Une taupe à la Maison blanche

par Olivier Foreau
samedi 21 juin 2025

Il est bien naturel qu’en tant que sous-étatsuniens, nous ayons suivi les élections américaines avec comme toujours, un mélange d’espérance et de sueurs froides. Il faut dire aussi que tous les quatre ans, c’est notre avenir qui se joue : contre qui serons-nous en guerre l’an prochain ? À quelles nations aurons-nous encore le droit d’adresser la parole ? Quels groupes terroristes financerons-nous, quels apartheids cautionnerons-nous, à quels génocides collaborerons-nous ? Autant de questions en apparence anodines, mais relevant de l’essence même de ce que nous sommes : un peuple libre et souverain, guidé par ses valeurs.

Une perte indicible

Ce n’est pas sans raison si le 5 novembre dernier nous avons eu la sensation, désormais familière, de vaciller dans l’abîme. La débandade vertigineuse du camp démocrate a été comme un coup de tonnerre dans le ciel livide de nos derniers espoirs : comment un pays qui a été capable d’élire Joe Biden, a-t-il pu passer à côté de Kamala Harris ?

Avec elle, c’est une nouvelle part de nous-mêmes qui s’effondre. Son programme visant à « tourner la page » tout en continuant à faire exactement la même chose, avait tout pour nous séduire. Et la force de ses engagements, comme par exemple son soutien sans faille à l’anéantissement des habitants Gaza, n’a laissé personne indifférent. Avec elle, la gauche mondiale vient de perdre une de ses figures les plus inspirantes, du calibre d’une Sandrine Rousseau, voire même d’une Marlène Schiappa.

Une approche visionnaire des conflits mondiaux

De part et d’autre de l’Atlantique, beaucoup s’interrogent : que va-t-il rester de la démocratie ?

Des conséquences incalculables

Depuis longtemps, nous savons à quoi nous en tenir sur Donald Trump. Nous ne connaissons que trop ses pulsions extractivistes, et son penchant extrême-droitier pour le climato-dénialisme. Comment ne pas voir, dans son projet insensé de réhabilitation des pailles en plastique, une attaque sans précédent contre la vie sur terre ?

Avec lui, il existe un risque très important de régression dans la lutte contre le réchauffement climatiques’alarme Emmanuel Macron« Donald Trump et les climatosceptiques prêts à inonder la Maison Blanche »surabonde avec empressement l’ex quotidien d’opposition L’Humanité. Une fois de plus, nous voilà au bord du gouffre : pour continuer à transiter vers le vivant, il va falloir redoubler d’efforts.

Bulletin paroissial des minorités souffrantes, Mediapart a su mieux que personne traduire ce qui se passe en nous, sous la plume inspirée de Carine Fouteau [1] : « l’avalanche trumpiste va s’abattre sur le monde »prophétise la nouvelle Cassandre des éplorés de la classe moyenne, qui fustige à pleins poumons un raz-de-marée fascistoïde et viriliste« Pour s’opposer à la catastrophe », recommande-t-elle, « il est urgent de la regarder en face ». C’est précisément ce que nous avons l’habitude de faire.

La tentation du scepticisme

Pourtant, rien ne laissait présager l’ampleur du désastre. « Autour de Kamala Harris, une nouvelle génération enthousiaste »titrait trois mois plus tôt le même Mediapart« La bataille s’annonce serrée »pronostiquait-il le mois suivant, à l’unisson de ses collègues de droite comme de gaucheFrance 24 évoquait pour sa part un « début de campagne radieux »« le retour de l’enthousiasme, visible dans les sondages », et une candidate « extrêmement compétitive dans les états-clés ». Le fait qu’au final, elle n’en ait pas remporté un seul ne peut que nous questionner sur la nature exacte de cette compétitivité extrême.

Comment des éditorialistes aussi chevronnés que les nôtres – ceux-là même qui avec trois ans d’avance, avaient prédit l’effondrement de l’économie russe, et la victoire imminente de l’Ukraine – ont-ils pu miser à ce point sur le mauvais cheval ?

N’aurait-il pas mieux valu nous avertir, plutôt que nous bercer d’un vain espoir ?

Confrontés à l’impensable, certains d’entre nous ont pu être tentés par le doute, quitte à faire le lit des scepticismes, voire le jeu des extrêmes. Mais est-ce bien le moment de sombrer dans des jugements hâtifs ?

