Des étoiles plein la tête
par C’est Nabum
vendredi 29 mars 2019
Elle a fait le salon du livre de Paris
Très critique sur l’intérêt des salons du livre, j’avais illustré mon billet avec des clichés d’une amie : Jocelyne Bacquet, présente à Paris lors du plus grand salon du livre. Je lui avais proposé de narrer par le détail et de l’intérieur ses impressions pour contre-balancer ma vision négative de la chose. Il est vrai que j’ai connu des expériences désastreuses en compagnie de simples éditeurs marchands qui semblaient ne pas aimer les livres et les auteurs qu’ils publiaient !
REVENUE AVEC DES ÉTOILES PLEIN LA TÊTE...
Tout d'abord, il y a les semaines qui précèdent. Le nez dans le guidon, on obéit aux mails de ceux qui gèrent l'organisation du truc. On remplit les papiers, les rubriques sur « l'espace exposants ». Et là, premières petites vagues agréables dans le ventre : l'espace exposants... Cool, je fais effectivement partie des exposants, je vais avoir accès aux coulisses, à l'arrière du grand machin.
Et puis, il y a la réunion des exposants, réunion préparatoire au grand jour, celui de l'ouverture du chapiteau littéraire. Et là... voyons ce plan accroché là, au mur, à la sortie de la salle et de la susdite réunion... Il est où mon stand ? Ah, ça y est, je le tiens... Waouhhhhh ! Minuscule crotte de mouche au milieu d'un immense océan de stands mastodontesques. Pas grave. Pas grave, parce que je fais de toute façon partie de la fête et de la grande représentation.
Heureuse, je suis heureuse. La crotte de mouche va tenir sa place, et bien la tenir, et toc ! Bon, dans les jours qui précèdent le jour J – 2, celui où je suis invitée à installer mon stand, les hormones bouillonnent de plus en plus, la respiration se fait parfois courte et les pensées sont carrément monomaniaques ! C'est pas du stress, c'est pas de la peur, c'est pas de l'angoisse. Non. C'est ce truc machin bizarre que les acteurs appellent le trac.
Le trac.... Jusque là, tout va bien. Je tiens le coup. Plus que ça, même. Je surfe sur une vague faite de bonheur, de hâte, de trac. Ça me porte. Heureusement, parce que c'est pas avec mon découvert d'heures de sommeil que je vais porter mes cartons de bouquins et conduire la voiture jusqu'à Paris !
Jour J – 2, mercredi : me voilà dans l'antre des festivités, y pénétrant par les coulisses. Et là... je suis résolument scotchée ! C'est tout simplement immense. Je viens de prendre conscience de la superficie du bazar : cinq hectares de salon. 50 000 M2, sur lesquels ça court dans tous les sens. Ça court sans précipitation, juste un ballet d'une incroyable précision, pour parvenir à la construction d'un événement éphémère. Tous les stands sont en train de naître, des mains expertes de menuisiers, électriciens et autres métiers du même acabit. Je croise des rouleaux de moquettes, des perceuses affolées, des visseuses assoiffées de plaques à fixer, des meubles à monter, des cartons pleins qui cassent le dos des exposants, des cartons vides qui s'agglutinent en terrils livresques, des tracteurs, des paquets de badges, des regards curieux, des regards fatigués, des regards blasés (comment peut-on se blaser d'un tel spectacle ?).
Le fond sonore qui en découle est inimitable, celui de la naissance d'un événement temporaire. Au milieu de tout cela, je taille ma route, je tire mon diable et mes valises, j'installe mon petit bazar à moi. Et voilà, je fais partie de la fête, et je viens de poser ma marque. Je n'ai pas fait pipi aux quatre coins... mais c'est uniquement parce que je suis bien élevée !
Jour J – 1, jeudi : soirée inauguration, champagne et cacahuètes ! Nous passerons sur le pique assiette qui lorgne mes cacahuètes et pirate une de mes coupes de champagne sans même dire bonjour ni merci, et nous nous attarderons sur les petites pépites : rencontre improbable d'une connaissance perdue de vue depuis mon départ d'Orléans, discussion avec un numérologue, découverte d'une maison d'édition où tout le monde est gentil (si si, ça existe), gros moments de rigolade avec une amie auteur ainsi que mon frérot et sa femme venus se joindre à moi pour ce moment unique.
Et ce soir-là, une forme particulière de silence sonore que je vous décris ainsi : j'ai fermé les yeux pour ancrer/encrer en moi cet instant magnifique, et j'ai pu entendre et m'abreuver de la résonance de toutes les voix en conversation, somme de tous les échanges, qui aboutissait à un fond sonore empli des dialogues de personnes qui refaisaient sans doute le monde. Un de ces brouhahas dans lequel on pourrait volontiers s'endormir tant on s'y sent bien... Résultat : je me sens ici à ma place, bienvenue en quelque sorte. Et pour l'instant, les festivités n'ont pas encore commencé et donc officiellement il ne s'est encore rien passé. Alors... comment va être la suite ?
Pour les quatre jours qui suivent, je passe dessus rapidement, pas de description, juste une sorte d'inventaire : rencontres, échanges, contacts, rires, surprises, fatigue, bières bien fraîches, repas sur le pouce, d'autres en grandes tablées, livres livres livres, auteurs, hauteurs, hauteur où l'on reste perché, sur son petit nuage à soi, car quand même, devenir auteur ça demande un sacré boulot ( !), conférences, imaginaire qui redémarre à mille à l'heure, plein d'idées, encore plus d'envies, impression d'avoir pu plonger durant quatre jours dans une famille où je me sens chez moi.
Je sais bien qu'il y a eu des retours négatifs sur le salon et sur d'autres événements du même type. J'ai entendu dire que la littérature était morte, termes que je n'aime pas, car comment mettre entre parenthèses le fait que chaque livre que nous prenons dans nos mains représente des centaines d'heure de travail, des tonnes de doutes, des corrections à n'en plus finir, des heures de relectures au point de le vomir ce livre qu'on aime, des espoirs, des essais, etc... Enfin bref, un auteur, quoi...
Retour aujourd'hui des organisateurs, tout frais, que je partage avec vous : 250 débats, 1 200 exposants, 3 000 auteurs et 160 000 visiteurs. Donc : 164 450 raisons d'être définitivement heureuse d'avoir fait partie de la fête et tout autant de raisons d'y retourner l'an prochain. Ce sera du 20 au 23 mars 2020, et le pays à l'honneur sera l'Inde, avec ses mille et une nuits, même si normalement c'est ailleurs, ce qui sera une excellente raison de revenir avec encore plus d'étoiles dans la tête ! À bon entendeur, salut...
Jocelyne Bacquet
Ainsi donc elle nous a livré dans son style décalé ses impressions. Je l’en remercie chaleureusement. Il est donc possible de se sentir à sa place dans cet univers impitoyable, si prompt à encenser les gens connus et à ignorer somptueusement les anonymes de la plume. Afin que Jocelyne puisse revenir au prochain salon en pleine gloire, n’hésitez pas à découvrir ses ouvrages. Merci pour elle !