Cléopas, le Christ oublié des Eduens

par Emile Mourey
mercredi 28 novembre 2007

Ancien petit bourg fortifié, Gourdon se dresse sur une haute colline, au pied de Mont-Saint-Vincent où, dans des articles précédents, j’ai proposé d’y voir le véritable siège de Bibracte. Le site a livré 104 monnaies d’or frappées au temps du roi burgonde Sigismond ainsi qu’un plateau et un calice merveilleusement ouvragés. Mais ce qui en fait un lieu aujourd’hui touristique est son église ancienne avec ses chapiteaux aux sculptures très archaïques et ses fresques récemment restaurées.

En Saône-et-Loire, au pied du Mont-Saint-Vincent, les fresques de Gourdon.

Dans ce que les spécialistes appellent le cul-de-four, un Dieu/père (?) trône tandis que dans une fresque latérale, un Christ/fils (?), lui ressemblant mais en plus jeune, fait l’offrande des prépuces. Comme cela est écrit à côté de sa tête, ce "fils" a pour nom Cleopas. Ce n’est pas un nom inconnu. Epiphane, évêque de Salamine à Chypre, déclare entre 375 et 377 que Jacob, père de Joseph et de Cleopas, était surnommé Panthera (Adv. hæreses 787/P.G. 42, 708 D) et certains vieux textes juifs précisent même que ce Panthera faisait des miracles (cf.[->http://assoc.pagespro-orange.fr/cercle.ernest-renan/Celse.htm]). Ce Cléopas pourrait donc être une espérance de messie, et peut-être même un concurrent à Jésus de Nazareth. Cela n’aurait rien d’étonnant. Flavius Josèphe évoque plusieurs fois les foules qui se laissaient entraîner derrière de prétendus prophètes et l’évangile de Mathieu n’a pas manqué de mettre en garde les fidèles contre les faux messies (Mt 24, 24).

Jusqu’à ce jour, on a identifié cette scène à celle de l’évangile de Luc où, en rompant le pain, Jésus de Nazareth se révèle sur le chemin d’Emmaüs, à deux disciples dont un nommé Cléophas (Lc 24, 13-33). Or la scène ici représentée ne correspond absolument pas à une consécration du pain suivant la tradition évangélique et les plis des deux prépuces sont suffisamment bien dessinés pour qu’il n’y ait aucun doute sur l’objet. Il s’agit donc bien d’une offrande de prépuces conformément à la tradition juive et à l’opposé de la tradition chrétienne. Les Actes des Apôtres nous disent en effet que les convertis des nations ont été dispensés de la circoncision (Ac 15, 1-35). En outre, la position du mot Cleopas de la fresque montre bien qu’il faut l’appliquer au personnage central et non au catéchumène qui se trouve à sa gauche. Il ne s’agit donc pas de Jésus de Nazareth.

De l’origine des Eduens, peuple gaulois implanté jadis en Bourgogne.

Cela étant dit, il nous faut maintenant tenter de retrouver le fil logique de l’Histoire. Nous rapprochons étymologiquement les mots "Eduens" et "Iduméens". Nous les faisons dériver tous deux du même mot "Edom" (Edom est le fils d’Esaü, Gn 36, 43). Nous en déduisons que les Eduens sont des Iduméens du sud de la Palestine venus s’installer en colonie à Gourdon quelques siècles avant J.-C. Ces Eduens ont conservé des liens avec leur pays d’origine, notamment des liens de culture dans la tradition de la descendance d’Esaü, fils d’Isaac, frère de Jacob. Ceci explique que les fresques de Gourdon réalisées par ces Eduens/Iduméens, ou par leurs descendants, soient judaïques car l’on sait que ces fils d’Esaü ont été reconvertis par les Juifs de Jérusalem - lignée de Jacob/Israël - à la nouvelle doctrine.

La proximité de l’Egypte et de l’Idumée nous amène à prendre en considération l’importante et dynamique communauté juive d’Alexandrie. Cleopas - mot dérivé de Cléopâtre - pourrait donc être une espérance de messie née dans cette communauté et reprise par les Eduens/Iduméens de Gourdon.

