Appel aux créateurs et aux artistes...
par minijack
lundi 31 juillet 2006
N’entrons pas dans ce jeu suicidaire. Le Net n’est pas notre ennemi, il est celui des médias et des majors, pas celui des créateurs. C’est DADVSI la véritable menace. En défendant des positions acquises et figées, elle sclérose par avance la création naissante.
La Loi DADVSI est définitivement validée. Elle sera promulguée sous peu, profitant sans aucun doute de l’insouciance estivale de M Mme Vachalait et leur petite famille qui se prélassent sur quelque plage. C’est seulement à la rentrée que M Mme Vachalait s’apercevront qu’ils ne peuvent plus passer leur CD tout neuf dans l’autoradio de leur voiture. M Mme Vachalait s’autoriseront-ils à reporter le CD au vendeur ? Peut-être, mais s’ils regardent bien les toutes petites lettres au bas de la pochette, ils s’économiseront le voyage jusqu’au magasin.
Qu’il ne puissent pas lire leur achat sera désormais une CHOSE NORMALE !
Qu’ils ne puissent pas riper les titres de ce CD sur l’iPod de leur progéniture, ENCORE NORMAL !
Qu’en désespoir de cause, ils se résolvent à télécharger les quelques titres de l’album sur un réseau « pirate » pour pouvoir enfin profiter de ce qu’ils ont régulièrement acquis par ailleurs mais pas dans le bon format, et voilà nos Vachalait en prison pour trois ans avec 300 000 € d’amende ! NORMAL ENCORE !...
Notre ministre avait pourtant envisagé une loi « équilibrée » beaucoup plus clémente, où l’interopérabilité était garantie (en principe mais pas au plan technique), où la fraude était « contraventionnalisée » à 38 € (allant au budget de l’Etat, sans aucun droit pour les auteurs), avec quantités d’exceptions à la copie privée avantageant tel ou tel groupe médiatique (TF1) ou institution nationale, mais pas les écoles ou les handicapés qui doivent faire comme le citoyen Vachalait : payer ! Voire payer plusieurs fois pour jouir de la même œuvre selon le support de distribution.
Le passage tant attendu devant le Conseil Constitutionnel a déçu nombre d’opposants et n’a fait que rendre encore plus « hard » les seules parties précédemment un tant soit peu « soft » de cette loi sur les enregistrements numériques.
DADVSI est une mauvaise loi. Elle ne défend que les systèmes industriels en place selon des schémas du 19ème siècle gérés par un marketing du 20ème, et ne fait qu’apporter et entretenir la discorde et l’incompréhension entre les créateurs et leur public du 21ème.
Devant un tel amoncellement de barrières d’octroi sur l’étroit sentier de la Culture, que va-t-il se passer ? Le Peuple se rangera-t-il sagement en rang d’oignons pour se laisser tondre tout azimut ? Evidemment non. La révolte gronde déjà, avec tous ses excès. Partout dans le monde les internautes dénoncent les injustices criantes de procès de la RIIA à l’encontre de gamins téléchargeurs. On flique et on surveille, on s’introduit dans chaque PC pour vérifier ce que les connectés ont sur leur disque dur...
La réaction ne se fait pas attendre : Déjà, mélangeant tout, des « partis pirates » se fondent un peu partout qui préconisent rien moins que la suppression du Droit d’Auteur !... D’autres entrent en clandestinité sur des réseaux parallèles sans adresse IP, comme des maquisards corses. Va-t-on fonder une nouvelle ALN (Armée de Libération du Net) ? La cagoule va-t-elle devenir l’accessoire obligé de tout surfeur culturel ?
Faut-il attendre que les citoyens prennent la Bastille une nouvelle fois pour abolir les privilèges exorbitants des nouveaux aristocrates du showbiz et des medias ? Ne pouvons-nous éviter l’extrémisme et le terrorisme anti-intellectuel inhérents à toute révolution ?
Il y a peut-être encore moyen d’éviter cela. Mais il faut que les artistes et créateurs mettent eux-mêmes la main à la pâte en descendant dans l’arène. L’exemple a été montré par l’Alliance Public-Artistes. La solution d’une Licence Globale, pas parfaite certes mais bien trop vite écartée, doit être réétudiée, améliorée, adaptée, dans une approche volontaire de la part des créateurs qui doivent reprendre en main leur destin.
