L’avenir de l’Europe s’ouvre avec Friedrich Merz
par Sylvain Rakotoarison
lundi 5 mai 2025
« Tous les signaux que nous recevons en provenance des États-Unis indiquent que l'intérêt pour l'Europe y faiblit de manière significative. » (Friedrich Merz, le 24 février 2025).
Je comprends que l'élection du nouveau pape et les moindres gestes de Donald Trump, qui peuvent faire basculer la planète, sont des sujets très importants de la politique internationale, mais je m'étonne que la presse française évoquent assez peu la situation politique de l'Allemagne et la future investiture du nouveau Chancelier d'Allemagne fédérale, le chrétien-démocrate Friedrich Merz (69 ans) qui prendra ses fonctions le mardi 6 mai 2025 après son élection attendue au Bundestag. Car tout ce qui concerne notre voisin et partenaire allemand nous concerne, nous la France, et concerne l'Europe.
Friedrich Merz a franchi le dernier obstacle à sa conquête du pouvoir, l'approbation par 84,6% des adhérents (avec une participation de 56%) du SPD, le parti social-démocrate (celui de son futur prédécesseur Olaf Scholz), le 30 avril 2025 en faveur du contrat de la grande coalition SPD-CDU/CSU construite à l'issue des élections fédérales du 23 février 2025. Deux jours après l'approbation des adhérents de la CDU (le 28 avril 2025 à une « majorité écrasante ») et vingt jours après celle de la CSU bavaroise (le 10 avril 2025 à l'unanimité).
La configuration parlementaire au Bundestag est telle qu'aucun gouvernement n'aurait pu être nommé sans cette alliance des deux grands partis gouvernementaux, après la bonne performance de l'extrême droite (AfD) qui a dépassé le SPD.
Les négociations ont donc duré un peu plus de deux mois (à peu près le temps qu'a mis le gouvernement de Michel Barnier pour se mettre en place en automne 2024). Le 8 mars 2025, le principe de la grande coalition avait été acquis et pendant un mois, un texte long de 146 pages, le contrat de coalition, a été négocié durement, à huis clos, par 192 émissaires des deux partis politiques pour aboutir à un véritable contrat de gouvernement le 9 avril 2025, ce qui a conduit Friedrich Merz à dire, à l'instar de Ronald Reagan en 1980 : « L'Allemagne est de retour ! ».
Et finalement, la France l'attendait depuis vingt ans. La France attendait que l'Allemagne redevienne une puissance politique qui, avec la elle, réussirait à relancer l'Union Européenne. Or, Angela Merkel, malgré ses bonnes paroles, n'a jamais voulu vraiment rendre l'Europe indépendante, autonome, au contraire de la France dont c'est l'ADN depuis la fin de la guerre (et même avant). J'attends toujours l'initiative d'une initiative européenne commune de François Hollande et Angela Merkel annoncée dans les années 2010 ! Quant à Olaf Scholz, son faible leadership et la fragilité confirmée de sa coalition tricolore n'ont jamais permis aucune avancée européenne.
La prise de contrôle du parti d'opposition, la CDU, ainsi que la victoire électorale de Friedrich Merz auraient pu inquiéter la France. Politique mais aussi homme d'affaires, Friedrich Merz a toujours été considéré comme un très grand atlantiste. Mais la réalité, c'est que les amis des États-Unis ne peuvent plus se fier à leur grand ami et doivent faire avec... ou plutôt, sans. Ce qui a fait dire par le journaliste Emmanuel Grasland le 25 février 2025 dans "Les Échos" : « Atlantiste convaincu, Friedrich Merz juge désormais nécessaire pour l'Europe de développer des capacités de défense propres. ».
Il faut dire que pendant les négociations du contrat de gouvernement, l'Allemagne, l'Europe et le monde ont été secoué par les stupides décisions de Donald Trump sur les taxes douanières, ses allers et retours, qui ont fait chuter l'économie américaine (et mondiale).
Il y a donc un énorme changement, un double changement : celui de l'option européenne et celui de leadership. Friedrich Merz entend bien rendre présente l'Allemagne sur le plan politique, et ce leadership ne peut se concevoir qu'avec un couple franco-allemand enfin efficace après le couple Jacques Chirac/Gerhard Schröder de la fin des années 1990 et début des années 2000.
Ce nouveau couple Emmanuel Macron/Friedrich Merz aura certainement quelques difficulté car les deux personnalités sont fortes et si c'est un besoin pour l'Europe, cela peut aussi être une concurrence entre les deux hommes d'État sur certains sujets. L'important, c'est que le nouveau chef du gouvernement allemand a considéré le 9 avril 2025 que « l'amitié franco-allemande reste d'une importance capitale pour toute l'Europe ». D'ailleurs, le premier voyage extérieur de Friedrich Merz fut pour rencontrer Emmanuel Macron le mercredi 26 février 2025 à l'Élysée : « Ensemble, nos pays peuvent accomplir de grandes choses pour l'Europe. Merci beaucoup, cher Emmanuel Macron pour ton amitié et la confiance que tu accordes aux relations franco-allemandes. » (sans surprise : il est de tradition que le nouvel élu de l'un des deux pays fasse son premier voyage extérieur chez l'autre).
