L’évasion du Duce, septembre 1943 : le coup d’éclat nazi qui sauva Mussolini… pour mieux le condamner

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 23 juin 2025

Sous un ciel d’étain, le 12 septembre 1943, les planeurs allemands glissent silencieusement vers le Campo Imperatore, un plateau perdu dans les cimes des Abruzzes. Benito Mussolini, le Duce déchu, attend dans un hôtel perché à 2 130 mètres, prisonnier de son propre peuple. L’opération Eiche, audacieuse et désespérée, orchestrée par Adolf Hitler, va arracher l’ancien maître de l’Italie à ses geôliers italiens. Mais ce sauvetage spectaculaire n’est qu’un sursis : il prolonge l’agonie d’un homme et d’un régime déjà à l’agonie.

 

La chute du Duce : un empire en ruines

En juillet 1943, l’Italie fasciste vacille. Les Alliés, après avoir conquis la Sicile, bombardent Rome et le front intérieur s’effrite sous le poids des défaites et des privations. Benito Mussolini, autrefois adulé comme "Il Duce", incarnation du renouveau italien, est désormais un homme usé, rongé par la maladie et l’incertitude. Depuis 1922, il a occupé les fonctions de président du Conseil, puis, après 1925, celles de dictateur absolu, cumulant les titres de chef du gouvernement, ministre des Affaires étrangères, de l’Intérieur et même premier maréchal d’Empire à partir de 1938. Son régime, bâti sur une rhétorique de grandeur romaine, s’est enlisé dans une guerre désastreuse aux côtés de l’Allemagne nazie. Le 24 juillet 1943, le Grand Conseil du fascisme, réuni au Palazzo Venezia, vote une motion de défiance contre lui. Dino Grandi, l’un des conjurés, rapporte dans ses mémoires : "Le Duce était fini, il le savait. Il parlait comme un homme qui attend la potence, sans force pour se défendre".

 

 

Le lendemain, le roi Victor-Emmanuel III, lors d'un entretien particulièrement glacial, accepte la "démission" de Mussolini et le fait arrêter à la sortie du palais. Conduit dans une caserne de carabiniers, puis transféré à Ponza, à La Maddalena et enfin au Gran Sasso, Mussolini devient un pion dans un jeu qui le dépasse. L’Italie, divisée, bascule dans le chaos. L’armistice de Cassibile, signé le 8 septembre 1943, précipite l’occupation allemande du nord et du centre du pays. Un soldat italien, le lieutenant sicilien Bono, note dans son journal : "La chute de Mussolini fut une délivrance, mais l’invasion du sol italien nous plongeait dans l’angoisse. La joie était empoisonnée".

 

 

L’opération Eiche (Chêne) naît de l’obsession d’Hitler : garder l’Italie dans l’Axe. Le Führer, refusant de perdre son allié, ordonne à ses forces spéciales de localiser et libérer Mussolini. Les services de renseignement allemands, interceptant des rapports codés italiens, finissent par repérer le Duce au Campo Imperatore, un hôtel isolé accessible uniquement par téléphérique. L’opération, confiée au major Harald Mors et au capitaine SS Otto Skorzeny, est un pari risqué : un assaut aérien sur un terrain hostile, à plus de 2 000 mètres d’altitude. Selon une note d’archive allemande, Skorzeny écrit à son supérieur : "La mission est folle mais le Führer y tient. Nous n’avons pas le droit d’échouer".

 

 

L’opération Eiche : un raid dans les cimes

Le 12 septembre 1943, sous un ciel voilé, dix planeurs DFS 230 s’élancent depuis l’aérodrome de Pratica di Mare, près de Rome. À bord, des parachutistes du "1er bataillon du 7e régiment des Fallschirmjäger" et des commandos SS du SS-Sonder Lehrgang Oranienburg. Le major Harald Mors, un officier discret aux origines suisses, planifie l’opération avec une précision d’horloger, tandis qu’Otto Skorzeny, ambitieux et charismatique, s’attribue le rôle de figure de proue. Les planeurs, secoués par les vents, visent un alpage près de l’hôtel Campo Imperatore, un plateau rocailleux cerné de pics abrupts. Un rapport de reconnaissance de la Luftwaffe, daté du 10 septembre, décrit le site : "Un terrain traître, trop étroit pour un atterrissage sûr. Les planeurs risquent de s’écraser contre les falaises".

 

 

Huit des dix planeurs atterrissent, non sans mal. L’un d’eux s’écrase, blessant plusieurs hommes. Les carabiniers italiens, totalement dépassés, n’opposent aucune résistance. Skorzeny, selon son propre récit, fait irruption dans l’hôtel, trouve Mussolini dans une chambre spartiate et lui lance : "Duce, le Führer m’envoie pour vous sauver !". Mussolini, amaigri, vêtu d’un costume sombre, répond laconiquement : "Je savais que mon ami Adolf ne m’abandonnerait pas". L’exfiltration est un défi : un petit avion Fieseler Storch, piloté par le capitaine Gerlach, atterrit sur une piste de fortune. L’appareil, surchargé avec Mussolini et Skorzeny à bord, frôle la catastrophe en heurtant un rocher au décollage, mais Gerlach, par un miracle d’adresse, redresse l’avion. Un télégramme allemand, intercepté par les Alliés, annonce le succès : "Le Duce est libre. Destination : Vienne".

