Opération tempête des chiffres dans le désert médiatique
par Bernard Dugué
vendredi 7 mars 2008


Nouvelles du front, ce 6 février au matin. Compte tenu de la situation critique de la droite avant les municipales, une opération de communication était indispensable de la part du gouvernement. Compte à rebours, suspense, comme avant de découvrir le lauréat de la Star Ac, roulements de tambours et Devedjian de rouler les mécaniques sur France Inter et, hop, les chiffres tombent. Le chiffre officiel, magique, annoncé par sainte Christine Lagarde, est de 7,8 % et même, comme l’écrit avec zèle Le Figaro, 7,5 % dans la métropole. Un record depuis 1983 paraît-il, année ou le chômage, promesse non tenue par Mitterrand, continuait d’augmenter, suscitant la perte de 31 villes de plus de 30 000 habitants. L’opération de com a bien été menée sauf que les Français ne sont pas dupes, savent ce qu’il en est des situations réelles que vivent leurs proches. Parmi ces miracles de création d’emploi, on sait très bien qu’il y a beaucoup d’emplois de service, des temps partiels, bref, à moins d’être dans des milieux cossus, les Français savent, en causant aux copains, dans les bistrots, sur les marchés, dans les associations, chez le coiffeur, ce qu’il en est des réalités, des gens qui rament et, d’ailleurs, le chômage n’est plus le problème majeur, c’est le pouvoir d’achat.
On aura noté au passage le zèle avec lequel les rédactions ont relayé ce chiffre, pas seulement Le Figaro mais Le Monde qui en a fait une spéciale dernière minute sur son site, et Libé qui a osé un titre sur, en fin de compte, une opération bien menée puisque l’annonce se fait deux jours avant la clôture de la campagne municipale pour le premier tour. C’est tellement grotesque que personne n’y voit à redire. Les chiffres du dernier trimestre 2007 annoncés seulement un 6 mars. Que s’est-il passé dans les bureaux de l’Insee et les ordinateurs de l’ANPE ? RTT, panne informatique, problème de calcul mental. Ce délai paraît suspect. Car, chaque mois, les chiffres du chômage sont connus à la fin du mois suivant. Il faut 30 jours pour avoir les résultats or, là, c’est 70 jours. Quel sera l’impact de cette annonce ? Pas sûr que l’opération soit un succès, à moins que les Français n’aient cure d’être pris pour des imbéciles. Ah que l’on regrette Coluche. Il nous aurait fait un super sketch, un peu comme la lessive qui lave plus blanc que blanc. Genre l’histoire d’un mec qui a piqué les chiffres du chômage et qui, après de longues négociations, vient de les rendre ce 6 mars à la ministre de l’Emploi précaire. Etant entendu qu’on ne sait pas si c’est la ministre ou l’emploi qui est ici désigné comme précaire.
Opération communication dans le désert, suite. Une interview de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro, rondement menée sous l’égide d’Etienne Mougeotte. Qu’apprend-on de spécial, de nouveau, des choses que nous ignorions ? Rien, absolument rien. Une interview où le président ne dit rien. Ne parlant que de lui et de choses déjà connues. Il s’est voulu rassurant sur les remaniements ministériels, sur la rigueur, mais d’une part, la rigueur, elle est déjà dans le porte-monnaie des moins bien lotis ; ensuite, qui peut croire aux promesses d’un type qui change d’avis sur des sujets en l’espace d’un mois, voire moins. Mais c’est de bonne guerre que cette interview coordonnée, comme une belle attaque de com, avec l’annonce de Lagarde. La politique est un combat, comme l’économie. Avoir des parts de marché suppose un usage de la publicité, même si on n’en connaît pas l’efficacité réelle. Une élection, un pays, ça se gère comme une entreprise. Sarkozy le sait et sachons apprécier cette opération de communication à sa juste mesure. Et aussi se faire modeste. Tenez, j’ai quelques talents de chroniqueurs mais en lisant les propos de Sarkozy, je n’ai trouvé que du vide, rien à écrire, la page blanche, un cauchemar ! Alors j’ai fait un tour sur le blog de Jean-Michel Aphatie et, là, le type m’a scié, il a trouvé que Sarkozy a énoncé des choses intéressantes ! Eh, là, je dis chapeau et si ce journaliste est à RTL et à Canal, c’est parce qu’il le mérite, qu’il a un énorme talent, pas comme moi, modeste journaliste citoyen qui, en fin de compte, est heureux là où il est ; tout aussi heureux que Sarkozy peut l’être.
Nouvelles du front ce 6 février au soir. Rien de nouveau. Les médias de la grande messe du JT ont annoncé les chiffres. Mais la Une a été plus honnête, spécifiant les données avec ou sans métropole, pas comme la Deux s’arrêtant sur 7,5 points et la belle nouvelle depuis 1983. Et puis, sur fond de fronde des retraités, on a pu voir un reportage sur une dame dont la pension a été revalorisée d’un point et qui n’a que 571 euros sur sa fiche pour vivre. Là aussi, truquage. Car une vieille ou un vieux ne peut pas avoir moins que le minimum vieillesse, qui est de 630 euros. Ce qui est un montant indécent du reste. Bref, du « reportage salopé », comme cet appel à la compassion sur la Deux. Ce couple qui a l’air d’être bien installé, avec une maison, un canapé cuir, un écran plat d’exposition acheté en solde, un crédit certes, et qui vient se faire plaindre, comme s’il s’agissait de misérables, une insulte aux SDF et aux gens qui vivent réellement dans la précarité. Bref, le Français a tous les éléments pour s’égarer, entrer dans la confusion des chiffres, des évaluations, après la confusion des valeurs et les approximations sur l’Histoire. Si toute la misère matérielle du monde se décline dans la sphère économique, toute la misère intellectuelle du monde se dessine dans la sphère médiatique. Dans le premier cas, les gens manquent de moyens, dans le second, ils sont perfusés en overdose de chiffres et reportages tronqués ; leur intelligence noyée, contaminée. Mais tout n’est pas si sombre. Une étincelle de bon sens et d’intelligence luit en chaque homme. C’est une étincelle divine, non pas dans le cœur de l’homme comme le voudrait Sarkozy, mais dans l’esprit de l’homme. Ce n’est pas la même chose. Car cette étincelle sortant du désert médiatique, elle peut le renverser, le Sarkozy et son dessein !