Les Catalans ont dit « oui »

par Bertrand C. Bellaigue
lundi 19 juin 2006

En disant « oui » du bout des lèvres au référendum, la Catalogne a quand même choisi le large .

A moins de cinquante pour cent, la population catalane s’est exprimée lors du référendum organisé dimanche pour donner l’occasion à la population de cette région du Nord-Est du royaume de se prononcer sur le “nouveau statut d’autonomie” de la Catalogne.

Madrid , 18 juin (BCB) - C’est un résultat paradoxal qui a été présenté sur le mode triomphal par M. Jose Luis Zapatero, président en exercice du gouvernement central espagnol et leader du Parti socialiste espagnol, (SPOSE). M. Zapatero a estimé publiquement que le « statut de Catalogne » avait été approuvé par une « très large » majorité, en affirmant que trois citoyens sur quatre avaient apporté par leur vote leur adhésion au nouveau texte définissant ce que sera à l’avenir la Catalogne.

Selon le président du Conseil, la consultation a été « normale », puisque près de 50 % de la population ont participé à la consultation. C’est une proportion moyenne, « acceptable pour les référendums des régions autonomes », a-t-il dit. De telle sorte que relativement aux effectifs mentionnés dans les listes électorales, on peut estimer finalement que 35 % des citoyens, seulement, ont en réalité apporté leur soutien au nouveau texte. Mais n’est ce pas la tradition démocratique impliquée par ce mode de décision populaire ?

M. Zapatero, se voulant plus précis, a tenu à exprimer ses félicitations aux 74 % de Catalans qui ont voté "oui", alors que seulement 20 % ont répondu "non".

Comme on pouvait s’y attendre, le leader de l’opposition conservatrice du Parti populaire, M. Mariano Rajoy, a exhorté solennellement M. Jose Luis Zapatero « à paralyser le processus de réforme des institutions catalanes » pour la simple raison, a-t-il fait valoir, que "deux Catalans sur trois" avaient en réalité refusé d’approuver un projet institutionnel décrit comme étant "l’œuvre personnelle" du président du gouvernement espagnol.

M. Rajoy a annoncé qu’il se proposait, après consultation lundi du comité exécutif de son parti, de présenter un recours devant le Tribunal constitutionnel.

« La façon dont est interprété le résultat du référendum tendant à faire état de l’ample majorité des Catalans, est objectivement inconstitutionnel », et porte « atteinte à la lettre et à l’esprit » de la « Magna Carta » qu’est la Constitution espagnole, a affirmé M. Rajoy.

« Si nous acceptions les résultats du référendum tendant à attribuer à une "région autonome" la qualité de "nation" dont la Constitution rejette le concept, nous reconnaîtrions d’emblée l’existence d’un "pouvoir souverain en Catalogne" ».

Lors de la discussion du nouveau statut catalan, M. Rajoy avait prédit que « l’Espagne, dans ce cas, serait divisée en deux groupes qui n’auraient ni les mêmes droits fondamentaux, ni les mêmes obligations, ni les mêmes lois, ni la même langue, puisqu’en Catalogne le catalan serait le langage obligatoire, sans la connaissance duquel les citoyens ne pourraient accéder à une fonction publique. »

Il est peu probable que ces mises en garde du leader conservateur exercent la moindre influence sur le cours de l’histoire. En effet, quelle que soit l’interprétation donnée à la consultation « historique » de dimanche, le résultat acquis par les urnes « à la majorité des votants » fait de la Catalogne une « nation » autonome au sein d’une fédération royale espagnole.

Elle sera désormais située dans une zone grise proche de l’indépendance absolue. Mais cela - avec l’approbation ou non de toute sa population catalane - ne constitue pas un fait nouveau. Déjà, au cours de l’histoire la plus ancienne, dont le souvenir a été gommé par la prédominance des royaumes de Castille et d’Aragon, puis par la dynastie des Bourbons depuis le XVIIIe siècle, la Catalogne a été une nation conquérante, un pays de grandes expéditions navales.