Circonstances atténuantes

À la décharge de nos limiers de l’info, rappelons tout d’abord que s’ils ont cru jusqu’au bout à la victoire démocrate, c’était en toute bonne foi : comment pouvaient-ils deviner que finalement, Trump ne serait pas assassiné ? D’autre part, qui aurait pu imaginer qu’un candidat proposant quelque chose d’aussi peu mobilisateur que la fin du conflit en Ukraine, s’attirerait les faveurs du public ?

Évidemment, personne ne peut nier qu’il avait aussi des atouts dans sa manche, à commencer par sa contribution active à l’éclosion de ce même conflit ukrainien, sous forme de livraison massive de missiles Javelin dès 2017. D’autres décisions prises lors de son premier mandat, comme la mise au panier du traité FNI sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, ou l’assassinat d’un général iranien et de son escorte, ne pouvaient qu’enthousiasmer la frange progressiste de l’électorat, éprise de valeurs universelles.

En Syrie, le bilan de Trump n’a pu que plonger dans l’extase quiconque aspire tant soit peu à l’émancipation des peuples : ses sanctions Caesar, en réduisant 80% des Syriens à la famineleur ont permis de se familiariser pendant cinq ans avec les délices du progrès démocratique, avant de passer sous la houlette modérée d’un gang d’égorgeurs salafistes.

Vis-à-vis d’Israël, il a fait preuve d’une solidarité qui force l’admiration : comme nous tous, il se tient aux côtés de la seule démocratie de la région, à qui il a promis tout le matériel nécessaire pour exterminer la population de Gaza. Comme son affable prédécesseur, il comprend que ce n’est pas au moment où des amis commettent un génocide qu’on peut se permettre de les laisser tomber.

Mais malgré tous ces gages d’humanisme, peut-on vraiment lui faire confiance ? À voir sa campagne passée à brandir des menaces de paix pour le moins glaçantes, on a du mal à croire que c’est le même homme. « Négociations avec la Russie », « paix en 24 heures »… Difficile de ne pas s’affoler quand on entend de telles rengaines, qui nous ont déjà mené.e.s tout droit aux heures les plus sombres de notre histoire.

Les dangers du dialogue

Comme on va le voir, la suite n’a fait que justifier ces craintes, et nos déconvenues ne faisaient que commencer. Héraut s’il en est de nos valeurs, Manuel Valls nous avait d’ailleurs mis en garde, dès 2017, à propos de Trump : « on a oublié qu’un populiste peut vouloir mettre en œuvre son programme », confiait-il à BFMTV. En effet, quoi de plus dangereux pour une démocratie qu’un candidat qui tient ses promesses ?

En entamant des pourparlers avec Poutine, le président américain a mis ses menaces à exécution. Aveuglé par son obsession de « prévenir une troisième guerre mondiale », il entend nous priver d’une perspective à laquelle nous avions pourtant commencé à nous habituer.


Nouvelle armée des ombres, nous n’attendons plus que la livraison de notre manuel de survie, pour adopter les bons gestes en cas d’invasion post-communiste non provoquée

Lorsqu’on est au bord d’un conflit nucléaire, négocier est bien évidemment la dernière chose à faire, sous peine de tout gâcher.

D’expérience, nous savons que dans une démocratie, le dialogue n’est pas ce qu’il y a de plus recommandable : quand on porte des valeurs aussi euro-inclusives que les nôtres, aussi empreintes d’une fragile espérance, est-il prudent de se mélanger à des personnes qui ne les partagent pas, ou juste moyennement ? Comme disait si bien Josep Borrell« nous sommes des herbivores dans un monde de carnivores ». Si nous ne voulons pas cesser d’être pleinement ce que nous sommes, nous avons donc intérêt à limiter autant que possible nos interactions avec le reste du monde.

Jamais à court d’idées en matière d’autisme, notre Mozart de l’indigence a du reste pris la décision, début 2022, de supprimer purement et simplement le corps diplomatique, afin de réinsuffler de l’amateurisme dans notre politique extérieure, et d’y homogénéiser les incompétences. Comme l’a expliqué Jean Castex, spécialiste reconnu de l’équarrissage : « il faut ouvrir ce corps ».

