Le Jallikattu : une tradition dangereuse et controversée

par Fergus
mercredi 24 mai 2023

Le 18 mai, les 5 membres de la Cour suprême indienne ont ré-autorisé la pratique d’une très ancienne tradition de l’État du Tamil Nadu. Suspendue depuis 2014 par les autorités fédérales à la demande des associations de défense des animaux, elle avait été rétablie unilatéralement en 2017 par l’état tamoul. Les jeunes gens pourront à nouveau légalement affronter à mains nues des zébus paniqués. Et possiblement ajouter leur nom aux très nombreux morts que cette tradition occasionne...

Cela fait 2 500 ans – on en trouve de très nombreuses références dans la littérature dravidienne – qu’est organisé, dans 5 districts de l’État méridional du Tamil Nadu, le Jallikattu* dans le cadre de Pongal, la grande fête tamoule destinée à célébrer les récoltes d’hiver. L’évènement le plus spectaculaire, mais aussi le plus controversé, des festivités se déroule le 3e jour (Mattu Pongal) en hommage au dieu Shiva. Il consiste à lâcher des zébus mâles dans un champ ou sur une place, à charge pour les jeunes hommes de maîtriser ces animaux en tentant de s’accrocher à leur bosse durant au moins 30 secondes, soit pour gagner un prix, soit pour s’emparer des objets placés sur leurs cornes (anneaux, rubans, guirlandes ou pièces de monnaie).

Tout cela se déroule dans une ambiance de surexcitation proche de l’hystérie. On l’imagine aisément, cet exercice est particulièrement périlleux, et pas seulement pour les « raseteurs » à la mode indienne (localement appelés « dompteurs »), aussi courageux qu’inconscients. Le Jallikattu est d’autant plus dangereux que, si l’on en croit les militants associatifs, les bovins ont été préalablement abreuvés d’alcool afin de les désorienter. Des opposants à cette pratique rituelle affirment même que leurs cornes des zébus seraient affûtées pour ajouter à la bravoure de ceux qui osent les affronter. Dès lors, on comprend que la Cour suprême ait interdit le Jallikattu en mai 2014. Fait étonnant, pas sur la base de la sécurité des personnes, mais du bien-être animal.

C’était compter sans la colère des Tamouls, furieux que cette décision « imposée par les Hindis du nord », jugés condescendants à leur égard, mette à mal leur culture ancestrale et leurs coutumes. De nombreuses et virulentes manifestations ayant eu lieu – notamment dans la ville de Chennai (Madras) –, les autorités du Tamil Nadu ont, en 2017, amendé la loi fédérale sur la « prévention de la cruauté envers les animaux » pour ré-autoriser unilatéralement le Jallikattu au titre d’évènement « intrinsèque à la culture tamoule ». S’en sont suivies de nouvelles années meurtrières : depuis 2017, 102 personnes (dont de nombreux écoliers spectateurs) ont été tuées ainsi que 20 taureaux, selon une enquête de la Fondation Elsa rapportée le 10 février dernier par The Times of India.

Le rapport de l’ONG Elsa pointe tout particulièrement deux formes de Jallikattu à haut risque, pratiquées dans certaines localités du Tamil Nadu : le Manjuvirattu et l’Eruthu Vidum Vizha. Principalement parce qu’elles se déroulent en dehors de tout espace préalablement sécurisé, et sans que la liste des « dompteurs » ait été validée et autorisée. Ce sont elles qui sont à l’origine de la majorité des blessures et des décès. Aussi élevé soit-il, le risque n’étant pas dissuasif, ce sont chaque année de nombreux jeunes gens qui tentent leur chance, tout à la fois pour le prestige d’avoir réussi à « dompter » des zébus, et pour décrocher un prix en monnaie trébuchante ou en cadeaux en nature. Quant aux taureaux restés indomptés, ils gagnent le droit de vivre une carrière de reproducteurs.

La décision de la Cour suprême indienne – en l’occurrence purement politique pour brosser dans le sens du poil la communauté tamoule – va-t-elle mettre un terme définitif aux controverses que suscite le Jallikattu ? Certainement pas, dans la mesure où les critiques et les condamnations de cette pratique rituelle n’ont cessé de prendre de l’ampleur depuis 1990, portées notamment par Animal Welfare Board of India (AWBI), Indian’s Animal Rights Organisation (PETA) et Compassion Unlimited Plus Action (CUPA). Toutes des ONG animalistes ! Car, aussi surprenant que cela puisse paraître à nos yeux d’Européens, le fond de la bataille juridique n’a jamais été basé sur l’hécatombe humaine, y compris d’écoliers spectateurs du Jallikattu, mais sur le bien-être animal. Autres lieux, autres mœurs !

* Littéralement, Jallikattu signifie « pochette de monnaies ». Le nom est directement tiré du petit sac de pièces qui était fixé sur l’une des cornes à l’origine de ce rituel.

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