Les citoyens les plus nationalistes de cette région autonome rappellent que dès l’an mille, aux origines de ses origines, le roi Jaume 1er, souverain de Catalogne autant que d’Aragon, a créé un véritable Etat qui, pendant des siècles, a été maître du commerce méditerranéen et allié de la République de Venise.

N’est-ce pas dès le XVe, sous les rois catholiques, que Barcelone a supplanté Séville - trop exiguë - pour devenir le plus grand port du royaume, qui lançait ses flottes marchandes vers la Méditerranée orientale et les nouveaux rivages d’Amérique du Sud ?

C’est en mémoire de ce "millénaire" et manifestement en pensant à l’avenir que, depuis la restauration de la Généralisât ( gouvernement de Barcelone), toute une littérature officielle de luxe a été publiée évoquant - en catalan, pas en espagnol - ce passé historique indéniable.

De telle sorte que, vu de Barcelone, il n’est plus considéré comme une hérésie d’affirmer dans l’article premier du « statut révisé de cette région dite autonome », adopté à l’aube de l’an 2000 par le Parlement de Barcelone, accepté par les Cortès en mars 2006, que « la Catalogne est une nation, possédant son propre drapeau, son hymne, le catalan devenu la langue officielle obligatoire, tolérant une cohabitation incontournable avec le Castillan, la langue de l’Etat royal central. »

En vertu de ce nouveau statut, la Generalitat catalane est appelée à devenir l’unique responsable du découpage municipal et des ramifications de la nouvelle « nation », seule maîtresse de sa police régionale, de son système judiciaire, entretenant elle-même des « représentations extérieures privées » , affichant son désir d’avoir des liens directs - sans passer par Madrid - avec l’Union de l’Europe et les autres organismes internationaux, administrant son éducation et son "enseignement laïc", contrôlant les impôts et les finances, ses ports, chemins, de fer, routes et toutes autres voies.

En réalité, il ne lui resterait plus, pour proclamer son indépendance, qu’à créer son armée et à diriger sa politique extérieure. Ce qui est évidemment à exclure. Faut-il rappeler qu’elle a déjà rempli fréquemment , de facto, ces fonctions diplomatiques sous la présidence de Jorge Pujol, prédécesseur de Pascual Maragall ?Voyageant en Amérique latine, Pujol y a toujours été reçu comme un chef d’Etat, tandis que Madrid fermait les yeux sur ces incartades .

Dès lors, le nouveau statut changera également la condition du pays catalan et son système de financement. La Catalogne pourra mettre ses pendules à l’heure "en devenant une nation". "Il s’agira vraiment d’un outil extraordinaire grâce auquel nous allons pouvoir construire la Catalogne du futur", avait-il affirmé alors en mars dernier.

Et que vont dire les autres dignitaires politiques régionaux ? Ceux d’Andalousie qui possèdent déjà un texte statutaire en mains, prêts à prendre la forme d’une constitution parallèle ? Sans parler des Basques de toutes nuances, les pieux prélats et les curés de campagne, les gens de Donostia (San Sébastien en langue locale), les industriels et chefs d’entreprises du tertiaire à Bilbao, et puis les autres, les rebelles de « los montes » ? Un référendum serait-il suffisant pour les faire renoncer à la vie aventureuse de la clandestinité, tellement plus attrayante que le comptoir de n’importe société commerciale ? Que vont-ils dire des initiatives catalanes ? Les derniers ne vont-ils pas craindre d’être poussés trop tôt vers une vie banale et grisâtre, que va-t-il en être de l’autorité des prélats, et de la révérente considération dont jouit le clergé basque très proche d’une population fidèle à l’Eglise catholique ?

La Catalogne ayant eu recours au moyen du référendum pour s’auto-déterminer dans le cadre de dix-sept autonomies du royaume d’Espagne, comment les citoyens basques qui se trouvent à l’extérieur de l’organisation terroristes ETA pendront-ils l’initiative d’organiser une consultation pour donner à leur peuple le moyen de s’autodéterminer autrement que par la violence et le crime ?

© Bertrand C. Bellaigue - juin 2006


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