Les retombées positives ne se sont pas fait attendre

Tohu-bohu dans le Bureau ovale

Contrairement à Macron, qui est libre dans sa tête, Trump a choisi son camp. Et ce n’est pas, loin s’en faut, celui de nos valeurs. Ce n’est pas celui de l’idéal démocratique, incarné avec tant de brio et de finesse par l’Übermensch de Kyiv. Le 28 février, nous en avons eu la confirmation glaçante dans le Bureau ovale de la Maison blanche.

En critiquant ouvertement la tenue vestimentaire de leur hôte, Trump et Vance ont-ils seulement pensé à ce que pour nous Européens, ce T-shirt signifie ? Véritable Saint-Suaire des adeptes de la dissidence participative, c’est aussi la tenue de travail qu’enfile notre sauveur quand il va soutirer de l’argent à ses homologues du monde libre. Autrement dit, un accessoire indispensable.

Comme si cette faute de goût ne suffisait pas, le président américain entendait lui faire signer un contrat prévoyant le siphonnage intégral, par les États-Unis, des ressources de l’Ukraine… Victime de son idéalisme, Zelensky est tombé dans un guet-apens : on imagine mal combien ce doit être dur à vivre, quand on est habitué à dépouiller les autres, d’être dépouillé à son tour.

Allons-nous permettre que l’Ukraine, qui a tant fait pour la démocratie, se retrouve pillée de fond en comble par un prédateur ? Pour l’empêcher, nous préférons encore la piller nous-mêmes, mais Trump ne l’entend pas de cette oreille : il veut tout pour lui, et il est prêt à nous ôter de la bouche jusqu’aux miettes dont bon gré mal gré, nous aurions fini par nous contenter.

On n’avait encore jamais vu, à la Maison blanche, la testostérone primer à ce point sur le droit. Qu’est devenu l’altruisme, à la fois douceâtre et obsessionnel, de l’Amérique que nous aimons ?

Un homme sous influence

« Quand l’actualité internationale s’affole, il est toujours passionnant de consulter Francis Fukuyama »assure L’Express. Ce n’est pas nous, résidus incertains de la fin de l’histoire, qui dirons le contraire. « C’est comme si les Etats-Unis avaient changé de camp dans la grande lutte entre régimes autoritaires et démocraties », soupire avec inquiétude le Saint-Père de la postmodernité.

Il ne croit pas si bien dire : comme chacun de nous le soupçonnait depuis le Russiagate, le problème de Trump, c’est que son cerveau est contrôlé par celui de Poutine – ce qui pourrait expliquer ses tendances ouvertement hétérosexuelles, et son goût pour la provocation en général. « Le Kremlin dirige Washington aujourd’hui », révèle sur Public Sénat Michel Yakovleff, fin connaisseur des enjeux planétaires. Pour lui, il est temps de nous rendre à l’évidence : stockholmisé par le dictateur russe, le cerveau de Trump est passé à l’Est.

Comme toujours, une analyse géopolotique de haut niveau sur Public Sénat

Autrement dit, notre allié le plus proche vient de s’ajouter à la liste, déjà interminable, de nos ennemis mortels. Que va-t-il advenir de nous ? Pour Bernard Guetta, l’heure est grave : « ces deux hommes veulent se partager l’Europe », s’émeut-il. Entre Trump et Poutine, nous voilà donc pris.e.s en sandwich par le masculinisme : une position pour le moins délicate…

Les aléas du vote populaire

À qui la faute si nous en sommes là ? Heureusement, Mediapart a mené l’enquête : « comment ne pas ressentir une énorme amertume, voire une immense colère »fulmine Carine Fouteau« à l’égard de ces électeurs qui détenaient le sort du monde entre leurs mains et ont cru voter pour leur porte-monnaie ? ». Quels que soient nos efforts, voire nos ruses, pour élever les masses jusqu’à nous, personne – même nos observateurs les plus sagaces – ne peut anticiper le vote populaire, qui est fondamentalement irrationnel.

À l’heure où nous parlons, il existe encore de nombreux pays où les électeurs, mus par des considérations aussi fantaisistes que l’amélioration de leur sort, ont tendance à baser leur choix sur leurs propres intérêts, sans toujours mesurer les risques que cela implique (élévation du niveau de vie, rayonnement diplomatique, etc.). Sur ce point ils diffèrent de nos démocraties avancées, qui votent autant que possible à l’encontre de leurs intérêts, ce qui explique, entre autres choses, l’impopularité notoire de leurs dirigeants.

