Y aurait-il quelques dérives dictatoriales en France ?
par Bernard Dugué
mardi 19 février 2008
C’est un précédent dans la Ve République et maintenant, à l’âge de la rupture, plus rien ne nous étonne, les phénomènes strato-politiques vont se répéter de mois en mois. Jamais par le passé, un président n’a suscité une telle défiance au point que trois grandes figures de la politique prennent l’initiative de créer, de leur propre chef, une cellule de vigilance censée observer la politique de Nicolas Sarkozy et surveiller des dérapages désignés, faute d’un vocabulaire plus précis, comme des dérives monarchiques. Ces trois personnages, ce sont les numéros deux et trois des présidentielles, autrement dit Ségolène Royal et François Bayrou, totalisant plus de 40 % des suffrages au premier tour, auxquels s’ajoute le chef de lance de cette fronde de haut calibre, Dominique de Villepin, dernier Premier ministre en date. A ce triumvirat frondeur, s’associe une belle brochette de personnalités de premier plan, Jean-Pierre Chevènement ou Nicolas Dupont-Aignan. Même si Noël Mamère fait partie du lot, on est loin d’une fronde du genre TSS, gauchisante et idéologique. C’est tout le contraire. L’Elysée est mise sous surveillance par des personnalités compétentes douées d’une légitimité incontestable.
Le premier signe, c’est que les institutions républicaines sont jugées insuffisantes pour contrecarrer les « excès » d’un président de la République. Par le passé, les mécanismes politiques ont fonctionné, qu’ils soient légaux, inscrits dans la Constitution, ou bien émanant de la rue qui du reste a eu la peau du CPE de Villepin. Or, pour la première fois, une instance qui n’est pas la rue, et qui émane du champ politique, s’érige en institution indépendante, autoproclamée, se déclarant autorisée à exercer un droit de regard sur la politique du président Sarkozy. C’est un fait sans précédent indiquant la profondeur et l’intensité du malaise régnant. Les événements récents ont été marquants et semblent s’insérer dans une logique d’ensemble qui, parvenue à un certain stade, a justifié la création de ce haut comité de vigilance contre les dérives monarchiques de Sarkozy. En fait, nous pourrions parler de dérives « dictatoriales » de Sarkozy ou plus raisonnablement d’autoritarisme ; en examinant deux exemples de comportement non appropriés de Sarkozy (d’une gravitude plus grave qu’un cigare de Clinton) ; l’affaire de la mémoire de la Shoah et l’audiovisuel public.
Sarkozy avait décrété de son propre chef une lecture obligatoire de la lettre de Guy Môquet aux collégiens. Voilà qu’il récidive en improvisant sur l’enseignement de la Shoah auprès des écoliers. Imposant ce que l’enfant doit entrer dans sa conscience morale. Ne sommes-nous pas dans le cas d’une dérive dictatoriale, sans aller jusqu’à comparer avec Staline, Pétain, Mao qui, eux, ont été de vrais dictateurs imposant entre autres une morale à la jeunesse. Il y aurait matière à réfléchir sur la séparation des pouvoirs et, notamment, de l’exécutif et du pouvoir spirituel. Cas de figure qui n’est pas prévu par Montesquieu, mais qu’on peut déduire de la séparation de l’Eglise et de l’Etat décrétée en 1905. Les laïcs voient dans cette loi la préservation de la République face aux diktats de la religion. Mais la loi de 1905 devrait garantir aussi la préservation de la religion, de la spiritualité et des valeurs morales vis-à-vis de l’Etat. Puisque Sarkozy met quelques coups de canif dans ce principe, il faut défendre cette séparation, l’étendre, revendiquer l’autorité du dispositif éducatif et la non-intervention du politique dans ce champ. Le danger de la société actuelle, c’est d’une part la décomposition des citoyens régressant au stade de masse et d’autre part les dérives autoritaristes d’un Etat épris de sa puissance, son narcissisme directif, prenant la société civile comme une substance psychologique qu’il faut prendre en charge.
Autre point à surveiller, l’audiovisuel. Après son effet d’annonce, Sarkozy décide de créer une commission, une de plus après celle sur la croissance, que Le Figaro rapporte ainsi : sa mission : « proposer une nouvelle identité pour le service public audiovisuel à l’ère du numérique », « faire des propositions permettant au gouvernement de rédiger le nouveau cahier des missions et des charges du groupe France Télévisions ». Et, surtout, « proposer les modalités de financement du nouveau modèle économique de la télévision publique ». Il faut le faire, alors qu’un CSA perfectible certes, mais légitime, exerce son autorité sur l’audiovisuel qu’elle souhaite autonome et républicain, voilà qu’un coup de canif est porté à cette séparation entre les médias et l’Etat. Au nom de quoi l’Etat aurait comme mission de proposer une identité pour les chaînes publiques et une légitimité à leur établir un cahier des charges. Voilà qui rappelle l’ORTF, la voix de la France et Peyrefitte. Mais il y a fort à parier que la fronde de l’audiovisuel, déjà présente, se fera entendre, comme du reste avec la question de la Shoah alors que le « comité Villepin » pourrait s’associer à une fronde nationale. Pour calmer les esprits, il suffit d’acheter les gens et le gouvernement aura la paix, mais les caisses sont vides. Alors tout devient possible dans ce contexte politique plutôt délétère. Défiance, méfiance et crise de confiance. La société française entre dans une zone à risque.
Bien étrange, cet entêtement à imposer cette nouvelle mesure éducative contre l’avis de la majorité des intéressés, instituteurs, psychologues et la désapprobation de personnalités politiques, notamment Simone Veil. Mais, dit Xavier Darcos, comme Sarkozy a montré la voie, alors on ne peut pas reculer et il faut y aller, c’est décidé, sans aucune concertation. N’est-ce pas là un comportement propre aux dictatures ? Sarkozy en guide d’une France en perdition morale et culturelle. Sarkozy en Mao de la révolution culturelle de la rupture ? Et pour la suppression de la publicité, même attitude. Au lieu de faire débattre les intéressés, d’associer le Parlement, M. Sarkozy crée une commission pour mettre en forme son idée, sa décision et l’imposer.