Police en rébellion dessine la France comme un état failli

par LATOUILLE
lundi 31 juillet 2023

Ce billet ne porte pas de jugement sur la décision de justice ni sur les faits qui ont entraîné cette décision, il tente d’analyser une situation particulièrement complexe et d’en cerner les causes et les conséquences : en quoi la « grève » des policiers et leurs revendications auront des conséquences sur l’image de la police, sur la relation de la police avec les citoyens et qui plus largement, si le gouvernement cède aux revendications des policiers, que seront la place et le rôle de la police dans la gouvernance du pays.

 La « grève » des policiers qui a été initiée à Marseille, le soutien que les syndicats de police leur apportent quand ils ne la suscitent pas, le discours insensé et aberrant du directeur général de la police nationale pour qui « un agent dans l’exercice de sa mission ne devrait pas être soumis au régime de la détention provisoire » ajoutant que cette mise en détention provisoire nuirait à la qualité de son sommeil : « Le savoir en prison m’empêche de dormir » ont de quoi inquiéter le citoyen moyen quant à la qualité du fonctionnement du pays, de ses institutions et de la qualité éthique des fonctionnaires en charge de la garantie de l’application des lois et la protection des personnes.

 Au-delà du fait des policiers, de leurs syndicats et de leur hiérarchie il faut aussi s’interroger sur la qualité éthique et les compétences des membres du gouvernement notamment du président de la République et du ministre de l’Intérieur. On laissera, au moins provisoirement, de côté le cas des parlementaires et des partis politiques possédés par la passion à sauter sur tout fait divers pour en faire une affaire politicienne qui souvent n’a pas d’autre intérêt que de faire parler d’eux.

 La « grève » et les manifestations de policiers à la suite de l’incarcération, en détention provisoire, d’un des leurs décidée par un magistrat dans le cadre d’une instruction judiciaire montrent d’abord l’état de décadence de nos institutions. Que reste-t-il de l’institution judiciaire régulièrement critiquée par les syndicats de police sur les antennes des principaux médias télévisuels et, aujourd’hui, plus encore puisqu’un groupuscule de policiers met en cause de façon brutale une décision de justice ; que reste-t-il de l’institution de sécurité publiques ? Que se passera-t-il demain si un juge décide de l’expulsion de squatteurs au bénéfice d’un propriétaire légitime et que cette décision ne plaît pas aux policiers chargés de la faire appliquer ? Que se passera-t-il lors d’un jugement en éloignement d’un conjoint à la suite de violences conjugales si la décision déplaît aux policiers chargés de la faire appliquer ? Dès lors quelle confiance le citoyen peut-il avoir dans la police ?

 Vouloir toujours tout excuser au seul fait de l’appartenance à un corps professionnel, à trop vouloir « particulariser » par rapport à la Loi générale du pays et à ne réfléchir les faits qu’à l’aune des émotions ne montrent ni la sagesse, ni la sérénité et moins encore l’honnêteté intellectuelle qui sont de mise dans un métier, certes difficile, mais choisi en connaissance de cause par ceux qui l’exercent et qui devrait relever d’un certain sacerdoce avant tout au service du pays et des citoyens. Cette attitude de protection et de défense d’un membre d’une corporation professionnelle n’est pas uniquement présente dans la police, c’est une posture répandue dans la très grande majorité des corporations dans lesquelles on peut relever des pratiques de types communautaristes (contre lesquelles voulait lutter le président de la République lorsqu’il s’agit de certaines cultures et de certaines religions). Les policiers, à travers leurs syndicats, expliquent qu’ils ne remettent pas en cause l’action de la justice : qu’est-ce alors que de contester la décision de mise en détention provisoire ? Ce qu’ils veulent, disent-ils, c’est un statut juridique spécifique pour les policiers, un mantra repris et amplifié par le directeur général de la police nationale, ne manquant pas au passage de dénigrer le témoignage de la victime et en élevant les policiers à un rang de surcitoyens dont on ne pourrait pas remettre en cause la qualité de leur service ni de mettre en doute leur parole.