L'essentiel, c'est que le principal sujet sera un sujet de concorde encore la France et l'Allemagne, la défense européenne. Emmanuel Macron prône depuis qu'il est Président de la République française la construction d'une véritable défense européenne, solide et sérieuse, qui puisse être une véritable protection autonome de l'Europe. Jusqu'à l'arrivée de Donald Trump II, beaucoup de pays européens, dont l'Allemagne, avaient approuvé poliment cette idée... mais sans rien faire de réellement concret. Désormais, Emmanuel Macron est pris au sérieux dès lors que Donald Trump a fait comprendre que la protection américaine n'était pas certaine en cas d'attaque agressive contre l'Europe. La guerre en Ukraine montre à l'évidence que le besoin d'une défense européenne autonome est d'autant plus indispensable que les États-Unis se désengagent du continent.
Ainsi, c'est une véritable révolution du paradigme allemand à laquelle on assiste : les Allemands préféraient la garantie américaine qu'ils estimaient solide et sûre (et pas chère !), à une hypothétique défense européenne qui restait encore tout à construire. Friedrich Merz, dans son programme de gouvernement, prévoit ainsi d'investir 500 milliards d'euros dans la défense, ce n'est pas rien. Dès février 2025, le futur Chancelier constatait : « Nous devons nous préparer au fait que Donald Trump ne respectera plus inconditionnellement l’engagement de défense mutuelle de l’OTAN. ».
Le professeur Sylvain Kahn, agrégé en histoire et docteur en géographie, chercheur au Centre d'histoire de Science Po, a expliqué le 2 mars 2025 sur France Culture que ce changement n'était pas facile et allait provoquer de nombreuses discussions dans la société allemande : « Traditionnellement, depuis 1949, la CDU est très atlantiste. Mais elle est également très européiste. Pendant 80 ans, c'était finalement les deux jambes d'une même politique étrangère allemande. Aujourd'hui, cette alliance atlantique est en train de voler en éclats. Il y a une période de 80 années qui se clôt. Et c'était un peu miraculeux que la plus grande puissance mondiale accepte de garantir la défense du territoire européen. Et ça ne coûtait pas grand-chose aux Européens, finalement. Mais cela s’arrête. Et donc, il faut que les Allemands choisissent entre leur atlantisme, qui de toute façon n'existe plus, ou bien leur politique pro-européenne. Mais, il faut aussi prendre en compte la société allemande. Parce qu'il ne faut pas imaginer qu'au sein de la société allemande, tout le monde va dire "Ah ben oui, c'est formidable, Friedrich Merz a raison, on le suit". Il y a 20% des électeurs qui ont voté pour l'AfD et 9% qui ont voté pour Die Linke, la gauche radicale allemande, qui est traditionnellement pacifiste et qui, je pense, ne va pas du tout être favorable à l'idée d'une Allemagne sous parapluie nucléaire britannico-français. Et il y a une réticence de la société allemande au nucléaire, qui est très très profonde et très ancrée, et pas seulement au nucléaire civil, mais au nucléaire militaire. Donc là aussi, ça va poser des énormes débats. ».
Par ailleurs, Friedrich Merz a assuré le peuple ukrainien que l'Allemagne poursuivra et renforcera son aide militaire à l'Ukraine contre l'agression de Vladimir Poutine, alors que son prédécesseur réagissait assez mollement dans ce dossier. Il l'a rappelé lors du congrès extraordinaire de la CDU le 28 avril 2025 à Berlin : « Le combat de l'Ukraine contre l'agression de la Russie est aussi un combat pour le maintien de la paix et la liberté dans notre pays. ».
Autre verrou levé, celui de l'endettement public. L'Europe a décidé que les dépenses de défense ne seront pas comptabilisées dans le taux d'endettement public (Pacte de stabilité). Ce verrou était aussi constitutionnel en Allemagne et il a été déjà levé dès le 25 mars 2025, avant même le changement de gouvernement.
Car l'autre priorité de Friedrich Merz (il en a trois), c'est le redressement économique de l'Allemagne. Le Ministre de l'Économie et du Climat sortant, l'écologiste Robert Habeck, a revu le 24 avril 2025 les perspectives économiques à la baisse : 0% de croissance pour 2025, et cela après deux années de récession (-0,3% en 2023 et -0,2% en 2024). Une telle dégringolade de l'économie allemande est inédite depuis 1949. Selon une étude de l'agence Creditreform publiée le 24 avril 2025, 20% des PME seraient engagées dans la réduction de leurs effectifs, ce qui n'est jamais arrivé depuis quinze ans.
