Les jeunes ont leur mot à dire !

par Dominique Bertinotti
mercredi 20 octobre 2010

Prétendre que la réforme des retraites ne concerne pas les jeunes est une aberration.

Passons rapidement sur l’argument de leur « immaturité politique », brandi par une majorité qui s’obstine au même moment à abaisser à 16 ans la responsabilité pénale ! Les jeunes auraient leur place dans les prétoires, dans les prisons, dans les mêmes conditions et sous les mêmes rigueurs que leurs aînés, mais n’auraient pas le droit d’entrer dans l’arène politique, voilà une étrange conception de l’équilibre des droits et des devoirs de la citoyenneté.

Laissons aussi de côté l’absurde « cela ne les concerne pas ». De deux choses l’une : soit cette réforme prétend résoudre durablement l’équation financière des retraites, et dans ce cas, elle intéresse au premier chef ceux qui entament aujourd’hui leur vie active ; soit elle n’y parvient pas et, alors, les jeunes sont les premiers à devoir nous réclamer des comptes, au nom d’un avenir que nous sommes incapables de leur garantir.

Oui, les jeunes ont leur mot à dire. Pour la simple raison qu’ils sont les premières victimes de cette réforme.

Je pense d’abord aux jeunes travailleurs, ceux qui paieront la réforme en travaillant plus longtemps, et plus durs, pour tous les autres.
 

70 000 jeunes de 17 ans, soit 10% de cette classe d’âge, ne sont dans aucune formation ni contrat aidé. A 18 ans, ils ne sont pas moins de 180 000, soit 22%, à avoir définitivement quitté le système éducatif.

Ces jeunes sont précipités dans le marché de l’emploi. Les plus chanceux d’entre eux, qui parviennent à trouver un emploi, sont précisément ceux qui devront attendre 62 ans avant de jouir d’une retraite méritée, alors même qu’ils auront bouclé leurs 41 annuités bien avant cet âge.

A cela s’ajoutent les 400 000 apprentis, qui, eux aussi, commencent à travailler bien avant les autres.

Inutile de préciser que les métiers auxquels les destine leur fragile formation, quand ils en ont une (16% des jeunes de 20 à 24 ans n’ont aucun diplôme, ni le bac, ni le BEP, ni le CAP…), sont rarement les moins pénibles ! Où est la justice d’une réforme qui fait travailler plus dur, et plus longtemps, les « oubliés » de notre Education Nationale ?

Mais la réforme ne se contente pas de s’acharner sur les plus fragiles. Les retraites de tous les jeunes seront profondément amputées.

Bien sûr, là encore, les moins qualifiés paieront le plus lourd tribut. Comment constituer une carrière complète, et s’offrir une retraite décente, lorsque le chômage des 15-24 ans dépasse désormais les 25%, à partir d’un socle hors temps de crise solidement arrimé au 20%... Sans compter tous ceux qui, découragés, ont abandonné la recherche d’emploi, le taux d’activité des jeunes en France, à 32%, étant l’un des plus faibles d’Europe (moyenne de 37%, avec 45% en Allemagne, ou 67% au Danemark et aux Pays-Bas).

Dans cette population, les jeunes sortis tôt du système éducatif subissent la plus violente discrimination : 49% des jeunes sans diplôme sortis depuis moins de 4 ans du système éducatif sont au chômage ; ils sont encore 27% dans les dix ans qui suivent leur « entrée » sur le marché du travail.

Mais cette insertion difficile dans le marché de l’emploi concerne tous les jeunes, la variable d’ajustement des à-coups du marché du travail. Ainsi, le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur dans l’année qui suit la fin de leur formation a subi en 2009 une hausse de 18%.

A l’autre bout de la chaîne, les 40% de jeunes qui bénéficient d’une formation tertiaire rentrent de plus en plus tard dans l’emploi, soumis à la course aux diplômes dans laquelle se joue leur carrière tout entière. Eux subiront de plein fouet le passage à 67 ans de la retraite sans décote, qui deviendra leur vrai âge de départ à la retraite s’ils ne veulent pas réduire de plus d’un quart leurs futures retraites. 

Et pour quelle retraite ? Car il faudra enfin aborder lucidement la question de la justice de la répartition des rémunérations selon les générations. Chacun peut aujourd’hui faire l’expérience d’une très nette différence non seulement dans le salaire d’embauche, mais dans les perspectives d’augmentation au fil de la vie entre les générations entrées dans l’emploi au début des années 70 et celles d’aujourd’hui. Or, la réforme ne demande rien à ceux qui jouissent aujourd’hui d’une retraite garantie et consolidée, quand elle demande tout à ceux qui ne croient même plus aujourd’hui à la promesse d’une retraite méritée.

Tous ces enjeux sont liés. N’oublions pas ainsi que la retraite devient de plus en plus le « seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas ».

Au fond, la réforme des retraites cristallise des malaises plus profonds et pousse plus que jamais une question tout en haut de l’agenda politique : quelle place notre société fait-elle à ses enfants ? Et comment oser en débattre sans écouter les principaux concernés ? Les jeunes ont raison de s’exprimer, pacifiquement et solidairement. Car c’est leur avenir qui se joue aujourd’hui.

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