Un curieux dessein

par C’est Nabum
jeudi 22 avril 2021

 

Elle avait mauvaise mine.

 

Il était une fois une dame qui n'allait pas bien. Depuis quelques temps ses amis ne cessaient de lui dire qu'elle avait mauvaise mine, une remarque si récurrente qu'elle en prit ombrage. Sa santé déclina inexorablement la laissant incapable d'assumer son métier. Elle tomba dans un profond abîme, une forme de léthargie sociale qui se trouva soudainement amplifiée par un abominable virus venu d'ailleurs.

Ce fut un choc pour celle qui broyait du noir tandis que le cataclysme autour d'elle lui fit toucher du doigt qu'il y avait des myriades de situations bien plus douloureuses que son petit marasme intime. C'est ainsi que certaines personnes dans l'adversité plongent plus encore tandis que d'autres découvrent en elles, les moyens de surnager et même de surmonter la crise.

Elle sut s'accrocher aux branches alors que tout s'écroulait autour d'elle. L'image est d'autant plus judicieuse que c'est par le truchement du crayon de bois qu’elle réalisa sa métamorphose. Il n'y avait pas plus bel outil pour déjuger ceux qui l'avaient fait plonger avec leur détestable remarque tout autant que pour libérer la pensée et l'imaginaire.

Le monde s'était enfermé dans un confinement strict. Beaucoup autour d'elle s'échappaient ou du moins se donnaient l'illusion de le faire dans l'écriture. Elle se passerait de mots pour prendre son envol, sortir du carcan et accéder à un nouvel ailleurs. Elle allait dessiner, il n'est plus beau dessein que celui de mettre en images des pensées vagabondes, des réminiscences intimes, des échappées belles.

Il lui fallait gommer une période ténébreuse, tracer à gros traits tout d'abord un avenir sinon plus radieux, mais pour le moins libéré de la pesanteur de l'heure. Le noir et blanc serait son credo, une forme d'épure pour prendre pleinement la mesure d'une technique qui lui fallait conquérir. Le temps était son allié, la vie suspendue lui laissait tout loisir de se dissoudre dans les pages de son petit carnet afin d'y retrouver vitalité et joie de vivre.

D'abord incertains, les traits se firent assez rapidement plus sûrs, trouvèrent d'eux-mêmes ce coup de main que des années de travaux manuels avaient préparé. Un style allait naître, simple et épuré pour rendre compte du présent tout d'abord. Puis elle souhaita s'affranchir de cette morosité savamment entretenue pour donner vie à ceux qui subissait comme elle la terrible contrainte. Elle ne s'en satisfit pas, il lui fallait des grands espaces, elle s'émancipa de son périmètre légal pour battre la campagne.

Un petit carnet bientôt plein, un autre prit le relais pour affirmer ses progrès et sa sérénité reconquise. Le dessin donne des ailes même quand il n'est pas fait à la plume. La pointe de bois se souvient encore qu'elle fut réceptacle à oiseaux, qu'elle leur offrit l'abri et la protection. Sa mine de graphite doit tout à Nicolas-Jacques Conté qui élabora une mine de crayon efficace et bon marché. Son mélange de graphite et d'argile qu'il fit cuire à 1000 °C fut entouré de bois de tilleul (calmant idéal) ou d'épicéa (un arbre de Noël) pour donner ce crayon qui lui redonna énergie et sourire.

Monsieur Conté méritait bien tout comme cette dame dont je tairai le nom, de se voir offrir une petite histoire. Un dessin, j'en suis hélas bien incapable n'ayant d'autre recours pour les images qui fleurissent dans ma tête que d'écrire des contes et des nouvelles. Chacun son petit carnet à spirales et revenons si vous le voulez bien à celui qui me fut offert pour illustrer un conte.

Le conte animé et enregistré viendra bien assez tôt mais auparavant, ce don merveilleux méritait bien une petite digression, une simple esquisse à la mine tendre sans user de la gomme. Si cette anecdote a fait écho en vous, ne cherchez pas dans la chimie ou bien les paradis artificiels le moyen de mieux supporter vos démons, prenez un crayon et s'il vous plaît : « Dessinez-moi un mouton ! »

 

Graphiquement sien.


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