Qui étaient les Hyperboréens ?
par Michel Lebarillec
samedi 8 février 2025
Extrait d'un prochain ouvrage en cours d'écriture.
Parmi les iles mythiques citées dans les textes antiques, les plus célèbres sont certainement l'Atlantide, Hyperborée, Thulé et Ultima Thulé. Il n’est pas aisé d'identifier précisément ces terres, si tentées qu'elles aient une existence réelle, car les textes sont confus et souvent contradictoires. Il est possible aussi que les connaissances de l'époque étant parcellaires, les auteurs aient mélangés ces différences terres, voire même que la définition ne soit pas la même selon le pays ou l'époque de l'auteur et donc qu'un même mot ne désignait pas toujours le même endroit d'un texte à l'autre. Sans oublier que plusieurs de ces mythes ont été en plus repris et déformés par certaines idéologies.
Malgré toutes ces difficultés, tentons d'apporter ici un éclairage sur le mystérieux peuple des hyperboréens, terme qui provient du grec hyperborée et signifie "par-delà les souffles du froid Borée". On racontait qu'il s'agit d'un pays merveilleux au Nord, où les habitants vivent heureux jusqu'à des âges avancées et qu'Apollon y passait l'hiver.
Dans la liste les auteurs antiques ayant fait mention de cette contrée mythique, on peut citer Hérodote, Pindare ou encore Pline l'ancien. Si l'on en croit Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperboréens) :
Les premières mentions des Hyperboréens se trouvent au VIIIe siècle av. J.-C. dans Les Épigones et chez Hésiode.
Mais l'auteur qui donne le plus d'informations factuelles est certainement Diodore de Sicile, un historien d'origine grecque vivant à Rome au premier siècle avant JC (Bibliothèque historique , XLVII) :
Maintenant, pour notre part, comme nous avons fait mention des régions de l'Asie qui sont au nord, nous croyons qu'il n'est pas hors de propos de discuter de la légende des Hyperboréens. Selon ceux qui ont écrit sur les anciens mythes, Hécatée et certains autres disent que dans les régions situées au delà des Celtes, il y a dans l'Océan une île pas plus grande que la Sicile. Cette île, continue le récit, est située au nord, et est habitée par les Hyperboréens, qui sont appelés par ce nom car leur domicile est l'endroit d'où souffle le vent du nord ; et l'île est à la fois fertile et productrice de toute culture, et s'il arrive que le climat soit tempéré, elle produit deux récoltes chaque année. Mieux encore, la légende suivante est racontée, la concernant : Leto est née sur cette île, et c'est pour cette raison qu'Apollon est honoré par eux plus que les autres dieux ; et les habitants sont considérés comme des prêtres d'Apollon, d'après l'habitude qu'ils ont de prier le dieu chaque jour, continuellement et en chanson, et de l'honorer avec excès. Et il y a aussi sur l'île à la fois une magnifique enceinte consacrée à Apollon et un remarquable temple qui est orné de nombreuses offrandes votives et qui est de forme sphérique. De plus, il y a une ville qui est consacrée au dieu, et dont la majorité des habitants sont des joueurs de cithare ; et ceux-ci jouent continuellement de leur instrument dans le temple et chantent des hymnes de louange au dieu, glorifiant ses actes.
L'auteur précise aussi ce qu'il entend par Celtes :
XXXII. Il est bon de définir ici un point ignoré de beaucoup de personnes. On appelle Celtes les peuples qui habitent au-dessus de Marseille, dans l'intérieur du pays, près des Alpes et en deçà des monts Pyrénées. Ceux qui sont établis au-dessus de la Celtique jusqu'aux parties méridionales de cette région, et qui habitent, le long de l'Océan et la forêt Hercynienne, toutes les contrées qui s'étendent de là jusqu'à la Scythie, sont appelés Gaulois (Galates). Cependant les Romains, comprenant tous ces peuples sous une dénomination commune, les appellent tous Gaulois.
A noter que la forêt Hercynienne était une très grand forêt antique située au nord de l'empire romain dont la forêt noire en Allemagne pourrait être un des vestiges.
Nous retiendrons donc que selon Diodore de Sicile :
1) il s'agit d'une ile de l'océan Atlantique située au nord de la Gaule, pas plus grande que la Sicile
2) elle est fertile et productrice de toute culture et que le climat y est tempéré
3) il y a aussi sur l'île à la fois une magnifique enceinte consacrée à Apollon et un remarquable temple qui est orné de nombreuses offrandes votives et qui est de forme sphérique
4) de nombreux habitants jouent de la cithare
5) Leto, la mère d'Apollon serait née sur l'île
En tant qu'iles de l'Atlantique, seules l'Angleterre, l'Irlande et l'Islande pourraient donc prétendre au titre d'Hyperborée mêmes si elles sont toutes les trois plus grandes que la Sicile. On peut bien sûr retirer l'Angleterre de la liste car elle était bien connue du temps de Diodore : Jules César, contemporain de l'auteur y avait débarqué en 55 avant JC pour tenter de conquérir l'ile. Et au vu du deuxième critère de fertilité, on peut aussi éliminer l'Islande, une ile volcanique qui tient son nom de Ice land, la terre de glaces.