Mars 2024 : taux d’impopularité des principaux leaders du monde libre

Les USA seraient-ils devenus une nation de second ordre ? Comment la plus vieille de nos démocraties, bâtie sur des valeurs aussi solides que l’esclavage, l’épuration ethnique et la ségrégation raciale, a-t-elle pu soudainement virer à droite ? Comment nos amis américains ont-ils pu rester sourds aux injonctions pressantes des médias grand public – et plus préoccupant encore, à celles de personnalités aussi déterminantes que Beyoncé, Lady Gaga ou Richard Gere ?

Il faut bien comprendre que les masses vivent en quelque sorte dans une bulle, où règne le déni de réalité. En France même, certains n’arrivent toujours pas à croire que Poutine n’en a plus que pour six mois à vivre, alors que cela fait bientôt vingt ans qu’on le leur répète. Il va sans dire qu’une telle déconnexion du réel les rend facilement influençables, et susceptibles de gober n’importe quoi : à force de traîner sur le Net, ils s’exposent à des contenus controversés, et souvent peu compatibles avec la foi dans le centre gauche. Plateformes numériques, réseaux sociaux et autres médias alternatifs forment en effet une véritable jungle, dominée par les partis pris les plus sectaires, allant de l’antinazisme à l’ukrainoscepticisme.

Plaintes contre X

À l’origine, Twitter était une plateforme où il faisait bon co-vivre : toute critique du pouvoir en place y était immédiatement passée à la trappe, et ses auteurs bannis sans autre forme de procès. Mais depuis son rachat par un ploutocrate transphobe, le réseau est devenu une porte ouverte à l’expression de ses usagers, autrement dit une menace directe pour nos valeurs.

Avec l’ingérence du peuple dans la démocratie, nous sommes entrés dans l’âge du chaos informationnel. Comment résister collectivement à ce streaming de la haine, où si on n’y prend pas garde, le mensonge, la diffamation et l’apologie de crimes contre l’humanité pourraient atteindre des niveaux aussi effarants que sur BFMTVLCI ou France Inter ?

Devons-nous attendre, pour agir, qu’Elon Musk se suicide dans son bunker ? À l’heure où aux quatre coins du monde, les conservatismes ne cessent de progresser, il nous appartient de tout faire pour conserver le progressisme, ou tout au moins ce qu’il en reste. Face au poison de l’inégalité et de la haineMediapart quitte X au grand dam des utilisateurs de cette plateforme, qui n’auront plus accès aux philippiques larmoyantes de Carine Fouteau. Leurs supplications n’y feront rien : « nous n’acceptons pas qu’un libertarien d’extrême droite nous silencie et nous enchaîne »piaffe cette dernière – car « nous refusons plus que jamais l’entre-soi », précise-t-elle à toutes fins utiles.

Quitter X suffira-t-il à conjurer le risque technofasciste ? Pour Marine Tondelier« la question de le quitter se pose bien évidemment, mais ne suffira pas : il faut l’interdire ». En effet, le boycott des réseaux sociaux, c’est un peu comme les sanctions contre la Russie : pour empêcher que cela se transforme en bérézina, il faudrait pouvoir obliger tout le monde à le faire. À défaut d’obtenir le musèlement des utilisateurs, Marine Tondelier se voit donc contrainte de « rester pour le moment »« Car si je ne défends plus l’écologie et les écologistes sur les terrains hostiles comme X, qui le fera ? »explique sans détour cette combattante forgée dans l’adversité.

Divorce à la munichoise

Une tempête brune déferle sur le monde, avec la réémergence de concepts aussi clivants que la paix, ou carrément d’extrême-droite comme la liberté d’expression. Même Facebook, bastion historique du conformisme et de la platitude, se retrouve sous les fourches caudines du premier amendement, avec pour effet un recul majeur du fact-checkingnotre dernier rempart contre la vérité. Nous voilà donc seuls, dorénavant, dans notre combat pour une démocratie basée sur des règles, et contre le retour des menaces hybrides.

« Si vous craignez vos propres électeurs, l’Amérique ne peut rien faire pour vous » : tombées comme une lettre d’adieu sur le guéridon d’une épouse bafouée, les paroles glaçantes de J.D. Vance à la conférence de Munich bourdonnent encore dans nos oreilles. Qui aurait pu imaginer que cinquante ans d’obéissance servile, d’humiliations consenties et de passivité rampante nous vaudraient une telle absence de respect ? Une fois de plus, notre naïveté nous saute au visagedéplore Jean-Marc Proust dans Slate : tels des lapins face aux phares d’un bolide, nous avons tout vu venir sans rien faire.

