Une curieuse prédestination

 

Nom de nom.

 

Il est des noms qui imposent à leur dépositaire des comportements qui peuvent surprendre à qui en ignore la cause. C'est ainsi que pour beaucoup, le comportement de Monsieur Lacoste avait de quoi laisser les gens pour le moins dubitatifs. Il se peut même qu'il passât pour dément pour la grande majorité d'entre eux.

Ainsi tout gamin, René qui était né pour être enfant de la balle après sa jaunisse, avait souhaité jouer au basket avec une spécificité dans son jeu qui laissa perplexe ses éducateurs. En dépit des règles qui régissent ce sport, le jeune Lacoste investissait la raquette dans le camp adverse sans jamais vouloir en sortir. Une manière d'agir qui loin de couper le sifflet aux arbitres, provoquait des fautes à répétition.

Puis grandissant un peu, il se mit en tête de pratiquer assidûment les activités de montagne. Craignant de se retrouver sur une pente glissante, il jeta son dévolu sur la randonnée hivernale en raquette sans percevoir la raison de ce penchant qui se confirmait une seconde fois. Malheur à qui du reste eut souhaité lui mettre des bâtons dans les roues, il se fut exposé à une réaction en chaîne avec effet boule de neige.

Puis le dérèglement climatique le poussa à changer d'horizon. Il laissa la montagne pour mettre le cap sur l'Égypte et multiplier les croisières sur le Nil. « Cette fois, personne ne me parlera de raquette pour expliquer ma nouvelle passion », disait-il sans même percevoir l'ironie de son propos. Qui lui aurait répondu que c'est quasiment la même chose, eut passé pour un imbécile et notre ami en aurait eu une dent contre lui.

Avec la maturité, il se mit à se préoccuper de divination. Curieuse inflexion de la personnalité, il se fit le grand spécialiste de l'interprétation des lignes de la main. Quand ses yeux se portaient sur la paume d'une main, c’était un jeu pour lui que de décrypter l'enchevêtrement de ces sillons qui portaient pour lui de mystérieux messages.

Ses amis commencèrent à s'interroger sur ce qu'ils prenaient désormais pour des excentricités qui passaient du coq à l'âne sans fil conducteur. Ce fut justement une remarque de cet ordre qui le poussa à changer une fois encore son fusil d'épaule en devenant pêcheur professionnel en Loire. Il se fit le grand spécialiste du filet dérivant, de la senne et de l'épervier, se refusant de pêcher aux engins.

Puis, un premier avril, comme de bien entendu, il laissa tout tomber pour se jeter à l'eau ou plus exactement dans une tout autre activité. Il proposa ses services au journal local pour devenir pigiste et se faire le spécialiste des entre-filets et de la rubrique tennis. C'est ce qui lui mit la puce à l'oreille : son nom guidait ses différents penchants, il en était désormais convaincu.

Fort de cette compréhension, certes un peu tardive, il se jura de se débarrasser de ce fardeau en passant radicalement à autre chose. Il se dit qu'il devait enfin trouver un peu de stabilité, histoire sans doute de pouvoir enfin se retourner sur son histoire personnelle. Il entra dans un garage automobile pour devenir installateur de galeries.

La mode des coffres de toit notamment lui ouvrait de belles perspectives d'avenir si ce ne fut un comportement des plus curieux qui tout d'abord interrogea son employeur puis le contraignit à le licencier. Notre bon Lacoste passait le plus clair de son temps à dire des âneries, des sottises et de curieuses plaisanteries aux dispositifs de fixation qu'il installait sur le véhicule. Quand on l'interrogeait, il répondait invariablement : « J'amuse la galerie ! ».*

Il trouva finalement sa voie le jour où il se fit embaucher par un certain Davis, coiffeur de son état. Il devint virtuose de la coupe aux ciseaux pour le plus grand bonheur des clients qui faisaient en sorte de ne jamais lui demander de teinture. Dans le cas contraire, en dépit de leur demande, ils se retrouvaient avec une seyante teinture jaune ou bien orange sur le cuir chevelu.

Décidément, on ne s'appelle pas René Lacoste impunément !

* Le jeu de paume est l'ancêtre des jeux de raquettes modernes. Le long du terrain de jeu se trouvait une galerie, une allée couverte destinée aux spectateurs venus assister à la partie. Le terme a fini par désigner les spectateurs eux-mêmes, puis par extension l'opinion publique.