 

 

La propagande nazie transforme l’opération en épopée. Skorzeny, promu commandant SS et décoré par le Führer en personne, est célébré comme le "libérateur du Duce", éclipsant le rôle de Mors et des Fallschirmjäger. Pourtant, un rapport interne du bataillon Mors, rarement cité, nuance l’héroïsme : "L’opération a réussi par chance autant que par audace. Les Italiens n’ont pas tiré un coup de feu". Cette absence de résistance, peut-être due à la démoralisation des gardiens, reste un mystère. Une anecdote prétend que Mussolini, en montant dans l’avion, murmura à Skorzeny : "C’est la fin d’un cauchemar mais le début d’un autre".

 

 

La République de Salò : un sursis illusoire

Libéré, Mussolini est conduit à Vienne, puis à la "Tanière du Loup", le quartier général d’Hitler en Prusse orientale. Le 14 septembre, les deux dictateurs se rencontrent. Mussolini, affaibli, propose de se retirer, arguant qu’un départ éviterait une guerre civile. Hitler, intraitable, le somme de reprendre les rênes d’un État fantoche. Dans une lettre à sa femme Rachele, Mussolini confie : "Je suis un otage, pas un chef. Les Allemands me tiennent et je ne puis leur échapper". Le 23 septembre 1943, la République sociale italienne (RSI), dite République de Salò, est proclamée dans le nord de l’Italie, sous contrôle allemand. Mussolini, réinstallé comme "Duce" de cet État fantoche, n’est plus qu’une marionnette.

 

 

La RSI, basée à Salò sur le lac de Garde, est un simulacre de pouvoir. Les Allemands occupent le territoire, réquisitionnent les ressources et placent les unités italiennes sous commandement nazi. Mussolini tente de ranimer la flamme fasciste mais la population, exsangue, se détourne. Un tract clandestin, diffusé par des partisans en août 1943, résume l’humeur populaire : "Soldats italiens, Mussolini vous a trahis. Rejoignez le maquis ou rentrez chez vous. La guerre est finie pour nous". La guerre civile s’intensifie, opposant les milices fascistes, épaulées par la Gestapo, aux partisans antifascistes du Comité de libération nationale (CLNAI). À Milan, les rues empestent la peur : les exécutions sommaires, les dénonciations et les bombardements alliés rythment le quotidien.

 

 

Mussolini, isolé, s’enferme dans une routine de discours creux et de vengeances mesquines. En janvier 1944, il fait exécuter cinq membres du Grand Conseil, dont son gendre ; le comte Galeazzo Ciano, pour leur rôle dans sa chute. Un témoin du procès de Vérone rapporte les derniers mots de Ciano : "Le Duce signe ma mort, mais c’est lui qui est déjà mort". La RSI, minée par les désertions et l’avance alliée, s’effondre peu à peu. Mussolini, conscient de l’inéluctable, écrit dans son journal en mars 1945 : "L’Italie m’a abandonné. Je ne suis plus qu’un fantôme".

 

 

La fin tragique : de Salò à la Piazzale Loreto

En avril 1945, les Alliés percent les dernières défenses allemandes dans le nord de l’Italie. Le CLNAI proclame un soulèvement général, prenant le contrôle de Milan et d’autres villes. Mussolini, acculé, fuit vers le lac de Côme, espérant atteindre la Suisse ou un hypothétique réduit alpin dans la Valteline. Déguisé en aviateur allemand, il rejoint un convoi nazi, accompagné de sa maîtresse Clara Petacci. Le 27 avril, près de Dongo, des partisans le reconnaissent. Capturé, il est conduit à la mairie locale. Le débat sur son sort est bref : le CLNAI ordonne son exécution. Le 28 avril, le colonel Valerio (Walter Audisio) fusille Mussolini et Petacci à Giulino di Mezzegra. Un rapport partisan, rarement publié, décrit la scène : "Le Duce, immobile, fixait ses bourreaux. Pas un mot, pas un cri. Petacci s’effondra en pleurant".

Le lendemain, les corps de Mussolini, Petacci et d’autres dignitaires fascistes sont exposés sur la Piazzale Loreto à Milan, là où, un an plus tôt, des partisans avaient été exécutés. La foule, enragée, profane les dépouilles, les frappant, leur crachant dessus, dans une orgie de vengeance. Un témoin anonyme, dans une lettre au CLNAI, écrit : "C’était comme si toute l’Italie voulait effacer vingt ans de honte en piétinant son cadavre". Cette scène macabre, selon une légende populaire, aurait été orchestrée pour "tuer le mythe du Duce". Pourtant, des zones d’ombre persistent : certains témoignages suggèrent que des agents britanniques, craignant la révélation d’une correspondance secrète entre Mussolini et Churchill, auraient influencé l’exécution rapide.

 

 

La mort de Mussolini marque la fin du fascisme comme force politique mais son ombre persiste toujours. À Predappio, sa tombe devient un lieu de pèlerinage pour les nostalgiques, qui murmurent encore, selon le slogan du Mouvement social italien : "Mussolini Sempre Immortale". Le raid du Gran Sasso, audacieux et spectaculaire, n’aura été qu’un sursis, prolongeant de deux ans l’agonie d’un homme et d’un régime condamnés par l’histoire.

 


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