Mais à l’intérieur de nous, quelque chose vient de changer. En l’espace de quelques semaines, nous sommes passés de la naïveté à l’adolescence, et de l’obséquiosité à la rebellitude. Conspués en Afrique, ignorés en Asie, et pour finir lâchés par l’Amérique, nous prenons peu à peu conscience du caractère singulier, irremplaçable, de notre modèle démocratique. Valérie Hayer en est convaincue : c’est le moment pour l’Europe d’assumer sa pleine puissance, et de s’emparer du feu de l’Olympe pour éblouir le genre humain.

De la mythomanie à la mythologie, une frontière fragile

Ce ne serait pas la première fois que nous rayonnons sur le monde, et y portons le combat pour nos valeurs. Les populations indigènes, que nous avons civilisées à la mitrailleuse lourde, en gardent un souvenir ému (il y a, comme l’écrit si justement BHL« tant de suppliciés qui regardent vers l’Europe comme vers une source de lumière »). Saurons-nous renouer avec notre panache d’antan ? Sommes-nous prêts, comme nous y exhorte avec force Jean-Marc Proust, à rassembler les morceaux épars de nos valeurs communes ?

Heureusement, nous avons un président à la hauteur de nos nouvelles ambitions. Diplomate hors normes, Emmanuel Macron sait mieux que personne comment il faut parler à Trump.

Comment être crédible : les conseils d’Emmanuel Macron

En réussissant à lui tapoter furtivement la cuisse, Macron a une nouvelle fois plongé dans l’exaltation l’ensemble de nos médias, de droite comme de gauche. Mais la diplomatie, fût-elle menée par un surdoué en la matière, ne suffit pas toujours.

La voie de la douleur

En tout cas, c’est l’avis de François Hollande, qui dévoile son plan pour sauver nos valeurs : « il ne faut pas espérer séduire Donald Trump, ni le convaincre », rugit-il, car contrairement à nous, le président américain « ne comprend que le rapport de force ». « Nous devons lui faire mal, très mal », préconise l’ex, au comble de la rage. Les signes encourageants ne manquent pas : « l’économie américaine est déjà affectée »« la bourse américaine commence à fléchir »… Bref, nous avons un boulevard devant nous.

« L’industrie américaine est nulle, ce sont des tocards »plussoie Emmanuel Lechypre, tête pensante de l’économie sur RMC. On est d’autant plus fondé à lui faire confiance qu’il y a trois ans, il avait déjà dit la même chose de la Russie, qualifiée par ses soins de « nain économique et financier » : « sans les entreprises occidentales, le secteur énergétique russe ne pourrait pas fonctionner »confiait avec le plus grand sérieux ce disciple assumé de Bruno Le Maire.

Si pour une raison quelconque, nos sanctions économiques venaient à échouer, il reste l’option militaire avec Nathalie Loiseau, qui propose d’envoyer des troupes européennes au Groenland. En effet le Danemark, ayant fait don de l’intégralité de son artillerie à l’Ukraine, se retrouve dans l’incapacité de défendre nos amis inuit.e.s contre les appétits du tyran orange« L’Arctique est en train de fondre – et si nous n’agissons pas, les droits de ses habitant·es fondront aussi », alerte WeMove Europe, une organisation luttant à la fois pour l’Europe que nous voulons, et contre celle que nous ne voulons pas.

Mais c’est dans le domaine symbolique que grâce à notre aptitude à casser les codes, nous sommes les plus qualifiés pour infliger des dommages durables. « Rendez-nous la Statue de la Liberté », s’exclame Raphaël Glucksmann devant une vingtaine de partisans en délire. « On vous en a fait cadeau, mais apparemment, vous la méprisez ». Des mots forts, dont les conséquences sont toutefois à relativiser : en effet, si dans quatre ans les Américains recouvrent leurs esprits et se remettent à voter convenablement, il va sans dire que Raphaël Glucksmann pourrait reconsidérer sa position, et consentir à ce qu’ils gardent leur statue.