 Ainsi, entre l’effet que cette action de « grève » des policiers produit sur la population et la recherche d’un statut juridique qui serait spécifique aux policiers, quelle question faut-il poser pour tenter de produire une trame d’analyse et quelques prémices pour une solution de la crise ? Si traditionnellement dans les sciences sociales (tellement détestées par les policiers) la question qui est posée est de savoir « que[1] doivent défendre les forces de l'ordre : un régime et ses lois ? Un peuple et ses citoyens ? Un système et ses libertés ? », aujourd’hui quelle question doit dépasser ce cadre ?

Un policier serait-il un « être » à part de la société, un extraterrestre qui échapperait aux règles de droit mis en place dans le pays comme le laisserait croire les déclarations d’un syndicaliste (le Parisien du 23 juillet) : « Après cette incarcération, les collègues sont en état de sidération, confirme un syndicaliste. La justice suit son cours, les policiers n’ont jamais rien intenté pour l’entraver. Mais huit gardes à vues, quatre mises en examen et une incarcération, c’est beaucoup. La présomption d’innocence des collègues est bafouée. Et cela aboutit à une vague d’arrêts maladies pour des syndromes d’anxiété avérée. » Décryptons : quand une jeune fille à Bordeaux subit des tirs de flash-ball qui la défigure à vie ou quand une octogénaire reçoit dans son appartement une grenade et décède à la suite de ce tir : qui devrait être sidéré ? En soubassement du discours de ce syndicaliste, les policiers dans ces cas-là sont hors d’atteinte psychologique ; bien sûr puisqu’ils semblent avoir été entraînés à ce genre de jeu de massacre et que c’est ce que leur demande l’État du moins le gouvernement actuel en France et plus globalement la partie la plus privilégiée de la société au nom du droit à la sécurité. Ce même syndicaliste nous explique que les policiers de Marseille n’entravent pas l’action de la justice pourtant qu’est-ce d’autre que la menace d’un retrait, par la grève ou l’arrêt maladie, de tout travail des policiers qui gênera la vie des citoyens mettant parfois en péril leur situation sociale en refusant d’enregistrer les plaintes, en empêchant les déferrements devant un juge à l’issues d’une garde à vue, etc. ? N’est-ce pas risquer de mettre en péril la vie de citoyens lorsque les patrouilles ne sont plus assurées ? Quant à l’histoire de la présomption d’innocence qui ne serait pas respectée, il va falloir que ce syndicaliste aille réviser son « droit » : « La présomption d'innocence est un principe selon lequel, en matière pénale, toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu'elle n'a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente ». Donc une mise en garde à vue, une détention provisoire, une mise sous contrôle judiciaire n’altèrent pas la présomption d’innocence ; s’il en était autrement comme le suggère ce syndicaliste combien de fois se serait-il rendu coupable de non-respect de la présomption d’innocence en interpellant et en mettant en garde à vue des personnes ?

