Vie chère. Deux yaourts et un paquet de pâtes placés en garde à vue !

par Bernard Dugué
mercredi 27 février 2008

Gigantesque opération de police économique dans les hypermarchés de la région parisienne. Quelques centaines d’enquêteurs en civils ont débarqué dans les rayons des grandes surfaces, armés de chariot, puis ont saisi pots de yaourt, paquets de riz, de pâtes, boîtes d’œuf et tout ce beau monde s’est retrouvé au commissariat de la concurrence pour un interrogatoire musclé. 48 heures de garde à vue, en espérant que la brigade des hausses de prix puisse faire avouer les coupables et procéder à une instruction médiatique et politique. Il faut dire que le délit est grave. Des produits sont suspectés d’attenter au budget de la ménagère. Qui plus est, de commettre un outrage à notre président du pouvoir d’achat. Cette menace de terrorisme budgétaire a été prise au sérieux par le gouvernement Fillon, auteur de cette opération coup de poing qui restera dans les annales. Les voyous de l’inflation seront pourchassés et sévèrement grondés. Et le président approuve, revendique ce coup de gueule car c’est là qu’il peut limiter sa descente dans les sondages. Avec bien évidemment des bavures. Tenez, une boîte d’œuf a été malmenée, et l’on a retrouvé trois œufs cassés sur le sol, après cette interpellation musclée. Dans le rayon pâtes alimentaires, des spaghettis ont été brisés en centaines de morceaux. Alors qu’un pitbull a digéré en une minute cinq paquets de jambon blanc avec l’emballage plastique et l’étiquette, du coup, on ne peut plus relever le prix du délit. Mais quelques consommateurs témoins de l’altercation ont filmé les événements et, depuis, une vidéo sur Dailymotion fait un buzz d’enfer. On y voit ces pâtes jonchant le sol, avec des débris de coquilles d’œufs, témoignant de la violence de cette intervention.

En fait, voilà beaucoup de bruits pour pas grand-chose car si on lit le rapport de l’INC, sur plus d’un millier de produits, seuls 200 ont augmenté de 10 % ou plus depuis septembre 2007 dont quelques-uns significativement et même ostensiblement. La presse aime faire peur et met en avant les quelques rares produits qui par indélicatesse et cupidité partagées, ont pris 45 %, ce qui est le cas des pâtes Barilla ou des yaourts Yoplait. Eh alors, la concurrence devrait jouer. Qui empêche le consommateur de lire une étiquette et de passer à la concurrence ? Yoplait augmente et ça ne te plaît pas, alors boycott sur Yoplait, Barilla et Fleury-Michon. L’opération coup de poing porte bien son nom. Elle fait face à une insécurité budgétaire que ressentent les Français, à raison sur quelques prix sensibles, essence notamment et divers produits alimentaires, mais pas de quoi crier à la famine et à une montée des prix généralisée. Et comme pour l’insécurité des personnes, souvent exagérée et relevant d’un sentiment relayé par les médias, eh bien le gouvernement diligente une opération coup de poing pour bien montrer qu’il veille et protège les populations face à la menace des prix alimentaires. Pourtant, rien n’autorise à parler d’un délit ni d’une entente car dans d’autres lieux et d’autres marques, on trouvera des produits similaires sans les augmentations faramineuses lancées par les médias pour impressionner les foules sentimentales parcourant les allées des centres commerciaux.

Cette opération grotesque traduit bien les mœurs de la France et le maternage étatique doublé de l’effet d’annonce médiatique. Au lieu d’une opération coup de poing, le gouvernement aurait dû répondre aux consommateurs que s’ils trouvent des produits trop chers, qu’ils les boycottent et passent à la concurrence. Mais cela eut été jugé provocateur et indécent, surtout que les municipales approchent. A l’ère postmoderne, Robin de Bois est déguisé en Sarkozy et tente de baisser les prix.

Comme tous les Français ordinaires, je fais mes courses et si Fillon en faisait de même, il saurait que la concurrence fonctionne et qu’un consommateur est censé savoir lire un prix. C’est ce que je fais et parmi les produits que j’achète, je n’ai pas remarqué d’augmentation aussi spectaculaire. Le pain polka est depuis des mois à 1,20 euro pour 400 grammes et les pâtes à 0,43 euro les 250 grammes, alors que la canette 50 cl de bière polonaise coûte toujours 0,34 euro. Il faut dire aussi que je prends souvent des marques génériques, notamment en fréquentant une enseigne de supermarchés, que je ne citerai pas, mais qui serre ses prix et qui, de plus, pratique le discount sur les produits frais arrivant près de la date limite. Ce matin, sur France Inter, une dame se plaignait qu’un magasin discount ouvre près de chez elle, proposant un déstockage de ces produits qui, pourtant, restent encore frais. Beurk ! Disait la brave femme, on ne veut pas ça chez nous. Et pourtant, combien de familles aux revenus modestes seraient disposées à consommer ainsi, ce qui, du reste, évite de balancer les produits à la poubelle. J’avoue avoir le congélo rempli de ces produits frais soldés à la moitié du prix, voire un peu plus. Et je ne suis pas mort pour autant.

Décidément, ces attitudes traduisent quelques aspects du citoyen français formaté pour ne pas se prendre en main et, sans doute, quelques rares industriels et distributeurs, flairant ce trait, appuient sur le champignon de l’inflation. Et les médias sur la désinformation ou, du moins, l’information sélective pour paniquer les gens. Pourtant, ce grand hypermarché dans la plaine du Var, près de Nice, est fréquenté par des Italiens venant faire le plein de produits manufacturés, comme quoi nos grandes surfaces ne sont pas si chères qu’on ne le dit. A l’inverse, les Niçois vont sur le marché de Vintimille où d’autres affaires s’offrent au consommateur averti. Pas seulement des contrefaçons vendues sous le manteau, des tomates, du basilic, des fruits et légumes du soleil ! En fin de compte, le plus efficace des instruments contre la vie chère, c’est l’information et c’est d’ailleurs de cette manière que peut fonctionner une saine concurrence et qu’on peut influer sur son pouvoir d’achat. Autre exemple, la boîte d’oxyboldine, vendue en pharmacie, peut aller de 2,90 à près de 5 euros. Au consommateur d’user de ce pouvoir. Au lieu de tout attendre du croisé Fillon parti en guerre contre la vie chère et sauver Sarkozy du tombeau des sondages.


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