Pourquoi le cessez-le-feu avec l’Iran est une défaite pour Israël et ses alliés

par Alain Marshal
mercredi 25 juin 2025

Malgré l'exigence de Trump d'une « reddition inconditionnelle » de l'Iran et ses autres rodomontades sur la destruction de son industrie nucléaire, Israël n'a réalisé aucun de ses objectifs de guerre annoncés (mettre fin au programme nucléaire iranien, à son arsenal de missiles voire renverser le régime, projets qui paraissent plus lointains que jamais), et la Palestine occupée a été frappée comme jamais. Téhéran ne renonce pas à l'enrichissement d'uranium et va probablement se retirer du TNP.

Par Mouin Rabbani

Traduction et notes entre crochets Alain Marshal 

De nationalité néerlandaise et palestinienne, Mouin Rabbani est spécialiste des affaires palestiniennes, du conflit israélo-palestinien et du Moyen-Orient contemporain. Il a notamment été analyste principal pour le Moyen-Orient et conseiller spécial sur Israël et la Palestine au sein du Groupe de crise international, ainsi que responsable des affaires politiques au Bureau de l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie.

Il semble qu’un cessez-le-feu ait été conclu dans ce que le président américain Trump qualifie désormais de « guerre des douze jours » entre Israël et l’Iran. Qu’est-ce qui a poussé les parties en présence à l’accepter ?

Du côté des États-Unis, le calcul est relativement simple. Washington considérait la guerre déclenchée par Israël contre l’Iran avant tout comme un levier destiné à renforcer sa position dans les négociations avec Téhéran. Si Israël parvenait à ses fins, l’Iran serait contraint de démanteler intégralement son programme nucléaire, de renoncer à son droit d’enrichir de l’uranium sur son propre sol — un droit pourtant garanti par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) —, de mettre fin à son programme de missiles balistiques, et de couper ses liens avec les mouvements [de Résistance] armés de la région, dans le cadre d’un accord ultérieur dicté par Washington.

Les objectifs américains se sont encore précisés à travers les frappes menées il y a quelques jours contre l’Iran. Ces attaques se sont limitées à trois sites nucléaires iraniens, assorties de menaces d’une campagne militaire plus vaste en cas de riposte iranienne. Bien que Trump ait un temps désigné le changement de régime à Téhéran comme un objectif souhaitable, il ne s’y est jamais engagé concrètement, ni n’a donné l’ordre à l’armée américaine de le poursuivre.

Comme on pouvait s’y attendre, Trump a aussitôt proclamé la destruction totale des trois sites nucléaires visés par l’aviation américaine, se vantant d’avoir éradiqué définitivement le programme nucléaire iranien. Une fanfaronnade bien connue sous le nom de « proclamer la victoire et rentrer chez soi ».

De nombreux experts ont tourné ces affirmations en dérision, soulignant que l’Iran avait préalablement évacué ses stocks d’uranium hautement enrichi ainsi que ses équipements essentiels, et qu’il était peu probable que les États-Unis aient infligé autre chose que des dégâts significatifs — mais non décisifs — au site stratégique de Fordow. Plus fondamentalement, l’Iran conserve les connaissances techniques nécessaires pour reconstituer son programme dans son intégralité. Comme on le répète depuis des années, en l’absence d’une occupation militaire du territoire iranien, une campagne militaire peut en retarder les progrès, mais non y mettre un terme.

Washington a probablement estimé que la campagne israélienne contre les capacités nucléaires et militaires de l’Iran avait atteint ses limites, et qu’il n’était pertinent de la poursuivre qu’à la condition de viser un objectif différent : le renversement du régime.

Par ailleurs, la riposte de l’Iran aux bombardements américains, une attaque largement symbolique contre la base aérienne américaine d’al-Udeid au Qatar, a été annoncée à l’avance et n’a fait aucune victime [il semblerait qu'il en soit allé de même pour l'attaque américaine contre les sites nucléaires iraniens]. Trump pouvait donc la dédaigner comme un simple feu d’artifice inoffensif, ce qu’elle était. Elle n’en a pas moins mis en lumière le risque réel d’une escalade régionale accrue, et le fait que si l’Iran se sentait suffisamment menacé, il était prêt à élargir le champ du conflit.

À Washington, cette guerre menée par Israël — et plus encore l’implication directe des États-Unis — a provoqué un vif débat et de profondes divisions dans les rangs républicains. D’un côté, ceux qui refusaient toute implication ; de l’autre, ceux décidés à aller jusqu’au bout. Et au milieu, Trump, indifférent aux deux camps, uniquement préoccupé par ses propres intérêts. Il a peut-être fini par comprendre qu’il avait été, en réalité, dupé par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, et que s’il ne se retirait pas rapidement, il risquait de s’embourber dans un scénario pire que celui de l’Irak, compromettant au passage la coalition MAGA. En d’autres termes, Washington a passé le fameux « coup de fil », et un cessez-le-feu semble désormais en place.

Pour l’Iran, les calculs étaient relativement clairs. Dès le départ, Téhéran a dénoncé une guerre d’agression menée par Israël et n’a cessé d’en appeler à sa cessation. Bien que l’Iran ait subi d’importants dégâts, son programme nucléaire demeure opérationnel, et à en juger par ses dernières salves, ses capacités balistiques restent en grande partie intactes.

Avec le temps, Téhéran a su démontrer l’efficacité croissante de ses frappes de représailles contre Israël et les lacunes grandissantes des systèmes de défense antimissile américano-israéliens. L’Iran semble désormais mieux préparé à un conflit de longue durée avec Israël.