 Laissons là ce discours syndical trop fréquent, trop connu qui consiste à défendre une corporation coûte que coûte, quoi qu’il en soit de faits délictuels avérés commis par un ou des membres de la corporation dans l’exercice de sa fonction. Ici, toutefois ce discours a une teinte particulière car il montre aussi un repliement sur soi signe d’un mouvement d’autodéfense de personnes malmenées par l’Etat, par la société à qui on demande, pour la plupart d’entre eux, un exercice professionnel qui brise leur éthique de vie, leur vocation. Si le discours et les actions des policiers grévistes peuvent se comprendre jusqu’à amener « l’excuse », cependant le discours du directeur général de la police nationale, chargé de « maintenir ses troupes dans le cadre strict du respect de la Constitution, est insensé et peut être entendu comme une déclaration de guerre entre la police et la société : « De façon générale, je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail. J’exclus de mon propos les affaires qui concernent la probité ou l’honnêteté. Mais lorsqu’un policier est dans l’exercice de sa mission, on doit admettre qu’il peut commettre des erreurs d’appréciation. Le policier doit rendre compte de son action, y compris devant la justice, mais on doit aussi tenir compte des garanties dont il bénéficie et qui le distinguent des malfaiteurs ou des voyous. » S’agit-il d’une erreur quand une escouade de policiers brutalise un homme en marge d’une manifestation à laquelle il ne participait pas, en l’écartant de la vue d’éventuels témoins, agissant avec une inhumaine brutalité allant jusqu’à lui défoncer la boîte crânienne du jeune homme ? Ne s’agit-il pas là de la pire des malhonnêtetés : celle qui consiste à ne pas respecter la Loi ? L’erreur est caractérisée par la non-intentionnalité d’un acte au cours d’une action, ce n’est pas le cas ici comme ce n’était pas le cas dans de nombreuses interventions policières au cours des manifestations ces six dernières années. Positionner ainsi le policier hors de la règle commune, humaine comme juridique, ne serait-ce pas prendre le risque d’en faire un électron libre, le mettre dans une toute-puissance qui l’exempterait de tout devoir social, de toute humanité. Les syndicats insistent sur la peur d’aller travailler qui s’installerait chez les policiers si on leur refusait statut juridique spécifique : ils partiraient la boule au ventre craignant d’être mis en examen. C’est bien le rôle de la loi assortie de possibles sanctions : faire peur pour éviter que de mauvaises actions soient commises. Ce statut juridique revendiqué les mettra hors d’atteinte de la loi commune et les transformera en électrons libres, alors la peur changera de camp et ce seront aux citoyens de craindre les policiers plus que la loi. Ce faisant, on risque de créer les conditions d’émergence d’un état policier et d’une société violente ?

 Si la déclaration du directeur général de la police nationale avait eu l’intention d’introduire une réflexion « philosophique » que ne s’est-il exprimé à propos de la mise en détention du policier de l’affaire de Nanterre (affaire Nahel) nous aurions pu alors voir une cohérence de pensée, de position éthique voire une amorce de réflexion épistémologique qui pose une vraie question de philosophie du droit : qu’est-ce qu’un policier, quels sont ses droits dans l’exercice de sa fonction… ? Il n’en a rien été, et conséquemment la déclaration du directeur général de la police nationale, dans un journal national quotidien, ne peut qu’apparaître comme un soutien à l’action des policiers et, plus qu’une approbation, une véritable adhésion à leurs revendications. Est-il du devoir du directeur général de la police nationale de poser ainsi des questions de philosophie du droit dans un média, ne doit-il pas réserver ses questionnements au ministre de tutelle et aux parlementaires ? La déclaration du directeur général de la police nationale m’apparaît comme étant un dévoiement des règles institutionnelles de séparation des pouvoirs et une volonté de mise à sac de l’institution judiciaire en mettant en difficulté son indépendance.

 Pas plus les déclarations des syndicats de policiers que celle du directeur général de la police nationale n’ont amené de réaction du gouvernement. Ce mutisme interroge d’abord sur l’autorisation tacite voire l’incitation envers le directeur général de la police nationale pour qu’il fasse une telle déclaration. On peut logiquement et raisonnablement supposer que les déclarations du directeur général de la police nationale ont été approuvées par le ministre de l’Intérieur ; à ma connaissance un fonctionnaire de ce niveau ne répond pas à une interview dans un grand média sans en avoir référé à sa hiérarchie. Dans un premier temps, en procédant de la sorte le gouvernement, plus particulièrement le ministre de l’Intérieur, évite l’émergence d’une trop forte réaction politique, et ensuite...

