Sarkozy a-t-il trahi le peuple ?
par Bernard Dugué
jeudi 17 juillet 2008
Le 21 juillet, après publication du décret présidentiel, le Congrès, c’est-à-dire les parlementaires des deux Chambres, se réunira pour voter la réforme des institutions. Quel sens accorder à cet événement politique apparemment anodin et pourtant capital pour le quinquennat du président ?
Notons une première évidence, l’emploi des mots. Combien de textes de lois sont ainsi travestis sous des dénominations plaisantes. Loi de modernisation sociale, loi sur la démocratie sociale. Les mots sont de tous les usages. Certains font peur, comme terrorisme, nucléaire, réchauffement, d’autres sont connotés positivement, comme démocratie, social, développement durable. Mais tous ces mots sont utilisés à mauvais escient. Enfin, pas pour tout le monde, puisque l’exercice du pouvoir repose sur des effets sémantiques, brandis au nom de la pédagogie, mais sans doute si inefficient qu’un chargé de communication a été désigné pour la propagande gouvernementale. Propagande, ce mot n’est-il pas exagéré ? Non dirait Ellul, la propagande est consubstantielle à la politique, que ce soit dans les dictatures ou les démocraties.
Alors, qu’en est-il de cette réforme des institutions ? N’y a-t-il pas tromperie sur la marchandise. Si le moindre commerçant s’amusait à changer les étiquettes d’un produit, à proposer une location d’une villa alors qu’il s’agit bungalow, à écouler des contrefaçons de marque, il serait traduit devant le tribunal. Pourtant, appeler réforme des institutions ce que projette Sarkozy ne sera passible d’aucune plainte devant aucune juridiction habilitée à qualifier ce qui n’est pas un délit. Car, en politique, la tromperie n’est pas un délit et c’est même un instrument fort prisé des gouvernants. Ce qui va être voté ce lundi 21 juillet, ce n’est ni plus ni moins qu’une réforme de la Constitution. Voilà ce que la presse, hélas aux ordres et peu regardante, devrait écrire dans ses colonnes. Oui, il s’agit de réforme de la Constitution, car s’il ne s’agissait que de réformer quelques institutions, la voie législative suffirait. Le Congrès se réunit pour modifier la Constitution et l’on comprend pourquoi ce mot n’est pas prononcé car il résonne puissamment, surtout depuis les votes négatifs des peuples lors des référendums sur l’Europe. Le Congrès va modifier ce qui semble être sacré pour les Français, notre Constitution, et pas que sur des points de détails si on en croit les quelques analystes présents dans les médias.
La date du 21 juillet sonne étrangement d’une divine numérologie. Hasard ou calcul. 21/7. 3 fois 7, deux nombres premiers chargés de symbole, mais laissons les cieux décider du destin. Une œuvre au noir, si c’est en une, ne peut pas passer un jour marqué par de si divins nombres. L’autre version plus prosaïque relèvera la période précise où ce vote apparemment crucial sera effectué. Période estivale. Celle où parfois, des lois pas très sociales sont votées alors que la plupart des Français sont en vacances, la presse, les spécialistes, les syndicalistes, bref, quand aucune opposition ne peut se faire entendre. N’y a-t-il pas une fourberie, une trahison dans le choix de cette période pour modifier ce socle essentiel de notre vie politique qu’est la Constitution ? Surtout dans le sens souhaité par le président qui s’arroge ainsi quelques pouvoirs supplémentaires qu’on ne désignera pas comme les pleins pouvoirs pour rester honnête. Mais une chose est sûre, la tendance présidentialiste est avérée et cette évolution n’est pas très bonne pour la démocratie.
Cette réforme constitutionnelle n’a pas créé de puissantes discussions dans les médias. On aurait dit qu’elle s’imposait d’elle-même, tel un aveu non exprimé d’une classe politique devenue inapte à résoudre les questions sociales et prête à s’en remettre à une solution quasi miraculeuse, à se défausser sur une réforme, un peu comme un pilote automobile maladroit et malhabile s’en remettrait à un constructeur, croyant que disposer d’une automobile neuve en fera un champion. Cette réforme de la Constitution offre un goût amer pour les authentiques démocrates qui aimeraient savourer un autre type de société que celle qui se dessine. Ce 21 juillet, les parlementaires n’auront sans doute pas la honte en leur âme quand ils voteront en « trahissant le peuple français ? » Souhaitons qu’il reste suffisamment de réfractaire pour entraver cette manœuvre dangereuse du pouvoir. Le bon usage des mots consiste à ne pas parler de parlementaires traîtres à la patrie. Ce serait frapper un peu fort et, de plus, passible des tribunaux. Non, circulez, il n’y a rien à voir, pas de trahison, juste une évolution nécessaire de nos institutions conduite par notre bienveillant président amoureux de la partie et agissant pour le bien du peuple. Passez de bonnes vacances, tout ira bien.