Résistances intérieures

Le cauchemar que nous sommes en train de vivre pourrait bien n’être au final qu’une effarante parenthèse (pour reprendre les mots de Bernard Guetta), avant le retour d’un « président normal », c’est-à-dire prêt à déclencher une guerre nucléaire, à la tête du monde libre. À nous de tenir, en attendant que tout redevienne comme avant (c’est le principe même du progressisme).

Pendant que Trump se compromet avec les pires dictateurs, nous continuons à bâtir la paix par la force : tant qu’il restera des Ukrainiens en capacité de se faire tuer à notre place, nous ne reculerons pas d’un millimètre. Car la bonne nouvelle, c’est qu’il en reste encore. BHL lui-même nous le confirme« on peut faire sans les Américains », car « militairement, les Ukrainiens sont en capacité de tenir ».

Si nous voulons redonner une chance à la guerre dans le monde, il ne suffit pas de livrer, plus ou moins discrètement, des munitions à Israël pour abattre des femmes et des enfants. Il faut renforcer le pilier européen de l’Otan, autrement dit dénicher la bagatelle de 800 milliards d’euros « pour une Europe sûre et résiliente » : un plan qui si tout se passe bien, devrait permettre de nous endetter jusqu’à l’os, sans nous faire taper sur les doigts par la Commission européenne. Bref, une occasion en or de « monter en souveraineté », comme le suggère avec bonhomie Gérard Larcher. L’autre bonne nouvelle, c’est que Trump lui-même nous ordonne d’augmenter nos dépenses d’armement. Heureusement, l’aversion qu’il nous inspire n’entrave pas notre empressement à le satisfaire : « L’Europe déploie des trésors d’inventivité pour gonfler ses dépenses militaires et satisfaire Donald Trump »titre L’Opinion du 02/04/2024[2]

Jamais dans l’Histoire, nous n’étions parvenus à un tel degré d’auto-affirmation de nous-mêmes. Nous avançons enfin vers cette autonomie stratégique que Macron a toujours appelée de ses vœux, tout en bazardant l’un après l’autre les actifs industriels du pays.

De l’ombre à la lumière

Après cinq mois de trumpisme, force est de constater que l’art du deal, si cher au président américain, peine à engranger des résultats : même quand on le lui demande gentiment, Poutine refuse toujours de capituler. C’est l’impasse totale, doublée d’un brin de lassitude.

Mais avec les représailles non provoquées de l’Iran contre Israël, un nouvel espoir s’est levé. Nous tenons peut-être le début d’un conflit mondial, et une opportunité sans précédent de défendre nos valeurs. La France se tient prête à « participer aux opérations de protection et de défense d’Israël »s’empresse de déclarer Macron, car si l’État hébreu met à feu et à sang toute la région, c’est parce qu’il « a le droit, comme chaque peuple, de vivre délivré de l’angoisse ».

Figure mythique de la lutte pour l’émancipation des peuples, Christian Estrosi se dresse lui aussi contre l’Axe du Mal

Si Trump décide de se jeter dans cette nouvelle croisade, il va sans dire qu’il pourra compter sur nous pour le suivre en remuant la queue jusque dans l’enfer nucléaire. Mais pouvons-nous compter sur lui ? Ses prises de position incohérentes, ses rodomontades absurdes et ses mensonges éhontés montrent en tout cas qu’il commence à se comporter comme le dirigeant d’une démocratie.

Ce n’est pas le moment de le décourager.


NOTES

[1] Les têtes changent, l’esprit reste : successeuse d’Edwy Plenel à la tête de Mediapart, Carine Fouteau incarne avec force la continuité au sein de notre journal d’opposition écoresponsable, réputé pour sa pugnacité à l’égard de ceux qui nous gouvernent. Que ce soit en 2017, lorsqu’il nous exhortait à voter Macron sous peine de damnation éternelle, ou à présent, lorsqu’il nous adjure de nous mobiliser à ses côtés contre la terre entière, la ligne de Mediapart n’a pas varié : aucune complaisance vis-à-vis des pouvoirs en place.

[2] « Ces cinq dernières années, les importations d’armes des États européens membres de l’Otan ont plus que doublé et dépendent à plus de 60% de l’armement américain »selon un rapport du Sipri publié le 10/03/2025. Pour nos amis d’outre-atlantique, et en particulier pour leur industrie militaire, notre montée en souveraineté s’annonce encore plus profitable que notre soumission.

NORMALOSPHERE 18/06/2025


Lire l'article complet, et les commentaires