Cela nous amène également à nous interroger sur Hérode et sur son père iduméen Antipater. Etonnant cet Hérode le Grand, maître de Nazareth, qui, au début de son règne, est présenté, lui aussi, comme un messie par ses disciples hérodiens. Etonnant, le fait que deux Hérode de sa descendance aient choisi de venir s’exiler en Gaule, dont un à Lyon sous protection éduenne. Etonnante, cette amitié entre Antipater et César, comme si ce dernier avait puisé dans ce peuple iduméen/éduen des combattants pour conquérir et la Gaule et le pays des Juifs (cf. Flavius Josèphe).

Importante et logique conclusion, les plus anciennes fresques de nos églises romanes pourraient donc s’inscrire dans la lignée culturelle de ce Cléopas de Gourdon et du Jésus guerrier de l’Apocalypse beaucoup plus que dans celle du Jésus pacifique des textes évangéliques et que ce n’est qu’avec le temps que ce dernier s’est imposé dans les discussions des conciles. Notons en passant que l’évocation de Cléopas dans les évangiles fait penser à une tentative de récupération (sa mère est au pied de la croix de Jésus de Nazareth (Jn 19, 25) et sur le chemin d’Emmaüs, Luc lui ouvre les yeux pour qu’il reconnaisse le vrai messie).

Il ne faut pas croire que le christianisme des évangiles s’est imposé en Gaule aussi rapidement qu’on se l’imagine.

Il m’est même arrivé une fois de relever dans une charte du Moyen Âge un étonnant lapsus où le rédacteur évoquait la déesse au lieu de la Vierge Marie. Au Ve siècle après J.-C., le druidisme était encore bien vivant en Gaule. La preuve se trouve dans une prescription du concile d’Arles : « Si sur le territoire d’un évêque, des infidèles allument des torches ou vénèrent des arbres, des fontaines ou des pierres et que l’évêque néglige d’extirper ces superstitions, qu’il sache bien qu’il est coupable. Quant à l’organisateur de ces pratiques, si, averti, il ne veut pas se corriger, qu’il soit privé de la communion. » (F. Niel, La civilisation des Mégalithes).

C’est un étonnant moment de notre Histoire que nous révèlent les fresques de Gourdon. On y voit la baleine de Jonas qui rappelle le long voyage en bateau des juifs émigrés, puis leur débarquement sur la terre promise des bords de Saône. On y voit l’espérance dans le retour messianique d’un David jouant de la harpe qui sort de son tombeau, ainsi que la mule de ce roi gravissant la pente de la ville élue pour aller y chercher le nouvel oint du Seigneur (voir aussi [->http://www.art-roman.net/gourdon/gourdon.htm]).


On y voit enfin un messie guerrier descendre du ciel entre l’ange Gabriel et Marie.

Car il s’agit bien ici d’un messie guerrier. Son armure est très bien représentée. La partie restante de l’aile indique qu’il descend du ciel. Il porte en bandoulière le carquois d’Apollon (on le distingue mal sur la photo) et une banderole l’accompagne sur laquelle sont inscrits les mots prophétiques "Ave Maria, je te salue, Marie"(idem). Malheureusement, si vous vous rendez sur place pour admirez cette fresque unique et admirable, vous n’y trouverez plus le messie guerrier ; les restaurateurs l’ont effacé.

A la demande du comité de rédaction, voici quelques précisions.

Conformément à son souhait, j’ai profondément remanié l’article que j’ai proposé le 7 juin. Dans cette nouvelle version, je me limite à exposer des faits, en l’occurrence des photos. En m’appuyant sur ces faits, je donne des explications dont le lecteur peut vérifier l’exactitude et des hypothèses dont il peut juger de la logique. Enfin, en résumant au maximum mon développement, en ne proposant pas de datation et en laissant ce texte sans conclusion, je laisse le lecteur libre d’en tirer les enseignements qui lui conviennent.

Les photos sont de l’auteur.


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