Du passé faisons table rase !

par Christian Le Meut
jeudi 29 décembre 2005

Soyons modernes, mesdames messieurs, il n’y a que ça de vrai, la modernité. Alors allons faire un tour du côté des États-Unis, le fleuron mondial de notre modernité contemporaine. Là-bas, les 125 habitants du village de Clark ont décidé de changer le nom de leur commune. Non pas pour lui donner un plus joli nom, ni pour honorer une personnalité ou un fait historique qui se serait produit là... Non, rien de tout ça. Les 125 habitants de Clark ont tout simplement troqué le nom de leur village contre celui d’une marque ! La marque de bouquet numérique appelé Dish, comme il y a Canal satellite ou TPS en France. Une fois abonné à un bouquet numérique, et après avoir installé une antenne ad hoc (ou le câble), vous captez 20, 30 ou 140 chaînes que vous n’avez pas le temps de regarder ! Ou si vous l’avez, le temps, vous risquez vite une overdose de crétinisme télévisuel ; quant aux escarres, elles suivront, à force de ne plus bouger !

Le village de Clark s’appelle désormais du joli nom de Dish. En contrepartie, les habitants ont reçu chacun une parabole, un lecteur DVD, un abonnement de dix ans à ce bouquet numérique... Et la célébrité ! Car ce coup de pub a fait parler de lui, Outre-Atlantique. Le maire de la commune, cité dans Courrier international (01/12/2005), se félicite : “Personne ne savait où se trouvait Clark, tout le monde sait où se trouve Dish”. Mais il est des notoriétés que l’on n’envie pas. Troquer son nom contre une marque, y a-t-il de quoi être fier ? Et les habitants de Dish n’ont-ils rien d’autre à faire que de passer leur temps à regarder la téloche ?

Canal-satellitiens, Canal-satellitiennes !
Transposons-nous en France. Prenons une commune un peu perdue dans la campagne, où il n’y aurait pas grand chose d’autre à faire d’autre que regarder la télé : Pontivy, par exemple, sous-préfecture du Morbihan (Pondi, en breton), troquerait son nom pour devenir “Canal satellite” ! Voilà un nom moderne, ça sonne presque science-fiction. On pourrait le prononcer à l’américaine, ce qui est le fin du fin de la modernité actuelle : “Chanel satellite”... Et puis, finis les Pontyviens et les Pontyviennes, vivent les Canal satellitiens et les Canals satellitiennes : on est carrément dans la science-fiction, la guerre des étoiles, Star Wars et tout et tout !

Ce n’est pas avec des noms comme ça qu’on conquiert de nouveaux marchés ! Modernisons : virons donc ces noms en français et en breton, tout ça s’est dépassé. Finie la sauce armoricaine, vive la sauce américaine. Vendons nos noms, nos identités, et du passé faisons table rase, comme il est dit dans une chanson célèbre... L’Internationale ! Le problème, c’est ce qui reste sur la table après : une bouteille de caca-cola et des hamburgers à regarder devant des feuilletons étasuniens... Que dis-je, des SOAP... Nag ur vuhez bourrapl, me lâr deoc’h ! Quelle belle vie, j’vous dis !

Et le mandarin ?
Mais, qui sait, d’ici vingt ans, l’anglais lui-même sera peut-être dépassé par le mandarin... Qu’est-ce que c’est cet oiseau-là, vous demandez-vous peut-être ? Eh bien, c’est la langue officielle en Chine, et la langue la plus parlée dans le monde. Et là, Pontivy est à la pointe de la modernité, puisqu’on y étudie le chinois dans un lycée, juste après y avoir laissé tomber le breton. Loin de moi l’idée de critiquer l’enseignement du chinois, c’est une ouverture linguistique et culturelle ; ce qui me pose problème, c’est qu’on abandonne le breton, preuve au contraire d’une fermeture culturelle cette fois, voire d’une fermeture sur soi-même et sur son environnement immédiat, phénomène qui mériterait d’être analysé. Mais je ne suis pas psychanalyste...

Allez, dalc’homp berr, tudoù ! Tenons bon, mesdames messieurs, de la belle ville de Pontivy, de Bretagne ou d’ailleurs. Et surtout, ne vendons pas nos noms à des trafiquants d’illusions.


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