Au risque de péter un plomb…

par Fergus
lundi 9 août 2021

Au cœur de cet été rendu tristounet par les contaminations au variant delta, les contraintes liées au passe sanitaire, et une météo maussade, voici un petit épisode de la vie parisienne, librement inspiré par une anecdote authentique ; il nous est raconté avec toute sa gouaille par la jeune Antoinette…

Café rue Vieille-du-Temple à Paris

Six mois qu’on avait acheté ce Stentor sur eBay, faute de réagir aux alarmes de nos smartphones. Six mois, et déjà trois pannes à son actif. Saleté de réveil de merde ! Résultat : propulsée par une main vengeresse, l’horlogerie défaillante était allée violemment percuter le pied de la commode IKEA en agglo plaqué chêne. Combat inégal : la Suède avait gagné par K.O. Quant à Marion – ma coloc’ – et moi, nous avions entamé une course contre la montre pour tenter d’arriver à peu près à l’heure au bureau de la compagnie d’assurances qui nous employait.

Peine perdue : malgré une douche ultra-rapide, un habillage express et l’abandon du p’tit dej’, nous étions parties avec une bourre d’une demi-heure au bas mot. Remarquez, moi je n’en avais pas grand-chose à cirer, mon chef étant plutôt du genre cool. Mais Marion risquait de se faire voler dans les plumes par la daronne de son département, une harpie quinquagénaire aigrie par sa ménopause qui ne supportait pas le moindre manquement à la discipline ni le plus petit retard. Surtout de la part de meufs plutôt bien roulées qui, chaque jour ouvré, lui rappelaient à quel point elle avait morflé durant son demi-siècle d’existence. C’est pourquoi, solidaire avec ma copine, je me hâtais avec elle vers la station de métro Saint-Paul. N’empêche que j’avais la dalle.

J’ai tenu bon jusqu’au débouché de la rue Ferdinand-Duval.

─ Jamais je tiendrai sans bouffer. Déjà qu’en temps normal j’ai des crampes d’estomac dès onze heures... Et zut ! Tant pis pour le retard, file sans moi, faut que je fasse une escale ravitaillement dans un rade.

─ Après tout, t’as raison ! approuva Marion après un instant d’hésitation. Je t’accompagne. Au point où nous en sommes, on n’est plus à un quart d’heure près. Nique sa race à la mère Hannebique !

Quelques minutes plus tard, nous étions installées rue Saint-Antoine au zinc d’un bistrot à l’ancienne devant un grand crème et une corbeille de croissants chauds.

C’est en ingurgitant ma dernière bouchée de viennoiserie que je découvris l’intrus : un morceau de ferraille de la taille d’une lentille. Incroyable ! J’aurais pu me péter les crocs sur cette fève denticide ! Furieuse, je saisis l’objet entre le pouce et l’index et le brandis d’un air vengeur en direction du daron.

─ Vous féliciterez votre assassin de boulanger pour moi ! m’exclamai-je avec virulence, sans me soucier des autres clients. Tant qu’il y est, suggérez-lui les clous, le verre pilé et les éclats de silex, ce sera encore plus efficace pour ses attentats bucco-dentaires. Ce type est un irresponsable. Ou un incompétent, ce qui n'est pas plus rassurant. Si j’avais le temps, je filerais illico porter plainte chez les keufs.

Le patron du troquet, un petit rondouillard – genre François Hollande avec une moustache et quelques taches sur la chemise en plus – avait saisi l’objet et le tournait dans tous les sens en hochant la tête d’un air incrédule.

─ Ça alors, c’est la première fois que je vois ça ! Je vous jure, je n’ai jamais eu le moindre problème avec ce boulanger. Et pourtant ça fait bien quinze ans que je me fournis chez lui... Sûr que c’est un accident, un malheureux concours de circonstances, je ne vois que ça comme explication.

Le pauvre homme avait l’air sincèrement navré. Du coup ma colère s’était presque évanouie. Je n’en laissai pourtant rien paraître, bien décidée à saisir l’occasion de m’amuser un peu, quitte à me payer sa tronche.

─ N’empêche que j’aurais pu me casser une incisive et foutre ma carrière en l’air à cause d’une négligence inadmissible... J’aurais eu l’air de quoi avec une dent pétée ? Parce que moi, Monsieur, j’ai entamé au cinéma une carrière qui s’annonce flamboyante. Dès demain, je tourne avec Dujardin mon premier long-métrage en tête d’affiche. Huppert n’a qu’à bien se tenir, c’est moi qui vais devenir la grande star du cinéma français et la reléguer définitivement au rang de has-been. D’ailleurs cette pétasse l’a bien senti : depuis que j’ai donné une interview aux Cahiers du cinéma elle a tout fait pour me casser auprès de la production... Alors votre criminel enfariné, vous allez lui remonter les bretelles si fort qu’il en reste pendu au plafond de son fournil jusqu’à ce qu’il demande grâce, compris ?

─ Ce sera fait, Mademoiselle, comptez sur moi...

─ J’y compte bien, répliquai-je sur un ton sec... Combien vous dois-je ?

Le patron jeta un œil furtif de part et d’autre.

─ Laissez donc, chuchota-t-il, c’est pour moi... Dites, il va s’appeler comment votre film ?

Zut ! la question piège. Vite un titre, n’importe quoi. Faute de mieux, je m’en remis à l’actualité cinématographique…

─ Euh... OSS 117 rit jaune en mer Rouge... J’incarne une princesse saoudienne, en réalité un agent du Mossad infiltré.

Là-dessus, je remerciai, saluai et quittai le bistrot en coup de vent, Marion sur mes talons, toutes deux les lèvres pincées pour ne pas éclater de rire sous les yeux perplexes du replet limonadier.

Peu après, tandis qu’une rame de la ligne 1 du métro nous emportait vers notre lieu de travail, je fus gênée par un reste de croissant coincé entre deux molaires. Un petit coup de langue pour dégager l’intrus et... surprise...

─ Tu sais quoi, Marion ?... J’ai paumé un plombage.

─ Tu parles d’un scoop !... Attends... tu veux dire que... le bout de ferraille du bistrot... c’était ça ?

J’approuvai d’un signe de tête en tentant de réprimer le fou-rire qui me gagnait.

Note : Ce texte est un court extrait, modifié et actualisé, d’un roman intitulé Moi, Antoinette Védrines, thanatopractrice et pilier de rugby dont je suis l’auteur.


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