Et si la Russie adhérait à l’Union européenne ?
par Vincent Perrier-Trudov
vendredi 22 août 2008
En ces temps de tensions dues au conflit russo-géorgien, l’idée peut paraître pour le moins saugrenue, voire provocante. Et pourtant...
La nature profonde de la Guerre Froide est rarement étudiée de manière approfondie. On parle de face-à-face, de rivalité, mais, si l’on regarde la carte du monde, on s’aperçoit qu’il s’agissait avant tout d’un siège, en bonne et due forme. La stratégie américaine du "containment", mis en œuvre, par exemple, en Corée et au Vietnam, illustre parfaitement cette situation. Le financement par la CIA des contrats en Amérique latine, le renversement d’Allende par Pinochet en sont d’autres exemples. Le balancier évoluait en fonction des tentatives de l’URSS de briser l’encerclement, porter l’attention ailleurs, tandis que celui des Américains était de contrer ces tentatives.
Ce but d’encerclement du monde soviétique avait pour objet d’empêcher la diffusion de l’idéologie communiste et de son mode de gouvernement totalitaire. En imposant à l’URSS, parallèlement à cela, une course technologique des armements dont son économie désorganisée était incapable d’assumer le poids, les Etats-Unis ont réussi à précipiter la fin du régime soviétique.
Que s’est-il passé ensuite ? Nous avons promis, nous, Occidentaux, lors de la dissolution du Pacte de Varsovie, que l’Otan resterait dans les limites d’avant la chute du Mur. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette promesse n’a pas été respectée. Pis encore, lorsqu’à Moscou le Kremlin regarde où sont implantées les bases américaines, qu’observe-t-il ?
Des missiles en Pologne, un radar en République tchèque, des bases militaires dans toute l’Asie centrale, un soutien et un financement affichés des leaders anti-russes en Ukraine et en Géorgie.
Voilà pour la partie militaire. Mais en ce qui concerne l’économie, qu’avons-nous fait ? La Russie, au sortir du communisme, était exsangue : des infrastructures obsolètes, des conglomérats d’Etat en déliquescence, une absence de culture d’entreprise et des classes moyennes paupérisées.
Nos grandes entreprises minières et pétrolières ont conclu, à l’époque, grâce à la complicité de l’entourage du président Elstine, des contrats dignes des plus belles heures du colonialisme, arrosant tout le monde, appareil d’Etat et mafias comprises. Et après huit années de généreuse et efficace aide occidentale, la Russie s’est retrouvée en défaut de paiement, dévaluant sa monnaie, jetant les retraités et les employés du secteur public dans la pauvreté.
Depuis, suite à la reprise en main - plutôt musclée - de l’Etat par Vladimir Poutine, la mise au pas des oligarques, et l’augmentation du prix du pétrole, la Russie est revenue dans le jeu. Sa force retrouvée, son économie en plein essor, la Russie lève la tête et ne voit autour d’elle que des bases américaines. Partout. Des projets tout aussi nombreux de contournement de son territoire pour le transport du gaz et du pétrole.
Comme si la Russie était toujours un ennemi.
Pendant les vingt années où la Russie n’a jamais été aussi peu menaçante sur la scène internationale, les Américains n’ont jamais poussé aussi loin leur stratégie de "containment". Pour quelles raisons ? Sous quels motifs ?
Il est curieux de comparer cette situation à ce que l’on a connu au début du XXe siècle. Tout le monde s’accorde à dire que le Traité de Versailles, visant à étrangler financièrement l’Allemagne et à l’humilier politiquement, a été un ferment décisif dans la montée des tensions qui ont abouti à la Seconde Guerre mondiale.
Sous une forme différente, certes, mais pour quelles raisons adoptons-nous la même attitude, un siècle plus tard ?
Pourquoi n’avons-nous pas fait la même chose avec la Russie de 1991 qu’avec l’Allemagne de 1947 ? Il est vrai que, vu le peu de générosité dont nous avons fait preuve envers les pays d’Europe centrale et orientale lorsqu’ils ont intégré l’Union européenne, nous n’étions probablement pas prêts à sincèrement tendre la main à la Russie.
Mais il n’est pas trop tard, même en ces temps troublés. Nous dépendons de l’approvisionnement en gaz russe ? Soit. Pourquoi nous acharnons-nous à contourner la Russie ? Intégrons-la !
Traiter la Russie en alliée sincère, accepter qu’elle ait son aire d’influence - comme la Grande-Bretagne avec le Commonwealth, la France avec ses anciennes colonies - et l’intégrer au sein des instances de l’Union serait le meilleur service que nous pourrions rendre à l’Europe et à la paix.
Il n’y a pas plus de corruption en Russie qu’en Roumanie ou en Bulgarie. Du point de vue culturel, la Russie est très proche de nous, en tout cas pour sa population à l’ouest de l’Oural, qui constitue la majeure partie des 142 millions de Russes. Et, pour le coup, elle est largement plus "Européenne" que la Turquie.
Bien sûr, ce ne sera pas forcément ni évident ni rapide. Mais il faut afficher l’objectif, ouvertement, et regarder sincèrement de quelle manière on peut le faire. L’Europe a commencé par la CECA. Parce qu’à l’époque c’était le charbon et l’acier qui étaient les sources potentielles de conflit.
Mettons en place une Communauté européenne du gaz et du pétrole, sur les mêmes principes, avec les mêmes buts. Bâtissons des projets concrets de coopération sincère plutôt que de jouer au chat et à la souris, en essayant d’être les plus malins dans l’accaparement des profits issus des matières premières.
Cela ne sera pas forcément facile, aujourd’hui, de faire retomber la méfiance. Nous avions une "fenêtre de tir" à l’époque, il y a vingt ans, quand la Russie découvrait le monde sans communisme. Nous avons du retard, et il est urgent de le rattraper.