La capacité d’absorption de l’Europe et ses frontières

par ÇaDérange
vendredi 19 mai 2006

Grande évolution dans la philosophie de nos députés européens et de nos hommes politiques, on parle maintenant de la notion de capacité d’absorption de l’Europe.

Le débat a commencé lors du travail préparatoire sur la Constitution européenne et lorsque le président de cette commission, Valéry Giscard d’Estaing, a mis les pieds dans le plat pour la première fois en posant la question des frontières de l’Europe. Il s’est amplifié avec la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, dont on s’est aperçu qu’elle pouvait déséquilibrer l’Europe aussi bien d’un point de vue géographique que du point de vue religieux.

On s’est aperçu aussi, avec l’arrivée simultanée de dix nouveaux pays, que l’absorption de ces pays, leurs économies généralement faibles et leurs cultures différentes n’allait pas de soi, et que cela créait des peurs dans les pays actuels de l’Union. Peur des délocalisations en faveur de ces pays, peur du plombier polonais, peur du vide avec l’absence de notion de frontière de l’Europe, peur de la perte de notre modèle social, peur de la lourde charge financière pour les conduire à notre niveau.

Il y a aussi des limites économiques qui sont justement la capacité pour un ensemble économique fort et cohérent comme l’était celui de l’Europe des 15, d’absorber brutalement sur son marché intérieur d’autres économies à niveau de salaire plus faible, protection sociale parfois inexistante, chômage important et culture soviétisante du rapport au travail. C’était pourtant assez facile de prévoir que cette arrivée massive de nouveaux pays allait perturber l’équilibre européen. Nous avions déjà eu l’exemple de l’entrée de l’ex Allemagne de l’Est qui, vingt ans après pourtant, n’a toujours pas rattrapé l’Allemagne de l’Ouest du point de vue du développement économique et du chômage, malgré un effort financier colossal des Allemands de l’Ouest.

Mais nos hommes politiques sont aveugles, ou inconscients, ou trop idéalistes, ou pas assez pratiques, vraisemblablement un peu de tout ça, et nous y sommes allés. Avec l’apparition des peurs que je mentionnais plus haut, un choc économique dont je dois reconnaître qu’il ne se passe pas mal et dont les résultats sont positifs pour beaucoup des nouveaux entrants, et globalement avec une certaine déstabilisation des anciens pays qui a culminé avec le non de la France et des Pays-Bas à la Constitution européenne.

Les politiques ont apparemment compris la leçon, et viennent de créer le concept de capacité d’absorption pour l’élargissement de l’Europe. La France et l’Autriche s’en disputent la paternité, et le Parlement européen vient de s’en saisir.

La Commission des affaires étrangères de ce Parlement vient de sortir un rapport qui critique l’expansion sans borne de l’Union, et rappelle la Commission et les Etats membres à "répondre aux inquiétudes légitimes des citoyens en ce qui concerne l’élargissement et l’intégration européenne". D’après son rédacteur, le chrétien-démocrate allemand Elmar, l’Union européenne ne peut aujourd’hui absorber de nouveaux entrants en raison de l’enlisement du processus de ratification de la Constitution. En d’autres termes, sans le système d’administration et de gestion prévu par la constitution, et en particulier sans le vote à la majorité, l’Europe à 25 est ingérable.

Par ailleurs, le Conseil est prié de s’assurer "que ses ressources budgétaires sont suffisantes avant de prendre une décision finale sur l’adhésion de tout nouvel Etat". Enfin, comme la notion de capacité d’absorption est vague, il demande de "définir la nature de l’Union européenne, y compris ses frontières géographiques".Nous voici donc enfin au coeur du sujet : quelle Europe voulons-nous, une Europe sans limite, sorte de marché libre ouvert, qui puisse s’étendre à la Turquie, aux contours de la Méditerranée et au Maghreb ? Ou une Europe, sans doute un peu à l’ancienne, dans des frontières géographiques bien définies, rassemblée par des valeurs, une histoire et une culture communes ? Voilà un bon sujet de référendum européen !

Comme il faut quand même pouvoir proposer des réponses aux pays qui sont en attente de rejoindre l’Union européenne, le Parlement européen propose de soumettre à tous les pays en attente d’adhésion "des propositions de relations multilatérales avec eux" . Sous d’autres termes, la formule du "partenariat privilégié" qui d’ailleurs existe déjà dans le projet de constitution européenne.


Petite escarmouche avec les ministres européens des Affaires étrangères qui, à l’occasion de leur réunion récente à Salzbourg, ont affirmé que les pays des Balkans avaient tous vocation à entrer un jour dans l’Union. Le Parlement a conseillé à l’Union européenne de ne "pas faire de promesses qui ne sauraient être tenues ». Comme conseil d’hommes politiques à d’autres hommes politiques, c’est assez savoureux.


Les idées avancent donc, et nos hommes politiques ont enfin saisi qu’il était nécessaire de préciser la notion d’Europe, au lieu d’avancer sans limite ni réflexion, s’ils ne voulaient pas que les peuples la et les rejettent. C’est un peu tard, sans doute, mais nous allons dans le bon sens. A suivre.

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