Sécurité alimentaire européenne : la nouvelle donne

par Frédéric Mahé
mardi 29 août 2006

Depuis le 1er janvier dernier, nous vivons une véritable révolution culturelle dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments. Les nouveaux règlements européens (regroupés sous l’appellation du « paquet hygiène ») changent en effet complètement la donne, entre autres dans les rapports entre professionnels et instances de contrôle. Comment cela se passe-t-il sur le terrain, et quelles conséquences peut-on prévoir face à ce « new deal » alimentaire ?

Depuis le début de l’année, l’industrie alimentaire vit sous un nouveau régime réglementaire : les règlements respectivement numérotés : 178/2002, 852/2004 et 853/2004, 882/2004 et 852/2004, regroupés sous l’appellation générique et barbare de  paquet hygiène. Sous leur apparence aride, ces trois numéros introduisent un changement radical dans les habitudes du secteur, résumé ci-dessous.

Une responsabilisation totale du professionnel

Chaque professionnel de l’alimentation a la responsabilité pleine et entière de ses produits, et doit donc assumer d’une part les conséquences d’une malfaçon, mais aussi l’organisation complète de leur production et de leur contrôle. Avant le " paquet hygiène ", les professionnels devaient se référer à un certain nombre de règles édictées par les pouvoirs publics : critères microbiologiques, règles de construction et d’organisation, etc. Aujourd’hui, chacun est libre de choisir ses critères de qualité - du moment qu’il peut apporter la preuve technique ou scientifique de leur validité.

Il reste quand même un certain nombre de critères indiscutables, mais très peu : par exemple les températures de stockage, ou quelques seuils microbiologiques à ne pas dépasser.

Cela doit pousser les professionnels à ne pas se contenter d’être platement " dans les règles ", mais à argumenter pour défendre leur position face aux services de contrôle, y compris en remettant en cause - pourquoi pas ? - les anciennes habitudes. Cela va donner aussi un tour très technique aux discussions avec les services de contrôle.

Du coup, cela va aussi forcer les services de contrôle à acquérir davantage de connaissances techniques sur les filières, et à ne pas se contenter de connaître uniquement le règlement pour juger de la fiabilité d’une entreprise. Ceci pourrait conduire à remanier certains services, ou à se tourner vers des experts externes.

Le rôle des organisations de filières (syndicats, chambres, interprofessions) se trouve renforcé : elles sont chargées de mettre au point des guides de bonnes pratiques, qui, une fois validées par une autorité scientifique (l’AFFSA, en l’occurrence), deviendront le " règlement interne " de la profession, lequel devra être respecté comme un règlement officiel.

Une méthodologie imposée : l’HACCP

Chaque professionnel doit mettre en place un plan de maîtrise sanitaire, qui doit impérativement être basé sur les principes de la méthode HACCP (Hazard Analysis for Critical Control Points, en français : analyse des dangers pour le contrôle des points critiques). Cette méthode est devenue depuis quelques dizaines d’années une référence incontournable dans le domaine. Appliquée largement dans le monde, elle est devenue un passage obligé pour l’obtention de nombreuses normes (parmi lesquelles des normes courantes en agro-alimentaire : ISO 22000, norme BRC, norme IFS, etc.), et de très nombreuses entreprises françaises l’utilisent déjà.

De très nombreuses entreprises, oui, mais pas toutes, et celles qui l’appliquent ne l’appliquent pas toujours très bien, d’autant que les différentes instances exigeant cette méthode ont parfois des vues divergentes, et que les services de contrôle avaient du mal à se retrouver dans cette jungle foisonnante. Tout le monde doit donc revoir sa copie et présenter un plan HACCP actualisé, et aussi apporter les preuves qu’il fonctionne.

Il a fallu donc inventer pour les services officiels (services vétérinaires principalement) une méthodologie de contrôle de ces plans, ainsi qu’une méthodologie d’appréciation. Et du coup, former tous les agents concernés, au niveau national, pour les fédérer autour d’une méthode unique et d’une appréciation harmonisée. Et aussi leur faire connaître les bases de cette méthode HACCP, parfois mal implantée dans leur culture.

Une traçabilité à toute épreuve

"De la fourche à la fourchette" ou "de l’étable à la table", comme on veut, le maître-mot est la traçabilité. A toutes les étapes de la production, on doit pouvoir savoir d’où vient la denrée, et où elle va. La crise de l’ESB (maladie de la vache folle) a eu ceci de bien qu’elle a forcé toute une filière à mettre en place une traçabilité très précise, et depuis plusieurs années, les systèmes d’assurance-qualité ont implanté cette notion essentielle. L’objectif est de pouvoir, le plus vite possible, provoquer en aval le rappel d’un produit défectueux (ou dangereux) si on repère un défaut en amont, ou inversement, d’intervenir en amont chez un producteur si on détecte un problème en aval

Cette traçabilité est déjà bien passée dans les moeurs dans le secteur agro-alimentaire, elle devient maintenant un pilier du système.