Pour la redresser, le nouveau Chancelier entend encourager massivement les investissements pour faire redémarrer le secteur industriel. Cette revue à la baisse provient directement des décisions douanières de Donald Trump et de l'effondrement de l'économie américaine.
Ainsi, l'impôt sur les sociétés sera réduit par un amortissement annuel de 30% sur les investissements en équipement au cours des trois prochaines années, 2025, 2026 et 2027. Par ailleurs, 1 000 milliards d'euros d'argent public seront injectés par l'Allemagne, 500 milliards pour les infrastructures à moderniser et 500 milliards pour l'effort de défense (ce "paquet" de 1 000 milliards d'euros a déjà été adopté le 18 mars 2025 par le Bundestag). Ces investissements massifs devraient accélérer le redressement du PIB allemand (+1% est prévu pour 2026).
Enfin, la troisième priorité de Friedrich Merz, qui est important dans le climat politique allemand actuel, où l'AfD capitalise beaucoup sur les peurs, c'est la lutte contre l'immigration illégale. Le SPD a accepté un renforcement de la sévérité avec le refoulement des demandeurs d'asile à la frontière, en concertation avec les voisins européens de l'Allemagne. "Der Spiegel" s'attendait d'ailleurs, le 9 avril 2025, à plus de fermeté : « On s'attendait à ce que la politique migratoire soit plus sévère, mais elle ne le sera pas autant que la CDU/CSU l'a annoncé durant la campagne électorale. ». Quant à l'intégration des étrangers sur le marché du travail, il est prévu la création d'une agence Travail et Séjour pour simplifier les procédures administratives des employeurs et des employés.
Le 28 avril 2025, Friedrich Merz a dévoilé les noms des ministres CDU/CSU. Il n'a pas participé à l'enterrement du pape pour finaliser la composition de son gouvernement. Les deux poids lourds Jens Spahn et Carsten Linnemann n'en feront pas partie. Parmi les ministres chrétiens-démocrates (CDU/CSU), il y aura Katherina Reiche à l'Économie et à l'Énergie, Alexander Dobrindt (CSU) à l'Intérieur, Johann Wadephul (62 ans), un proche de Friedrich Merz, aux Affaires étrangères, Alois Rainer (CSU) à l'Alimentation, Agriculture et Patrie, Karin Prien à l'Éducation, Famille, Personnes âgées, Femmes et Jeunesse, Nina Warken à la Santé, Patrick Schnieder aux Transports, Dorotee Bär (CSU) à la Recherche, Technologie et Espace et Thorsten Frei directeur de la Chancellerie fédérale. Au final, beaucoup de femmes alors que le futur Chancelier avait exclu la parité à l'origine (probablement que Casten Linnemann, proche de Friedrich Merz et promis à l'Économie, a fait les frais d'une pression médiatique pour plus de représentativité, tant féminine que géographique).
Toutefois, Friedrich Merz a préféré l'efficacité à la représentativité politique en nommant aux Affaires étrangères un proche et pas ses anciens rivaux Armin Laschet ou Norbert Röttgen (ancien président de la commission des affaires étrangères au Bundestag). C'est la première fois depuis 1966 qu'une personnalité issue du CDU occupe de nouveau ce poste important pour la diplomatie européenne. Alexander Dobrindt, seul ancien ministre fédéral, a été, selon Elsa Conesa, la correspondante du journal "Le Monde" à Berlin le 29 avril 2025, un « facilitateur » dans les négociations avec le SPD et les Verts pour réviser la Loi fondamentale (sur le seuil de l'endettement public possible). Friedrich Merz a concédé à Jens Spahn (44 ans), ancien ministre de la santé d'Angela Merkel, la stratégique présidence du groupe CDU au Bundestag alors qu'il avait provoqué une vive polémique en proposant des relations rapprochées avec l'AfD.
Quant aux ministres SPD, ils ne sont pas encore connus et devraient être annoncés par le SPD très prochainement. Son coprésident Lars Kingbeil sera Vice-Chancelier et Ministre des Finances et il devra notamment nommer six de ses membres à la Justice, au Travail, à la Défense, à l'Environnement, à la Coopération et au Logement. Boris Pistorius, ardent soutien à l'Ukraine, devrait rester à la Défense.
Ce qui est clair, c'est que l'exercice du pouvoir ne sera pas de tout repos pour Friedrich Merz : alors que son parti CDU/CSU avait devancé de 8 points l'extrême droite, deux mois plus tard, l'AfD se retrouve avec 26% d'intentions de vote et la CDU/CSU seulement 25%. Donc pas d'état de grâce pour le nouveau gouvernement allemand. Il devra donc aller vite dans ses réformes pour redresser l'économie allemande et convaincre son peuple qu'il va dans la bonne voie. C'est le gouvernement de la dernière chance.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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