage, épuisèrent une génitrice soulagée de n'avoir eu qu'un seul diable de cette espèce. Même chez les mammifères de la famille des Mustélidés, l'enfant roi fait sa loi.

Les anciens appelaient la loutre le chien d'eau, Dourgy aurait pu prénommer son rejeton Cunos d'autant qu'il mordait la vie à pleines dents mais sans le savoir, elle avait provoqué son propre malheur en le dénommant Tanguy. Hélas, quand le temps fut venu pour le gamin d'aller tenter l'aventure ailleurs, de quitter la catiche maternelle pour faire son trou où bon lui semblerait, il fit tout son possible pour différer son départ, jouant la montre et usant de prétextes insidieux.

Tanguy commença par affirmer non sans vergogne que son territoire natal était le plus charmant qu'il puisse être, que pour rien au monde il ne quitterait ce petit coin de paradis et qu'en outre (terme préféré de la loutre) il se plaisait tout à fait dans la catiche de sa chère mère, allant jusqu'à la prier d'aller tenter l'aventure plus loin.

 

Dourgy devant tant d'audace vit là des ressemblances marquées avec ce père qui après l'avoir saillie prestement et sans guère de ménagement, alla courir le guilledou plus loin. Les chats ne font pas de chiens se dit-elle alors que sur la berge, une genette passait en quête d'un repas. La pauvre mère en vint même à espérer que son fils tombe sous ses griffes avant que de se ressaisir et de l'avertir du danger.

Le péril passé, elle voulut reprendre la conversation avec son garçon, le priant de s'émanciper du sein maternel pour vivre sa vie en totale autonomie. Elle lui avait enseigné l'art de la pêche, le plaisir qu'elle prenait à jouer avec ses prises dans un jeu aussi sadique que distrayant, la manière de surprendre la grenouille ou bien l'écrevisse pour améliorer le régime piscivore. Tanguy était tout à fait capable de s'assumer en quittant une mère qui entendait faire une nouvelle portée, espérant ainsi plus de satisfaction avec la génération suivante.

Un animal, aussi têtu que celui-ci ne devait pas exister dans toute la rivière. Il campait sur ses positions refusant de couper les ponts avec sa génitrice. Il est vrai que jamais il n'avait observé un tel ouvrage et c'est justement ce qui mit la puce à l'oreille à sa mère. Elle l'incita à découvrir le monde, à faire ses bagages pour partir vivre sa vie, loin d'ici. Un pont était en construction non loin de là qui avait occasionné bien des bouleversements sur la rive. Il y aurait surement un trou pour que Tanguy y établisse son camp de base. Elle le savait assez cossard pour agir de la sorte : bon sang ne saurait mentir …

L'idée de s'établir près d'un ouvrage d'art transforma radicalement la détermination du loutron. Il avait désormais un but dans l'existence et un territoire digne de lui. Il partit même sans un adieu pour conquérir ce nouveau monde. Prenant ces pattes palmées à son cou, il remonta le courant vers son nouveau domicile. Toujours animé d'un esprit rebelle et agissant à rebours de ceux de son espèce qui recherche le calme, la discrétion et la solitude dans un espace préservé des humains, lui entendait prendre à rebrousse-poil la grande tradition des loutres.

Arrivé sur place après un long voyage que curieusement il entreprit de jour, Tanguy trouva l'agitation qui sévissait en cet endroit tout à fait à son goût. Il ne lui restait qu'à trouver orifice naturel ou non pour y installer sa demeure. Notre galapiat n'avait comme l'avait supposé sa mère, nulle intention de fournir le moindre effort pour établir sa demeure.

Il fut néanmoins fort marri de découvrir à quel point les abords du chantier étaient pour le moins chamboulés, voire dévastés par les engins qui allaient en tous sens pour préparer la future grande voie de communication trans-ligérienne. Tanguy en conclut qu'il convenait de s'en écarter quelque peu pour ne pas risquer de passer sous une chenille – pas de celles qui deviennent des papillons -

Il jeta son dévolu sur la Darse voisine qui lui assurait une protection toute relative tout en lui permettant de garder un œil attentif sur l'agitation du chantier. Il n'eut aucun mal à trouver refuge à sa mesure et ne remarqua aucune trace de l'éventuelle présence d'un confrère ou d'une consœur. Ni urine ni épreintes ne trahissaient le passage d'un concurrent. Il est vrai que le vacarme voisin justifie cette absence comme celle de castors et même de ragondins.

C'est donc sans opposition que Tanguy marqua un territoire de 30 km de long allant de Jargeau en amont à Chécy en aval pour vivre heureux et pas caché. Rapidement sa présence et son comportement inhabituel firent le bonheur des photographes en mal de clichés concernant ceux de son espèce. Lui qui était un peu cabot devint même la vedette des différentes revues spécialisées, des journaux locaux et surtout de la toile.

Tanguy posait sans honte ni respect des us et coutumes de son espèce. Il aurait fait honte à sa pauvre mère si elle avait eu vent de la chose mais la bonne Dourgy avait d'autres chiens d'eau à fouetter ou à allaiter pour qu'ils ne suivent pas l'exemple de leur frère. Elle entendait cette fois transmettre les valeurs des loutres à cette portée suivante, composée de trois loutrons merveilleux.

Tanguy à vouloir ainsi se montrer sous son meilleur jour, fit tant et si bien qu'il se fit remarquer par des humains aussi peu respectueux des valeurs qu'il ne le fut lui-même. Ces lascars, se mirent en demeure de faire la peau à cette loutre prétentieuse et aventureuse. Ils n'eurent aucun mal à la débusquer tant Tanguy s'affichait avec ostentation.

 

La Loutre acheva son existence de la plus pitoyable manière sous les coups de misérables individus. L'histoire ne serait que tragique si elle n'avait permis de confirmer tous ses congénères dans leur manière de vivre. En effet, la triste épopée de Tanguy constitua rapidement le récit des veillées des loutres de Loire et bientôt de toutes les autres rivières.

Les mamans loutres avant que de voir leurs loutrons quitter la catiche narraient ce récit et concluait toujours par la devise éternelle de cette espèce prudente : « Pour vivre heureux, vivons cachés ! » Puis, revenant à leur patronyme celte, elles ajoutaient : « La nuit, tous les chiens d'eau sont gris et c'est ainsi qu'ils se fondent dans le décor … en toute discrétion. »

Tanguy à ne pas avoir voulu suivre la morale éternelle des loutres l'avait payé de sa vie. La prétention, la morgue et la vanité avait eu raison de lui. D'autres devraient en tirer la conclusion qui s'impose. Voilà en outre une histoire qui fait le pont entre les animaux et les humains dont chacun devrait en retenir les préceptes.

À contre-courant.


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