Néanmoins, la coordination entre agriculteurs, éleveurs, fabricants d’aliments pour animaux (soumis d’ailleurs au même régime que les producteurs d’aliments pour humains), abattoirs, distributeurs, grossistes et industriels n’est pas si simple que cela.

Des services officiels transparents

L’action des services de contrôle est également refondue par le "paquet hygiène". Elle doit être soumise à l’assurance qualité : documentée, tracée, responsabilisée, et soumise à des audits. Pour la France, le choix a été fait de la norme ISO 17020/NF EN 45004, et l’accréditation des services vétérinaires pour 2008 est l’objectif affiché.

Chaque intervention doit donc être documentée (matérialisée par un écrit signé et daté), référencée clairement dans une base de données nationale, et doit faire l’objet d’un suivi également rigoureusement documenté.

Notons que la DGAL (Direction générale de l’alimentation) met au point des guides d’inspection nationaux, et des grilles d’inspection, destinés à s’assurer que chaque entreprise sera inspectée dans des conditions identiques et évaluée avec les mêmes critères.

Il est également prévu dans les règlements que les contrôles puissent être " délégués " à des structures externes (privées, par exemple). Ceci a pu faire naître quelques inquiétudes chez les salariés de ces services officiels.

Et en France, où en est-on actuellement ?

La réforme est bien engagée. Les services de l’Etat ont lancé leur plan de formation interne, et se donnent deux ans pour mettre en place les nouvelles règles.

Les grandes entreprises du secteur avaient déjà largement anticipé. En effet, la plupart sont déjà sous assurance qualité, et elles ont à faire face depuis plusieurs années à des exigences accrues des distributeurs, pour lesquels il est nécessaire de disposer d’un plan HACCP. En revanche, elles en sont pas forcément habituées à subir un audit supplémentaire par l’Etat de leurs procédures HACCP, avec son cortège de normes et de critères parfois légèrement différents de celui des auditeurs privés (ISO, normes BRC, norme IFS...). Mais tout est déjà bien balisé.

Pour les petits, une charge supplémentaire ?

Pour les PME qui ne se sont pas encore engagées dans de tels processus (elles sont rares), le coût de la mise à niveau peut représenter un réel problème : formation des opérateurs, mise au point et rédaction du plan, investissements dans des systèmes de contrôle, appel à des experts, etc. Le rôle des structures de filière devient un repère important pour elles. De plus, on assiste depuis le début de l’année à une explosion surprenante (enfin...) du nombre de " consultants HACCP " indépendants à destination des PME, ce qui accroît l’incertitude : à qui s’adresser ? Comment choisir un consultant ? A quel tarif ?

Quant aux " tout-petits ", le " paquet hygiène " est souvent perçu chez eux comme une contrainte supplémentaire, et la " responsabilisation " parfois ressentie comme un piège dangereux. Bien que tous soient d’accord pour reconnaître l’importance de la traçabilité, par exemple, l’expression plan de maîtrise sanitaire paraît un peu impressionnante. Un effort de pédagogie des services officiels paraît nécessaire.

Notons que les règlements prévoient d’emblée des mesures de " flexibilité ", destinées à assouplir les exigences pour les petites structures. Bien que le mot petite (small) ne soit pas défini clairement, il faut saluer cet effort de réalisme sur ce point des autorités européennes (en l’occurence, de la Commission).

Et pour l’avenir ?

Une fois en vitesse de croisière (soit : tous les agents de l’Etat formés et toutes les entreprises sous système HACCP), nous disposerons d’un système encore plus fiable et transparent permettant d’intervenir encore plus vite et plus efficacement en cas de problème - et surtout, avec encore moins de problèmes !

L’action de l’Etat sera plus claire, mieux harmonisée et de meilleure qualité.

L’expérience des USA à cet égard est éclairante : ayant adopté il y a une quinzaine d’années une réglementation analogue (responsabilisation et HACCP obligatoire), leur nombre de toxi-infections d’origine alimentaire a baissé de façon spectaculaire.

Reste que pour les petites structures, il s’agit d’un effort réel de mise à niveau.

Et pour l’Etat, il s’agit d’un changement de culture important, nécessitant aussi un effort de taille en formation, et peut-être en réorganisation à terme.

En ces temps de suspicion généralisée envers l’Etat, l’Europe et l’alimentation en général, il est assez rassurant de voir arriver un règlement clair, apportant davantage de souplesse et de responsabilités aux professionnels, et de transparence à l’action de l’Etat.


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