Bābord - Tribord

par C’est Nabum
mercredi 25 mai 2016

Beaugency - Blois

Bâbord-Tribord.

Carnet Rose

Mon arrivée à Beaugency était attendue. Le point de rendez-vous était fixé sur la rive Nord en un endroit parsemé de bouées et de balises. Ne voyant personne, j’ai préféré franchir la rivière pour aller me poser contre les berges du camping municipal. L’affaire n’est pas aisée car si le camping est fort agréable avec un personnel dévoué et accueillant, l’accostage relève du numéro d'équilibriste. Il est impossible d’aménager un ponton, faute de l’accord des autorités qui régulent la Loire. C’est stupide et dangereux mais les arcanes de l’administration se moquent de la sécurité de quelques canoéistes aventureux.

C’est couvert d’égratignures, gentiment dispensées par les ronces, que je parvins à hisser mon barda sur la berge. La rive est ici érodée, sableuse, glissante et instable. Un bonheur de tranquillité après une journée de navigation. Décidément, la vie n’est jamais un long fleuve tranquille d’autant que le ciel décida de libérer une averse de grêle pour me souhaiter la bienvenue sur terre ferme. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La dispersion des troupes était inévitable à moins de trouver un point de repli. Ce qui fut fait chez Gilles et Sabrina.

Tandis que les amis tentaient de se regrouper, je devais me consacrer à la rédaction du billet que vous avez lu hier. C’est la part la plus délicate du voyage, car cela demande temps et énergie (dans tous les sens de la notion). Je ne peux me reposer vraiment que lorsque le texte est dans la boîte tout en tâchant de répondre aux nombreux commentaires. J’espère n’oublier personne même si ce n’est pas toujours simple.

La soirée pouvait débuter et Dan prit sa guitare pour entonner « Ceux de la rivière ! » la chanson que je lui ai offerte pour son disque des copains qui sortira samedi prochain. Je serai, hélas, absent à la soirée de lancement puisque mon voyage ne sera pas terminé. Qu’importe, je me régalais de sa mise en musique et de son interprétation, trouvant dans celle-ci des intonations de Galabru chantant ses rengaines dans le juge et l’assassin. Encore un texte qui ne va pas me concilier les tenants d’une tradition en carton-pâte.

Puis nous alternâmes entre histoires et chansons, d’autant que Nicolas, l' acolyte de Dan et accordéoniste de surcroît, venait d’arriver. Il y avait des sourires autour de la table : l’esprit du Tacon soufflait sur l’assistance. La fatigue aussi, Georges, toujours malade, fila se coucher après avoir bu son second grog, médication de fortune et de circonstance. Nous le laissâmes à ses suées bénéfiques et continuâmes la soirée, sans même un remords.

Le retour sur les bords de Loire se fit dans la difficulté. Le bateau était sur un terrain en pente, peu accessible. Une fois le barda mis en place, il me fallut remonter à la force des bras le courant pour dépasser l’Île au Cerf afin de pouvoir aborder l’arche marinière dans de bonnes conditions. Le passage du vieux pont de Beaugency est redouté ; ce n’est pas pour rien qu’une légende court à son sujet : le Diable, pour berné qu’il fût a sans doute laissé quelques pièges pour se venger des hommes.

Je le franchis allégrement avec une petite frayeur cependant quand le nez de mon canoë se dressa d’un bon mètre. J’évitai fort heureusement l’aspiration sur la rive et filai pour un nouveau périple. Je laissai Georges assurer l’intendance et la sécurité à distance ; nous avions encore le passage de la centrale de Saint Laurent : cette verrue implantée sur la Loire sans qu’ait été prévue une passe pour les bateaux. Entre EDF et la Loire, le courant ne passe pas vraiment !

C’est alors que j’eus le plaisir de partager le bonheur de Monsieur et Madame Cygnes qui me présentèrent fièrement leurs cinq nouveaux-nés. Ils sont si fragiles, ils sont si mignons ! Ce sont les premiers que je vois. Monsieur gonfle ses ailes et tente de m’impressionner. Madame est sensible à mes félicitations et la rencontre se passe sans encombre. J’aimerais souhaiter longue vie à leur progéniture mais je sais les dangers et les pièges qu’elle aura à affronter. La loi de la nature est impitoyable et bien peu de petits iront jusqu’à l’âge adulte.

Je franchis la centrale grâce à Georges, Gilles et Sabrina ; l’obstacle est avalé même si la pilule ne passe pas. C’est un barrage honteux : je déplore l’absence de considération pour les usagers de la rivière et la lourde menace que fait peser cette centrale vétuste aux mille et un déboires dont beaucoup nous ont été cachés dans le passé. Mais laissons la fabrique à nuages ; nous avons l’honneur de vivre dans le pays qui insulte l’avenir des générations futures.

Je fais cap désormais sur Dyé, ce charmant village qui fut le port marchand lors de la construction de Chambord. C’est un des seuls quais qui donnent sur une première rangée de maisons, sans qu’il y ait de route. J’aime cet endroit et j’imagine l’animation qui devait y régner à la glorieuse époque. Ce matin-là, deux mariniers de Chambord : Daniel et Christian, s’affairent sur le Keiras : un passe-cheval reconverti dans la traversée des touristes de la Loire à vélo. Leur association propose également des nuitées pour quatre personnes sur deux belles toues cabanées.

Les animateurs de la maison de Loire sont trop occupés pour que j’aille les déranger. Ils encadrent une classe sur différentes activités : nature, observation des oiseaux, vélo, kayak. Ils sont en plein dans la mission d’éducation populaire de cette belle maison. Laissons-les et allons poursuivre notre périple jusqu’à l’ancien lac de Loire, la base de Blois.

À mon arrivée, Gabriel, Kéwin et Mélanie arpentent étrangement les rives de la rivière. Ils cherchent manifestement quelque chose. Bottés, ils scrutent attentivement le bord de l’eau. Militants du comité départemental de la protection de la nature et de l'environnement, ils sont à la recherche d' exuvies : ces larves qui sont en passe de devenir des libellules. Je les laisse à leur minutieuse besogne.

Ce soir, personne n’a répondu à nos appels. Nous avons planté les tentes. Un peu de repos ne peut faire que du bien après neuf soirées passées à conter et à partager. Il faut croire que le lieu ne s’y prête pas. Qu’importe !

Bonne soirée les terriens.

Printanièrement vôtre.

 


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