La marinière du muguet
par C’est Nabum
jeudi 1er mai 2025
À pied, à cheval, en bateau
Elle nous mène en bateau…
Comme chaque année, le premier mai en Orléans, une manifestation laisse historiens et forces de sécurité dans la plus totale expectative. Une jeune fille, bien sous tous rapports et sans la moindre nécessité, arrive en haut du port Saint Loup, là où en 1429 se dressait la seule bastille anglaise qui barrait symboliquement l'accès Est de la ville pour se jeter à l'eau.
Fort du peu d'empressement des assiégeants de cerner totalement la cité, le ravitaillement par la porte de Bourgogne pénétrait sans trop de mal. C'est donc tout naturellement le trajet qu'empruntera l’héroïne véritable, venant de Blois avec des vivres pour les habitants de la ville d'Orléans qui après avoir fait un long détour touristique par la Sologne pour contourner les défenses anglaises, a traversé la Loire le jeudi 27 avril 1420 à hauteur de la ville de Chécy à une dizaine de kilomètres de la ville assiégée.
C'est là l'occasion pour la jeune bergère de montrer sa relation intime avec les forces surnaturelles. Ce jour-là, un puissant vent de soulaine interdit aux chalands des mariniers d'Orléans de se porter vers le convoi de la demoiselle : il leur faut en effet remonter le courant à la force des voiles. La Lorraine pose un genou à terre pour une prière qui inverse le vent. Ainsi, les bateaux viennent à elle pour faire traverser tout le convoi logistique tandis que les soldats qui accompagnaient la bergère s'en retournent à Blois.
Les autorités gardent la Pucelle à l'abri de la foule qui l'attend avec ferveur en lui faisant passer un nuit au château de Reuilly. Elle ne fait son entrée qu'au soir du vendredi 28 avril dans une cité en liesse tant son arrivée a été précédée de rumeurs folles. Le lendemain, le samedi 29 avril la jeune femme se rend auprès de Dunois pour se plaindre amèrement de l'absence de soldats à ses côtés. Elle l'implore de se rendre à nouveau à Blois pour que reviennent les troupes qui l'avaient accompagnée.
Le dimanche 1er mai, Dunois obtempère et se rend à Blois où séjourne Charles VII. Il va tenter de satisfaire la demande d'une Jeanne qui n'a rien d'autre à faire qu'attendre. Il n'est donc pas question pour elle de traverser la Loire à Saint Loup comme nous le laisse supposer cette plaisante animation. D'une part parce que la Bastille sise en ce lieu ne sera attaquée et prise que le mercredi 4 mai et que d'autre part, en l'absence de Dunois, il n'est pas question de bouger.
Mais revenons à l'époque moderne. Se pose alors le motif réel de cette animation qui met en péril une jeune fille armée de pied en cap, portant armure, que l'on transporte sur une Loire capable de bien des traîtrises puisqu'elle nous vient de Bourgogne. C'est la raison d'une garde rapprochée pour celle qui a l'honneur de personnifier l’héroïne, des sauveteurs prêts à intervenir au moindre problème.
Pourquoi diantre une telle entorse à la chronologie historique ? Il se peut que ce soit la simple et innocente volonté d'occuper une journée fériée par une manifestation qui va attirer les foules en proposant une animation agréable et fort spectaculaire tout autant que rafraîchissante. De beaux discours donnant ainsi une dimension officielle à cette invention qui n'est du reste qu'une belle occasion de mettre à l'honneur les nouveaux mariniers de l'ère moderne.
Il se peut aussi qu'il y ait une intention plus retorse en mettant le défilé syndical du premier mai en concurrence avec une activité festive qui va détourner les véritables orléanais de vulgaires considérations qui n'ont pas de mise en cette cité vouée à l'union sacrée de l'église, l'État et l'armée, Jeanne étant à ce titre la plus remarquable figure pour cette célébration.
D'ailleurs, sa figure emblématique est victime d'une autre imposture quand elle sert de porte oriflamme d'un parti nationaliste qui joue lui aussi de l'exploitation fallacieuse de l'Histoire. Curieusement, les institutions qui instrumentalisent la légende et l'histoire de la Sainte fort tardivement, sont les mêmes qui l'ont trahie dans la véritable épopée. On peut aisément supposer que c'est le peuple qu'on mène ainsi en bateau alors que c'est lui qui fit la gloire de la gentille Jeanne.
La suite est bien plus connue de tous et se passera de la marine de Loire à l'exception de ce Chaland en feu placé sur le pont des Tourelles le 7 mai 1429 qui mit hors d'état de nuire nombre des anglais qui fuyaient la citadelle et périrent de manière prémonitoire dans les flammes ou la Loire.