A l’exemple des initiateurs de la SACEM originelle une nouvelle structure axée sur le Net peut être mise en place parallèlement à DAVSI et en toute indépendance. Pas besoin d’une loi supplémentaire pour ça, le CPI suffit.
Les auteurs « d’œuvres de l’esprit » ont droit à une rémunération, 80% des français sont d’accord là-dessus. Simplement, les gens n’acceptent plus de payer des droits voisins pour des supports d’enregistrements numériques qui n’ont plus lieu d’être sur le Net. Surtout quand on sait que la part revenant aux créateurs sur ces ventes de polyéthylène est ridiculement restreinte. Rémunérer les œuvres, oui, mais payer au même prix que des galettes plastique les œuvres immatérielles circulant sur le Net, non.
Paradoxe : on en vient aujourd’hui à justifier le prix élevé de certaines œuvres mises en ligne par le fait qu’elles n’ont pas de DRMs... C’est un comble !
Le Net est lui-même le support matériel. On ne l’achète pas, on loue son usage. Quant à l’œuvre elle-même, elle est immatérielle et indépendante de ce support. Le coût d’une œuvre sur le Net doit tenir compte de cette immatérialité.
L’interopérabilité y est de fait et de droit. Ce n’est pas le fabricant du support qui doit dicter sa loi mais l’auteur de l’œuvre, et lui seul, qui autorise l’usage qu’on en peut faire !
Il fallait mettre à profit la dynamique de réseau pour surfer sur la vague au lieu de lutter vainement contre le Tsunami qui s’avance.
Nombre d’auteurs seraient d’accord avec cette évidence, mais les organismes de collecte et de répartition de leurs droits, initialement fondés et gérés par les créateurs eux-mêmes, sont maintenant phagocytés par les industriels qui eux, craignent de voir disparaître les « droits voisins » qu’ils étaient parvenus à faire valoir lors de la dernière réforme du CPI, alors que la logique de marché (que nous imposent les mêmes) voudrait qu’ils soient restés de simples « bénéfices industriels et commerciaux » sur les ventes d’objets-supports, hors du champ du Droit d’Auteur...
Du coup, puisque les auteurs cèdent la gestion de leurs droits lorsqu’ils deviennent sociétaires de la SACEM (y compris ceux des œuvres à venir), ils n’ont plus d’autre choix que de suivre les directives des groupes industriels qui gouvernent aujourd’hui ces organes de répartition.
On peut très facilement comprendre la position délicate de ceux qui sont prisonniers de ce système. C’est regrettable pour eux mais, à moins d’en divorcer, ils crèveront avec, soit très vite à cause d’un boycott généralisé, soit lentement au fur et à mesure de la désaffection progressive du public pour les supports blindés. Je ne les plaindrai pas, ils en auront bien profité.
Mais les autres ?...
Il y a des centaines de milliers d’autres créateurs qui ne sont pas sociétaires. Ceux-là sont-ils condamnés à devenir eux-mêmes prisonniers d’un système révolu pour espérer vivre un peu de leur talent ? ou sont-ils réduits à proposer leurs œuvres sous licences Creative Commons, gratuitement ou en espérant la charité d’un éventuel "don" de la part de leurs visiteurs ? Une manière comme une autre de "passer le chapeau" dira-t-on, mais nous ne sommes plus au temps de Molière. Les créateurs ont aujourd’hui des charges, comme tout le monde, et leur banquier ne se contente pas du produit de la manche pour leur autoriser un découvert en fin de mois.
Il manque juste une nouvelle licence à la gamme de celles proposées par Creative Commons : une licence qui permettrait la rémunération proportionnelle dans le cadre d’une mise à disposition volontaire de la part des artistes.
Auteurs, compositeurs, écrivains, scénaristes, réalisateurs, créateurs de toutes disciplines artistiques, unissons-nous !
Nous pouvons faire en sorte que la culture perdure et se partage sans
pour autant y perdre ni notre âme ni nos intérêts. Mais il faut nous organiser
et ne pas laisser les industriels ou les politiques faire à notre place ce que
nous aurions dû entreprendre depuis longtemps.