Dans le même temps, un conflit prolongé présente peu d’intérêt pour l’Iran. Les destructions causées par Israël ne feraient que s’intensifier en ampleur, en portée et en gravité, et il était raisonnable de supposer que les États-Unis – surtout si Téhéran rejetait une proposition de cessez-le-feu n’impliquant pas sa capitulation – s’engageraient davantage dans le conflit. Si l’Iran avait effectivement déclenché une guerre régionale, cela aurait aussi compromis les relations qu’il a patiemment cultivées et renforcées ces dernières années avec les États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Il paraissait par ailleurs hautement improbable que la Russie ou la Chine soient disposées à rétablir ses capacités de défense aérienne, sévèrement dégradées, tant que la guerre se poursuivait. Le cessez-le-feu proposé par les Américains – qui exigeait essentiellement que l’Iran cesse de riposter contre Israël – a été perçu à Téhéran comme une issue sûre et acceptable, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un nouveau stratagème américano-israélien.

Israël se trouve dans une situation plus complexe. Il a surtout échoué à entraîner les États-Unis dans un affrontement militaire décisif contre l’Iran. Aucun de ses objectifs déclarés – qu’il s’agisse de la destruction du programme nucléaire iranien, [de ses capacités balistiques] ou d’un changement de régime à Téhéran – n’a été atteint. Jusqu’à la dernière minute précédant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, l’Iran continuait à tirer des salves de missiles balistiques meurtriers ; Israël peut donc difficilement prétendre avoir réussi à le dissuader. Ses défenses antimissiles échouaient de plus en plus fréquemment, et leurs stocks étaient dangereusement proches de l’épuisement.

Israël a certes infligé de lourds dégâts à l’armée iranienne, à ses forces de sécurité, et dans une moindre mesure à ses infrastructures civiles et institutions gouvernementales. Il a assassiné de nombreux commandants et scientifiques. Bien que ces pertes soient sans aucun doute douloureuses, ces figures sont en voie d’être remplacées. Israël a également démontré à quel point ses services de renseignement ont réussi à infiltrer en profondeur le territoire iranien.

Il semble raisonnable de penser qu’Israël aurait préféré poursuivre et intensifier la guerre, ne serait-ce que pour obtenir la capitulation de l’Iran face à Washington. L’appel téléphonique en provenance de Washington, annonçant un cessez-le-feu plutôt qu’une nouvelle campagne de bombardements, a mis un terme à cette ambition. De fait, la consternation manifeste chez les partisans d’Israël laisse penser que ce n’est ni le résultat qu’Israël escomptait, ni celui qu’il souhaitait.

À ce stade, ni Israël ni l’Iran n’ont, du moins officiellement, accepté un accord de cessez-le-feu ; ils semblent plutôt avoir donné leur accord à une sorte d’arrangement tacite. L’Iran a affirmé qu’aucun accord n’avait été conclu, mais que si Israël cessait ses attaques, il en ferait autant. De son côté, Israël tentera probablement de reproduire le modèle établi au Liban : un cessez-le-feu à sens unique, s’appliquant strictement à son adversaire, mais qu’Israël s’autorise à violer à sa convenance, avec l’aval des États-Unis. Ce schéma a peu de chances de fonctionner avec l’Iran. Reste à voir comment ce dernier réagira à de nouvelles opérations de sabotage ou à d’autres actions menées sur son sol par des agents israéliens, par opposition à des raids aériens en provenance d’Israël – un terrain beaucoup plus incertain.

S’agissant du Liban, Israël pourrait, en plus de poursuivre le génocide en cours à Gaza, lancer une nouvelle offensive d’envergure dans ce pays dans le but d’affaiblir davantage le Hezbollah et de pousser l’État libanais à désarmer ce dernier. Rien d’étonnant de la part d’un État qui, non seulement est devenu dépendant de la guerre, mais semble en avoir un besoin vital.

Les cessez-le-feu exigent généralement des arrangements politiques pour devenir durables. Cela nous ramène aux négociations irano-américaines – semblables à celles de l’accord nucléaire de 2015 – que Trump a rompues il y a deux semaines, leur préférant l’option militaire. Étant donné que Washington est à l’origine de la crise actuelle en exigeant que Téhéran renonce à ses droits, garantis par le TNP, d’enrichir de l’uranium à des fins civiles sur son propre sol, il est peu probable que l’Iran retourne à la table des négociations tant que les États-Unis ne se seront pas rétractés et n’auront pas reconnu ses droits en vertu du TNP. Il refusera également, comme par le passé, d’ouvrir des discussions sur son programme de missiles balistiques et ses alliances régionales. Si l’Iran venait à accepter de telles conditions, ce serait une preuve éclatante qu’Israël a réussi à le mettre à genoux.

L’autre question en suspens concerne les ambitions nucléaires de l’Iran. En seulement douze jours, Israël et les États-Unis ont réduit à néant le TNP, et avec lui tout l’édifice de régulation nucléaire patiemment bâti depuis des décennies. L’Iran va-t-il désormais – ou si les négociations échouent à nouveau – expulser les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), se retirer du TNP, rester en dehors, à l’instar d’Israël, et développer secrètement une arme nucléaire ? Les dirigeants iraniens subiront d’énormes pressions, tant de la part de leur propre appareil politique que de la société iranienne dans son ensemble, pour franchir ce pas. Ils pourraient désormais considérer qu’il n’est plus utile d’exploiter leur statut d’État au seuil nucléaire comme levier dans les négociations avec l’Occident, mais plutôt de l’envisager comme la voie vers l’ultime moyen de dissuasion.

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