Airbus : une affaire, une tragédie et un scandale

par Daniel RIOT
jeudi 5 octobre 2006

« 30% d’économies, donc de coupes sombres en vue... La figure de proue de l’industrie européenne a un visage bien tuméfié... Restructurations, réductions de coûts et d’emplois : Airbus s’apprête à vivre ce que les experts appellent une « thérapie de choc », un « traitement de cheval » ou une cure de santé » pour mettre fin aux déconvenues de l’A380, un avion « bien conçu » mais pour l’heure mal réalisé, en raison de défaillances dans les chaînes de fabrication. 

Qu’une entreprise comme EADS connaisse des difficultés n’a rien de surprenant. Dans ce secteur comme dans bien d’autres, la concurrence est rude et la conjoncture est volatile. Boeing, qui a souffert de la concurrence d’Airbus pendant des années, a su redresser le nez, le cours du dollar favorise actuellement le constructeur américain, et l’entreprise européenne, qui a grandi bien et vite, connaît des difficultés de croissance bien compréhensibles... Le retard dans la fabrication et dans les livraisons du dernier Airbus (A 380) est la cause de l’aggravation de cette crise, mais il n’en est pas à l’origine... 

Dominique de Villepin, aujourd’hui, s’est montré optimiste pour la suite. Il lui faut, surtout, être, comme nos partenaires européens, déterminé. Il y a plus que des meubles à sauver...« Nous souhaitons que les difficultés rencontrées aujourd’hui soit rapidement surmontées », a dit Dominique de Villepin lors de sa conférence de presse mensuelle à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris. « Je fais pleinement confiance, cela va sans dire, à la direction d’Airbus et à la direction d’EADS », a-t-il ajouté.« Airbus a su relever ce défi technologique, il doit maintenant relever le défi de l’industrialisation et stabiliser les délais de livraison de l’A380. » Le Premier ministre a encore salué ce « magnifique projet technologique », « emblématique de l’Europe industrielle que nous voulons construire ». Soit.

La facture est lourde. Et elle s’alourdit d’heure en heure Le constructeur, dont le siège est basé à Toulouse, se retrouver pris en tenailles entre les pénalités qu’il devra payer aux compagnies lésées, le report des paiements de ces mêmes compagnies et l’augmentation des stocks et encours liés à ces retards. Sans parler du pire : des commandes pourraient être annulées. Cela se chiffre avec énormément de zéros... Estimation minimale : une augmentation des besoins en fonds de roulement du groupe EADS d’environ 1,5 milliard d’euros. Le programme A380 subira une réduction de 6,3 milliards des flux de trésorerie cumulés initialement prévus sur la période 2006-2010...


Airbus a provisionné 600 millions d’euros pour les pertes qui seront enregistrées sur le contrat A380. C’est peu, par rapport au « gouffre ». Et les retombées ne sont pas finies. Déjà, DaimlerChrysler, l’un des principaux actionnaires d’EADS avec 22,5% aux côtés du français Lagardère, a annoncé qu’il serait lui-même contraint de revoir ses prévisions de résultats à cause de l’A380...

Le pire n’est pas chiffrable : c’est le coût humain de cette « crise de croissance ». Des plans sociaux en vue, y compris sans doute chez le millier de sous-traitants menacés de « délocalisations » !

Trois questions (entre autres) s’imposent :

>>> Le plan de restructuration jugé « crédible » par les responsables gouvernementaux français est-il bien adapté ? Pas sûr... Il est pour le moins paradoxal d’éliminer des bras et des têtes quand « l’excellent A 380 » pour prendre vie manque de bras et de « têtes ».

>>> La dimension politique et diplomatique de cette « affaire Airbus » est évidente, au niveau européen. A un moment où la Russie vient d’entrer dans le capital d’EADS... L’Europe industrielle reste à faire. Airbus a fait illusion. C’est de la coopération européenne partielle. Nous sommes loin des beaux projets de Monnet et de Schuman. Retour à la case CECA, peut-être... Il n’est pas admissible que la politique agricole (contestée) soit la seule politique communautaire authentique.

>>> Que deviendront les promesses d’enquête sur les responsabilités, personnelles et collectives des anciens cadres supérieurs de l’entreprise ? Cette dernière question n’est pas la moins importante... Qui ne se souvient de l’arrogance et du mépris affiché par les « grands chefs » quittant le navire, ou plutôt l’avion, avec les poches pleines de stock-options en minimisant les problèmes de « quelques fils électriques » ? Que les dirigeants des grandes entreprises soient bien rétribués, c’est une nécessité. Impérative. Ils méritent leur « cachets de stars du spectacle ou du sport » en raison de l’ampleur de leurs responsabilités. Mais le mot « responsabilité » ne vaut que s’il rime avec « assumer ». Il est des erreurs de choix stratégiques, technologiques et logistiques qui sont de vraies fautes. L’enquête sur les responsabilités des anciens responsables ne devrait pas être qu’interne...

Saura-t-on tirer les leçons de cette « affaire Airbus », y compris sur les relations entrepreunariales « public-privé »... Un joli débat en vue pour les candidats à la présidentielle française... Travaillez vos dossiers, Mesdames, Messieurs...


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