 Ce mutisme gouvernemental, pose la question de la stratégie de gouvernance mise en œuvre. Il est vrai qu’il est difficile au ministre de l’Intérieur de donner des leçons de morale alors qu’il a été plusieurs fois entendu par la justice ; compliqué aussi pour le Garde des Sceaux à propos de qui Le Monde annonce qu’« Il y aura bien un procès Dupond-Moretti. Vendredi 28 juillet, la Cour de cassation a validé le renvoi du garde des sceaux devant la Cour de justice de la République (CJR, seule juridiction habilitée à juger les ministres en exercice) pour des faits de “ prise illégale d’intérêts” » ; bientôt en procès (pour l’instant présumé innocent) celui qui a tellement maudit, dans les médias et dans ses livres, les magistrats se réjouit sans doute des mésaventures que les policiers organisent en ce moment et mitonnent pour demain pour la Justice. Il ne peut guère, faute d’être un parangon de vertu, jouer les « pères la morale ». Reste que le nouveau ministre de l’Éducation nationale donc en charge de l’éducation citoyenne des enfants du pays, aurait pu glisser un mot en direction de son successeur au ministère des comptes publics pour qu’il rappelle combien coûtent les arrêts de travail injustifiés comme il le faisait en visant les plus modestes des citoyens ; mais là les arrêts de travail ne sont pas usurpés car personne pourrait croire que les policiers les obtiendraient par pression ou échange de bons procédés avec les médecins. Voilà les ministres empêchés de prononcer des rappels à l’ordre, certes mais cette attitude ne cache-t-elle pas une stratégie machiavélique qui voudrait conduire le pays vers le désordre, un embrasement provoqué qui permettrait au ministre de l’Intérieur, une fois encore, de montrer combien « ses policiers » peuvent être efficaces afin de démontrer sa capacité à être Premier ministre ou, pour le moins, se donner une stature de candidat à la prochaine élection présidentielle ? Visiblement, dès son retour d’un voyage ministériel en Polynésie, il a dévoilé sa position de soutien aux revendications des policiers au mépris de toutes discussions avec les représentants des citoyens : « Je comprends cette émotion, cette colère, cette tristesse » des policiers, a déclaré jeudi Gérald Darmanin au sortir d’un commissariat du XIXe arrondissement de Paris, devant le préfet de police de Paris Laurent Nuñez et le directeur général de la police nationale Frédéric Veaux, auquel il a apporté son « soutien total ». A cette occasion, où seul BFM-TV était autorisé à suivre la visite du ministre, celui-ci a déclaré à propos du directeur général de la police nationale : « Il [le directeur général de la police nationale] a parlé comme parle un chef vis-à-vis de ses policiers, je le soutiens totalement et je suis très fier que ce soit mon collaborateur. » Puis, dans la foulée, il recevait les syndicats qui se sont montrés, à la sortie de la rencontre qui n’a duré qu’une heure, pleinement satisfaits : « On avait un ministre plutôt à l’écoute, plutôt d’accord avec nos propositions [il a dit qu’il nous soutenait », résumait Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance. Il semblerait que le Ministre soit d’accord avec la création d’un statut spécifique du policier mis en examen alors qu’il était en mission (détention provisoire, maintien du salaire + primes…) une anonymisation totale et pour tous les agents (ce qui est contraire à l’exercice de la responsabilité) et la création de magistrats spécialisés et formés à l’usage des armes dans le contexte dégradé que connaissent les forces de l’ordre : là je ne comprends pas de quoi il s’agit sinon de transformer des magistrats (soumis) en super-flics, enfin (mais sans doute verrons-nous apparaître d’autres points dans les jours à venir) une protection fonctionnelle (juridique, médical, pour le policier et pour sa famille)… Notons au passage, qu’une fois encore le ministre n’a eu aucune parole réconfortante pour la victime dont la vie est sérieusement compromise. Le ministre de l’Intérieur ne veut pas se fâcher avec les policiers dont leur soutien lui est indispensable autant qu’il l’est pour le gouvernement et le chef de l’Etat.

