Merci à Claude Bloch, anonyme et exceptionnel

par Sylvain Rakotoarison
mardi 31 octobre 2023

« Je regrette pas d'avoir fait la guerre : d'abord parce que j'suis pas mort, et puis parce que j'ai été décoré ; évidemment parce que j'suis pas mort. À la guerre, on décore ceux qui reviennent ; ceux qui sont courageux, c'est ceux qui sont morts. On peut pas être partout. » (Coluche, "L'ancien combattant").

Eh oui, Coluche avait bien raison de taquiner un peu les anciens combattants, mais il se trompait quand même : les rescapés pouvaient avoir été très courageux. C'est le cas de Claude Bloch, un anonyme parmi les anonymes, qui fête, ce mercredi 1er novembre 2023, son... 95e anniversaire.

Claude Bloch est anonyme et pourtant connu. C'était le vieil homme qui se tenait aux côtés des époux Klarsfeld pour accueillir le 8 mai 2023 le Président Emmanuel Macron à l'ancienne prison de Montluc, à Lyon, là où a été torturé Jean Moulin par Klaus Barbie. Claude Bloch fait partie des derniers survivants des prisonniers de la prison de Montluc.

Son histoire est tristement banale pendant la guerre. Orphelin de père, il avait 15 ans en 29 juin 1944 à 11 heures 45 quand il a été arrêté à Crépieux-la-Pape avec sa mère Éliette Meyer et le père de celle-ci, Lucien, par Paul Touvier, chef de la milice lyonnaise, en représailles à l'assassinat de Philippe Henriot par des résistants la veille (la grand-mère Caroline n'a pas été arrêtée car elle avait un rendez-vous chez le dentiste). Quelque temps auparavant, par prudence, Lucien avait pourtant falsifié la carte d'identité de Claude Bloch en Claude Blachet. Claude était en vacances chez lui et leur propriétaire avaient proposé de l'amener bientôt dans la Drôme où ils avaient de la famille pour le mettre en sécurité.



Claude et Éliette furent d'abord internés à Lyon à la prison de Montluc avant d'être envoyés, le 22 juillet 1944, au sinistre camp de Drancy (ils ont quitté Lyon le 20 juillet et ont fait escale à Dijon le 21 juillet). De là, ils ont fait partie du dernier convoi vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau ; le convoi 77 qui a quitté Drancy le 31 juillet 1944, soit dix-sept jours avant la libération de ce camp. Le commandant du camp de Drancy, Aloïs Brunner, dans sa fureur assassine, a précipité ce convoi afin de poursuivre l'œuvre meurtrière, ciblant tout particulièrement les enfants juifs.



Claude Bloch et sa mère ont donc fait partie des 1 309 malheureux déportés, les derniers de France, vers les camps de la mort, entassés comme des bestiaux dans les wagons (ils étaient 80 dans le même wagon, sans boire ni manger), et il y avait 324 enfants dont 18 bébés de moins de 1 an. Ils sont arrivés le 3 août 1944 tôt le matin et ce fut la sélection, comme à chaque arrivée de convoi. 251 ont survécu à la libération des camps le 9 mai 1945 (93 hommes et 158 femmes). 847 sont morts dès leur arrivée, assassinés dans les chambres à gaz. Parmi ces victimes, la pianiste Thérèse Cahen (47 ans), directrice d'un orphelinat à Saint-Mandé, qui avait été déclarée apte à travailler au moment de la terrible sélection mais elle n'a pas voulu quitter les vingt fillettes juives dont elle avait la charge et qu'elle a suivies jusque dans les chambres à gaz.

Au moment de l'arrestation, malgré la forte chaleur, Éliette a obligé son fils Claude à porter un pantalon long. Au moment de la sélection, l'enfant de 15 ans avait l'apparence d'un jeune adulte et fut sauvé tandis que sa mère qui semblait vieillie, malgré ses 40 ans, à cause de ses cheveux blancs (ils n'étaient plus teints depuis plusieurs semaines), a probablement été gazée dès son arrivée. Au moment de la sélection, elle avait poussé son fils dans l'autre file et l'avait sauvé.

Tatoué sur son bras du matricule B3692, Claude Bloch, avec 74 autres hommes sélectionnés, fut envoyé le 26 octobre 1944 au camp de concentration de Stutthof (il est arrivé deux jours plus tard). Le camp fut libéré le 9 mai 1945. Pris en charge par la Croix Rouge dans un état désespéré, Claude Bloch fut emmené à Malmö puis Göteborg en Suède où il est resté deux mois pour être soigné et sauvé avant d'être reconduit vers Lyon en passant par Cherbourg et par Paris ; il ne pesait alors que 30 kilogrammes.

