Le retour des guinguettes

par C’est Nabum
mardi 11 juillet 2023

 

La curieuse époque.

 

Les guinguettes furent le phénomène marquant et porteur de l'esprit de la belle époque même s'il exista bien avant. Elles fleurirent au bord de l'eau, de la Marne à la rivière Loiret qui fut un écrin privilégié pour celles-ci. On y buvait, on y dansait, on y emmenait sa belle ou ses amis sur une barque, le canotier fiché sur la tête et le maillot rayé de bleu en guise de repère.

Le cinéma n'a pas manqué de célébrer à sa manière ce phénomène qui trouva ses racines auprès d'un certain Pierre Guinguet fondateur en 1640 d'un cabaret connu pour son affreuse piquette sur les coteaux de Mesnil-Montant, tandis que le roi Louis XIV autorise les bals publics en 1715. Même s'il est impossible de dater le début de cette belle histoire de fête et d'amitié, elle n'en demeure pas moins le symbole d'une douceur de vivre qui a laissé bien des fantasmes dans les têtes.

Autrefois à Olivet qui sur les bords du Loiret, compta jusqu'à 32 établissements festifs, on pouvait lire : « La petite rivière coule entre des rives garnies de saules aux verdeurs transparentes et de peupliers aux panaches frémissants ; les jardins, les parcs des belles propriétés se mirent dans les eaux tranquilles. Le charme du paysage n’est pas la seule raison qui fait affluer les visiteurs à Olivet. On y vient pêcher à la ligne ; on y vient manger, dans de gais restaurants, des fritures et les petits fromages très appréciés auxquels le pays a donné son nom ; on vient se promener en bateau et explorer les îles herbues de la rivière, admirer les sites ravissants qui la bordent et enfin en visiter les sources » (Martin, 1895)

Le retour massif des guinguettes qui fleurissent comme la Jussie et les renoncules le long de nos rivières ne doit pas nous bercer d'illusion. L'époque n'est plus aux rêves et à l'utopie d'un monde meilleur, à l'insouciance et au partage. Nos guinguettes sont porteuses des défauts d'une société qui s'est enfermée dans un individualisme forcené tout en poussant la déraison à poursuivre sa marche en avant vers le vide par un consumérisme forcené.

Bien sûr, leurs créateurs ne les veulent pas ainsi. Nombre d'entre-eux cherchent un espace de convivialité, de partage et de bonne humeur. Ils peaufinent le décor, choisissent le plus souvent un cadre enchanteur, proposent des animations pour faire du passage chez eux, un vrai moment de détente et de bonheur. Ils ne sont pas responsables des clients d'aujourd'hui.

Si ces derniers sont minoritaires sans aucun doute, ils n'en sont pas moins la plaie des guinguettes. Ils arrivent en bandes, font grand tapage, parlent haut et fort, ne se préoccupent pas des voisins, rient bien plus qu'aux éclats, s'invectivent et usent à l'excès de leurs téléphones portables. Ils sont soudain les maîtres des lieux, ignorant qu'à leurs côtés, un couple est en quête de confidence, qu'une famille cherche un moment de calme avec les enfants, que cette personne seule entend profiter de la quiétude de l'endroit.

Ils sont surtout les fossoyeurs impitoyables des artistes venus ici proposer de la musique, des chansons, des danses parfois aux clients de la guinguette. Les malheureux n'auront pas la partie facile tandis que la bataille des décibels risque de tourner à la cacophonie pour ceux qui sont sonorisés. Pour les autres, il n'est plus rien à faire, l’acoustique ne peut rien contre ces loustics !

La troupe des malotrus gagne toujours la partie d'autant que le tenancier se doit de reconnaître que ce sont ces lascars qui font tourner sa carte bleue. Il n'est rien à leur dire puisque le client est roi et même quand il se donne des allures de tyran. L'éducation n'a rien à voir avec le pouvoir d'achat et n'espérerez pas que je vous dise qu'il ne s'agit là que de jeunes gens mal éduqués. En ce domaine, le bourgeois ne cède en rien aux jeunes cons, la bataille se fait même féroce pour tenir le haut du pavé, bien loin du sable du reste.

Quant au passage du chapeau, ceux qui ont malgré la volonté d'une minorité, tenté de se faire entendre en seront pour leurs frais, payés des menues pièces du denier des incultes, d'un mépris souverain et de quelques railleries au passage chez les adeptes du brouillage. Ils peuvent même essuyer une fin de non-recevoir ou, plus odieux encore s'entendre demander s'ils acceptent la fameuse carte bancaire, symbole de ces gens dans le vent.

L'époque n'est plus à l'insouciance et nos guinguettes se prennent pour nos trottoirs : des espaces si mal partagés qu'ils en deviennent de non droit et d'irrespect. L'autre est aboli, rayé mentalement de la carte. Malheur aux artistes mais aussi aux aveugles, aux enfants, aux estropiés, aux vieillards… La dictature des gougnafiers, malotrus et autres extravagants incivils est en marche.

Pour oublier ce présent rendu indélicat par la faute de quelques-uns, retournons paisiblement en ce temps béni durant lequel, de jolies bagarres venaient mettre parfois un « poing » d'honneur à ce décor paradisiaque : « Orléans, ville un peu austère, noble dame, a des fleurs à son corsage : ce sont Olivet et le Loiret, à 4 km au Sud de la Loire par le tramway. Olivet, joli petit bourg, bâti sur la rive gauche du Loiret est le rendez-vous de promenade des Orléanais. Ils y pêchent, y canotent et y déjeunent ou dînent fort agréablement aux terrasses des restaurants qui donnent sur la rivière. […] Olivet pour les touristes, c’est le Loiret, c’est le canot automobile qui sert d’autobus avec un trajet déterminé, ou c’est la barque louée, tenant lieu de taxi, pour des parcours à la fantaisie du client […] de place en place la rive droite vous envoie un air de musique parti d’un restaurant gai où l’on s’arrêtera volontiers avant de poursuivre… » (Lenormand, 1929).

À contre-respect.

 


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