 Est-ce que le mutisme des premiers jours, puis le silence à propos de la victime, du ministre de l’Intérieur relèvent d’une stratégie personnelle, ce qui confirmerait l’hypothèse précédente, ou relève-t-il d’une stratégie voulue par le président de la République ? Celui-ci, comme à son habitude, nous a servi dans une interview télévisée du 24 juillet depuis la Nouvelle-Calédonie, un discours dénué de logique et de sens ; certains ont appelé du « blabla » le contenu des discours présidentiels. Comme à son habitude il manie le en même temps rhétorique c’est-à-dire l’art de dire, dans un même discours, tout et son contraire. Ainsi, courageux et audacieux, il déclare ne pas vouloir commenter les propos du directeur général de la police nationale ; dès lors il laisse à chacun le choix de décider de la position du président de la République et notamment de penser qu’il approuve les déclarations du directeur général de la police nationale et conséquemment qu’il approuve les revendications des policiers. Ce refus de prendre position l’éloigne de sa fonction de dirigeant du pays et le met en contradiction avec son propos dans lequel il insiste sur son rôle de garant des institutions : est-ce que la déclaration du directeur général de la police nationale et l’attitude des policiers ne sont pas des atteintes à l’institution judiciaire ? Comment alors interpréter cette phrase : « Il faut être intraitable quand la loi n’est pas respectée, ajoute-t-il. Je comprends l'émotion des policiers, mais nul en République était au-dessus de la loi » ; pas un mot pour les magistrats qui ont fait leur travail. C’est bien cette conduite (ou stratégie) qu’il a mise en œuvre à l’occasion des récentes émeutes, des « Gilets Jaunes », des manifestations contre la réforme des retraites et celles des « écologistes » : il a, grâce à des bataillons de policiers et de gendarmes, fait respecter l’ordre et les émeutiers sont rentrés chez à l’exception de ceux qui sont en prison. Que ne tient-il le même discours aux policiers ? La loi c’est la loi, une décision de justice ça ne discute pas, surtout par un agent chargé de la faire appliquer. Mais là, il comprend l’émotion des policiers, quand hier il ne comprenait pas celles des « banlieues ». J’entends déjà certains dire qu’à Nanterre il s’agissait de la mort d’un voyou, alors qu’ici il s’agit d’un « honnête » policier. Le problème n’est pas dans la qualification des personnes, voire dans leur catégorisation, le problème aujourd’hui est dans la négation par ces policiers des fondements même du droit pilier de la République : l’égalité devant la loi ! Il s’est contenté de dire : « Bien évidemment, eux-mêmes s'inscrivent dans le cadre de la loi et de l'état de droit », il aurait dû poursuivre en indiquant quelles mesures il comptait prendre pour que « l’émeute policière » cesse. En 1983, Français Mitterrand n’avait pas hésité, dans une situation similaire, à démettre les hauts fonctionnaires de leurs postes. L’année suivante le ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, montrait une grande fermeté face aux menaces de manifestation des syndicats de policiers à la suite de la mort en service de deux policiers : « "J'ai appris, explique M. Joxe dans un communiqué, qu'une organisation professionnelle, cherchant sans doute à exploiter l'émotion de tous, appelait à une manifestation sur la voie publique, dans des conditions et dans des termes qui relèvent d'une procédure disciplinaire. Ladite manifestation est interdite et elle n'aura pas lieu. " Estimant que les problèmes policiers " ne seront débattus ni dans la rue ni par voie de communiqués ", le ministre annonce qu'il saisira " prochainement de [ses] intentions le Parlement, qui pourra en débattre dans les conditions légales " » Refusant de demander solennellement aux policiers de reprendre leur service le chef de l’Etat montre soit qu’il voit la police comme une menace pour la suite de son quinquennat qui ouvrirait prématurément les portes de l’Élysée à l’extrême droite en engendrant une crise politique gravissime, soit au contraire il voit la police comme un outil au service d’un Etat autoritaire où la police jouirait de privilèges particuliers ; on trouve l’amorce de cette dernière hypothèse dans son propos lorsqu’il déclare : « La "légitimité" des policiers tient du fait qu'ils protègent le cadre républicain et qu'ils font respecter les lois démocratiquement votées » une fois encore exit les magistrats, puis en faisant pleurer dans les chaumières des bourgeois lorsqu’il rappelle : « Les policiers servent la bonne application de la loi. Nos policiers et gendarmes ont été présents face à un déferlement de violences. 900 ont été blessés ». Nous nous retrouvons ici au même niveau que plus haut d’une réflexion importante pour la société mais visiblement inexistante chez le président de la République à moins qu’au contraire il soit dans une certitude sur le rôle de la police : « que doivent défendre les forces de l'ordre : un régime et ses lois ? Un peuple et ses citoyens ? Un système et ses libertés ? » Il semble bien que le président de la République et ses ministres de l’Intérieur et de la Justice mettent tout en œuvre à la suite des « émeutes » et du mouvement de contestation des policiers pour renforcer la division de la société comme elle pouvait exister au XIXe siècle et hisser la police au rang de garde-chiourme de la partie de la société qui s’opposerait à son diktat ; n’est-ce ce qui se passe avec les mouvements écologistes à propos desquels le ministre de l’Intérieur, lettré de haute volée, a inventé le mot d’écoterroristes. Bien sûr les bonnes âmes (plutôt « bourgeoises » et qui souhaitent préserver leurs privilèges) vont nous expliquer que ceux-ci sont violents alors que des organismes internationaux (ONU, LIDH…) démontrent que la violence vient des forces de l’ordre qui créent une situation où seule de la violence peut émerger quand elles ne sont pas elles-mêmes d’emblée violentes. Quoi qu’il en soit le président de la République a fait preuve de lâcheté ou d’impéritie en ne réaffirmant pas l’organisation des institutions.