Le grand-père de Claude Bloch, Lucien Meyer a aussi été assassiné, mais dès le 29 juin 1944, dans les locaux de la gestapo à Lyon, au moment de leur arrestation. Claude a rejoint à Lyon sa grand-mère Caroline qui avait échappé à l'arrestation par hasard. Elle est morte en septembre 1949 d'une crise cardiaque.



L'acte de décès d'Éliette Meyer a été réalisé le 17 mars 1947 à la mairie de Lyon, indiquant qu'elle est décédée entre le 31 juillet 1944 et le 1er juillet 1946. Sur cet acte a été rajoutée, le 4 septembre 1947, la motion "mort pour la France" après qu'il a été établi qu'elle a été arrêtée parce qu'elle était juive. Le 5 novembre 1954, elle a été reconnue comme "déportée politique", donc comme une victime civile de la guerre. Le 3 juillet 1995 enfin, l'acte de décès d'Éliette a ajouté la mention "Mort en déportation". Quant à Lucien Meyer, son acte de décès a été établi le 26 juin 1947 et a reçu également la mention "Mort pour la France".

Après des études, Claude Bloch a commencé sa vie active en 1948 comme comptable, et il a pris sa retraite en 1989 après s'être marié en septembre 1950 et avoir engendré trois enfants. Claude Bloch est retourné sur les lieux de son arrestation avec un journaliste et il a appris par la fille de ses anciens propriétaires qu'ils avaient été certainement dénoncés. À partir de 1995, il a décidé de consacrer son temps et son énergie à témoigner en particulier dans les écoles, surtout les collèges. Cela fait trente ans qu'il fait inlassablement ce travail de mémoire afin de perpétuer le témoignage direct de ce qu'il a vu et ce qu'il a subi.



À 95 ans, Claude Bloch est donc toujours présent pour raconter. Comme je l'indiquais plus haut, il recevait le Président de la République le 8 mai 2023, et il a aussi participé à la manifestation de soutien et de solidarité avec le peuple d'Israël le 10 octobre 2023 dans les rues de Lyon, après les abominables massacres du 7 octobre 2023. Très amèrement, Claude Bloch a eu l'impression d'un perpétuel recommencement. Peuple de France, n'oublie pas ! Et à Claude Bloch, bon anniversaire, je vous adresse mes meilleurs vœux pour garder toujours cette énergie de faire vivre l'histoire auprès de nos jeunes. Nous le voyons bien par la tragique actualité, cette mémoire est indispensable. Il ne faut jamais relâcher cet effort.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


(Merci aux enseignants et aux élèves du collège Alexis-Kandelaft de Chazay-d'Azergues, dans le Rhône, du lycée français René-Goscinny de Varsovie, en Pologne, et du collège Les 4 vents d'Arbresle, dans le Rhône, d'avoir fait les recherches historiques sur la famille de Claude Bloch présentées sur le site convoi77.org).


Pour aller plus loin :
Claude Bloch.
Jean Moulin, l'excellence républicaine ...et les valeurs !
Discours d’André Malraux le 19 décembre 1964 lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
L’artiste Jean Moulin, dessinateur.
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Hommage à Jean Moulin.
Programme du Conseil National de la Résistance.
le suprême héros.
Daniel Cordier.
Pierre Simonet.
Edgard Tupët-Thomé.
Hubert Germain.
Robert Hébras.
Noëlla Rouget.
Stéphane Hessel.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
La Libération de Paris.
Les 75 ans de la Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.
Le syndrome de Hiroshima.
Carnage de Maillé (1).
Carnage de Maillé (2).
Mauschwitz.
Emmanuel Macron à Pithiviers.
Jacques Attali et Emmanuel Macron : pourquoi la fresque d’Avignon était antisémite.
Discours du Président Emmanuel Macron le 17 juillet 2022 à Pithiviers (vidéo et texte intégral).
La rafle du Vel d’Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d’Hiv (22 juillet 2012).
Discours d’Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).
La Seconde Guerre mondiale.
La République de Weimar.
Le Pacte germano-soviétique.
Le Débarquement en Normandie.
Les Accords de Munich.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
L’Europe, c’est la Paix.
La Première Guerre mondiale.
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Chasseur alpin, courageux jusqu’au bout de la vie.
Les joyeux drilles de l’escadrille.
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Fête nationale : cinq ans plus tard…



 


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