Mots interdits, ou la dérive totalitaire de Trump
par Fergus
lundi 24 mars 2025
Trump a décidé de « déconseiller » – en réalité de bannir dans de nombreux cas – près de 200 mots et locutions des documents officiels et des sites internet gérés par son administration. Des mots et locutions dont la présence dans les synthèses des projets d’étude pourrait en outre conduire à des amputations significatives, voire à la suppression pure et simple, des crédits de recherche. Une dérive clairement de nature totalitaire...
De tout temps, les leaders des pays totalitaires ont instrumentalisé le langage. Soit en imposant une « novlangue* » destinée à abuser les citoyens. Soit en censurant des mots porteurs d’idées et de concepts contraires à leurs intérêts ou à l’idéologie qu’ils entendaient imposer. Objectif recherché : édulcorer la verbalisation des situations sociales, politiques, économiques ou géopolitiques afin de promouvoir un « prêt-à-penser » dénué de toute nuance d’analyse à des fins de mobilisation des sympathisants ou des naïfs, mais aussi d’inhibition (voire de culpabilisation) des opposants et des indécis.
À l’image de Hitler et Mussolini, puis des dirigeants soviétiques ou russes – de Staline à Poutine –, ou bien encore des dirigeants chinois, tous les autocrates de la planète** ont usé et, pour ceux qui sont toujours au pouvoir, usent encore de l’arme du langage pour servir leurs desseins politiques et ceux de leurs amis de l’oligarchie. Trump ne fait pas exception, lui qui, lors de son premier mandat, avait déjà imposé le concept de « vérité alternative » destiné à travestir un nombre ahurissant de faits sous la forme d’affirmations fallacieuses ou de publications déformées (The Washington Post en a comptabilisé 30 573 en janvier 2021).
Dopé par sa réélection, le président des États-Unis va désormais encore plus loin dans sa dérive manipulatrice en censurant près de 200 mots et locutions porteurs à ses yeux de concepts idéologiques contraires à ses intérêts personnels et à ceux de ses amis de la finance et de l’industrie, au premier rang desquels les patrons de la « tech » dont Musk est l’exemple le plus voyant, pour ne pas dire le plus caricatural. Que ce soit au plan intérieur ou au plan international, Trump, Vance et leurs communicants visent clairement à diffuser une vision formatée de la société, mais également de la géopolitique.
Sont notamment ciblés par les oukases présidentiels les termes qui se rapportent au climat et à l’industrie, tels « changement climatique », « gaz à effet de serre » ou « pollution », et à ce que les républicains radicaux voient comme d’insupportables dérives sociétales imputables au wokisme : « discrimination », « diversité », « exclusion », « genre », « identité », « LGBT », « minorité », « oppression », « racisme » ou « ségrégation ». Même des mots ou locutions comme « égalité », « femme », « handicap », « santé mentale » ou « sexe » sont nocifs aux yeux des censeurs de la Maison blanche !
Dans de telles conditions, il semble difficile, voire impossible dans de nombreux cas, pour les chercheurs et les universitaires de solliciter des subventions publiques pour financer des études portant sur l’environnement, l’industrie ou les sciences humaines. Ce constat atterrant, ajouté à la suppression du département de l’Éducation ainsi qu’à à la censure, non moins consternante, d’environ 10 000 livres dans les bibliothèques gérées dans tout le pays par les conservateurs radicaux étasuniens, dessine une réalité désespérante. Elle porte un nom dont on pensait naïvement qu’il ne pouvait avoir cours dans les pays occidentaux : l’obscurantisme !
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir des États-Unis – une nation résolument impérialiste et presque toujours prédatrice au plan économique –, force est de reconnaître que ce pays a produit des intellectuels et des chercheurs de grande valeur dont beaucoup ont été, à juste titre, récompensés par un prix Nobel. C’est pourquoi la communauté scientifique internationale observe avec une sidération mêlée d’effroi ce qu’il se passe aux USA depuis la nouvelle investiture de Trump à la Maison blanche et la nomination à ses côtés de personnalités improbables, toutes utilisées comme exécutrices des basses œuvres.
Il faut se rendre à l’évidence ; l’éducation, la santé, le lien social, la recherche scientifique sont désormais gravement menacé(e)s par le totalitarisme en marche dans le pays. Cela aura, n’en doutons pas, des répercussions planétaires dont on ne mesure pas encore les conséquences. Et c’est assurément une calamité !
* Traduction du mot newspeak qui désignait la langue d’Utopia dans le célèbre roman 1984 de George Orwell.
** Dans des proportions nettement moindres, il existe également des abus dans les démocraties, notamment en matière d’usage de ce que l’on nomme communément « langue de bois ».
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