 Peut-on alors penser que s’attirant ainsi les bonnes grâces de la police le président de la République voudrait en faire une garde prétorienne dans la perspective de susciter « chez les pauvres » des velléités insurrectionnelles et d’y répondre par un état d’urgence qui ouvrirait vers une modification de la constitution et un troisième (ou plus) quinquennat ?

 Garant des institutions il n’apporte aucun soutien aux magistrats, il ne rappelle pas aux policiers le sens de leur devoir vis-à-vis des institutions. Garant des institutions, donc de la Constitution qui garantit à chacun l’égalité devant la loi, il fait pleurer sur le sort des policiers mais il n’a jamais eu un mot pour les gens, les citoyens « ordinaires » en particulier ceux victimes des actions de la police, notamment les plus jeunes, mutilés à vie par les policiers. Dans la polémique sur la police, Macron fuit ses responsabilités écrit la correspondante en France du quotidien allemand “Frankfurter Allgemeine Zeitung”, « le président devrait faire acte d’autorité et mettre un terme à la fronde. Pourtant, ce dernier demeure silencieux », […] En temps normal, le président, qui est garant de l’indépendance de la justice, devrait faire acte d’autorité. En vertu de l’article 64 de la Constitution, il se doit en effet de veiller à la séparation des pouvoirs. Mais Emmanuel Macron n’a pas pu s’y résoudre, et s’est contenté de rappeler que personne, en France, n’est au-dessus de la loi. Un mois après l’éclatement des violentes émeutes dans les banlieues, le chef de l’État veut éviter un conflit avec les forces de l’ordre, qui ont été confrontées à des situations extrêmes durant ces soulèvements. Macron sait bien qu’il a exigé beaucoup des policiers ces dernières années, que ce soit pendant le mouvement des “gilets jaunes”, les confinements liés à la crise du Covid ou les manifestations contre la réforme des retraites. Ce sont toujours eux qui étaient envoyés en première ligne. À un an de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, qui seront encadrés par un important dispositif de sécurité, Emmanuel Macron joue la carte de l’apaisement. Au détriment de son autorité. » Et au détriment des valeurs de la République française. Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l'Intérieur dans un entretien au Huffington Post, déclarait : « Mais le chef de l'État doit aussi « rappeler à chacun les grands principes républicains dont il est le garant ». « Rompre cet équilibre serait, dans le contexte, prendre un risque inconsidéré. » Le risque est de voir la police « gouverner » à la place du Parlement, et l’Etat démocratique, déjà très fragilisé par un premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

 Finalement les policiers n’ont pas complètement tort de manifester leur mécontentement face à une situation professionnelle insoutenable et il faut voir dans leur manifestation une cause analogue à celle qui a provoqué les « émeutes » : un élément catalyseur d’une rancœur trop longtemps tue. Les « émeutes » et la police sont utilisées par le président de la République pour soumettre la société à son omnipotence mais il ne résout jamais les problèmes si ce n’est de façon superficielle et donc temporaire comme si son seul projet pour la société soit qu’elle brille recouverte d’une mince couche de badigeon. Il va lâcher quelques primes et accepter les revendications statutaires des policiers mais il ne réglera pas le problème de fond. Tout le monde « bourgeois » sera satisfait : le calme sera revenu. L’ordre (on ne sait pas très bien lequel) retrouvé le président de la République aura fait faire, comme dans son livre éponyme, une révolution à la place et à la mission de la police, et, surtout, créé un nouveau type de relation entre les citoyens et la police où les premiers sont sommés de craindre les seconds tacitement autorisés à faire usage d’armes létales, sans appréhension de subir une sanction. Or, comme l’écrit Sébastian Roché, sociologue, « La violation des droits par des policiers, à commencer par le droit à la vie, est vécue comme particulièrement insupportable. La raison en est simple : la police agit au nom de la loi. Comment croire dans les grands principes déclamés du haut des estrades lorsqu’on fait de manière répétée l’expérience de leur vacuité ? C’est pourquoi les mauvaises pratiques policières sapent les fondements de la République. Il est temps d’y mettre un terme. Seule une réforme systémique le permettra, en commençant par l’abrogation de la loi de 2017. »

 Aujourd’hui, l’Etat est failli dans la mesure où il ne permet pas à la société d’espérer un avenir meilleur, et les incantations d’un Chef de l’Etat pétri d’impéritie, cachée derrière un voile de paroles souvent creuses comme un maquillage de cinéma, ne font pas une politique ambitieuse et moins encore elles ne dessinent un destin pour le pays. Mais, le président de la République pouvait-il résister à une police devenue par, sa volonté, omniprésente et indispensable pour le gouvernement qui est incapable de gérer le pays autrement que par le recours aux forces de maintien de l’ordre ou à la violence symbolique que peut être le recours quasi systématique à l’article 49-3 de la Constitution pour imposer des lois sans discussion ? Dans le contexte actuel de la société française à l’issue de trois quinquennats stupides, incohérents et tournés vers la seule satisfaction de théories économiques aux service des plus riches, dans le contexte d’une société meurtrie, clivée que les gouvernant ne respectent pas, le président de la République, outre son narcissisme exacerbé, peut-il penser une autre gouvernance qui lui permettrait de sauver le peu d’autorité qui lui reste (s’il en a jamais eu) et sans doute envisager un troisième mandat ? Ainsi, dans cet Etat failli la police, véritable garde prétorienne du président de la République, imposera de fait une gouvernance despotique qui conduira à transformer un Etat démocratique en Etat policier antichambre d’un Etat autoritaire voire pire ?

 

 Comme il est écrit dans L'ecclésiaste : malheur à toi pays dont le roi est un enfant.

 

 

[1] Lopez Laurent, Sauver la France, défendre la République, protéger les citoyens : les forces de l’ordre et les injonctions sécuritaires de la Belle Epoque, dans La République à l’épreuve des peurs, Presses Universitaires de Rennes.


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