Il ne reste donc que l'Irlande, la plus petite des trois iles. Elle représente environ deux fois la taille de la Sicile mais on peut imaginer aisément la difficulté d'évaluer à l'époque la taille exacte d'une terre que peu de témoins ont pu observer. Mais il nous faut d'abord valider que l'Irlande n'était pas connue à l'époque de Diodore de Sicile et l'information est aisément vérifiable dans Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hibernia) :
Avant notre ère, Grecs et Romains n'ont que peu de connaissance sur l'Irlande. La plus ancienne trace écrite connue de l'Irlande remonte sous le nom de Herniorum au Ve siècle ou au IVe siècle apr. J.-C. dans les écrits du poète latin Avienus (« Cette île élève au milieu de l'eau sa vaste surface : la nation hibernienne l'habite sur une grande étendue » qui s'inspire d'une vaste compilation d'écrits plus anciens aujourd'hui disparus).
Il faut donc passer en revue les autres caractéristiques citées par Diodore et vérifier que l'Irlande corresponde bien à la description.
Concernant la production de culture, il semble que ce soit le cas même longtemps avant l'auteur antique, comme en atteste un autre article de Wikipédia consacré à la préhistoire de l'Irlande (https://fr.wikipedia.org/wiki/Préhistoire_de_l'Irlande) :
Aux Céide Fields, dans le comté de Mayo, un vaste système de champs du Néolithique, sans doute un des plus anciens qui nous soient parvenus, a été trouvé, préservé sous une épaisse couche de tourbe. Ce système consiste en un ensemble de petits champs séparés les uns des autres par des murets en pierres sèches. Les Céide Field ont été exploités pendant de nombreux siècles, entre 3500 et 3000 av. J.-C. Les principales cultures étaient le blé et l’orge.
Pour le temple dédié à Apollon, tout d'abord, nous interprétons la mention "à la fois" comme une indication qu'il existe un seul et même lieu sur l'ile qui remplisse l'ensemble des caractéristiques. Rappelons aussi qu'Apollon est une divinité solaire et que c'est la lumière du soleil qui était adorée, plus que l'astre en lui même. En Irlande, son alter ego est Lug et l’historien Bernard Sergent a dressé la longue liste de leurs points communs dans son ouvrage le livre des dieux.
Il nous faut donc trouver une enceinte sphérique consacrée au culte solaire et ornée de nombreuses offrandes votives. Il est assez facile de découvrir l'endroit dont il est question ici car la description correspond trait pour trait à l'ensemble mégalithique de Newgrange (cf image II). On peut consulter toutes les informations probantes sur le site en langue anglaise dédié à l'endroit (https://www.newgrange.com) dont sont tirés les extraits suivants traduits en français :
Les archéologues ont classé Newgrange comme un tombeau à couloir, mais Newgrange est désormais reconnu comme étant bien plus qu'un tombeau à couloir. Temple antique est une classification plus appropriée, un lieu d'importance astrologique, spirituelle, religieuse et cérémonielle, tout comme les cathédrales actuelles sont des lieux de prestige et de culte où les dignitaires peuvent être enterrés.
D'autre part, il est orné de ce qu'ont peut considérer comme des pierres votives (cf image III) :
Newgrange est un grand tumulus en forme de rein couvrant une superficie de plus d'un acre, retenu à la base par 97 pierres de bordure, dont certaines sont richement décorées d'art mégalithique.
Et pour ceux qui douteraient qu'il s'agissait d'un temple solaire :
Newgrange est surtout connu pour l'illumination de son passage et de sa chambre par le soleil du solstice d'hiver. Au-dessus de l'entrée du passage de Newgrange se trouve une ouverture appelée « boîte de toit ». Cet orifice déconcertant a réservé une grande surprise à ceux qui l'ont déterré. Son but est de permettre à la lumière du soleil de pénétrer dans la chambre pendant les jours les plus courts de l'année, autour du 21 décembre, le solstice d'hiver. À l'aube, du 19 au 23 décembre, un étroit faisceau de lumière pénètre dans la boîte de toit et atteint le sol de la chambre, s'étendant progressivement vers l'arrière de la chambre.
À mesure que le soleil monte plus haut, le faisceau s'élargit à l'intérieur de la chambre de sorte que toute la pièce est illuminée de manière spectaculaire. Cet événement dure 17 minutes, à partir de 9 heures du matin environ. La précision de Newgrange en tant qu'appareil de mesure du temps est remarquable si l'on considère qu'il a été construit 500 ans avant les grandes pyramides et plus de 1 000 ans avant Stonehenge.
On comprendra que la construction d'un tel monument 1000 ans avant Stonehenge ait pu frapper l'imagination des populations antiques et ainsi apporter une aura de mystère aux Hyperboréens !
Mais la période de l'année à laquelle le phénomène lumineux se produit, à savoir le solstice d'hiver, constitue un élément tout aussi important. Imaginons donc un adorateur d'Apollon, le jour où la nuit est la plus longue de l'année et où on fête le retour de la lumière, qui assiste éberlué à un évènement où les rayons du soleil viennent illuminer le temple de façon quasi irréelle. On peut comprendre qu'à ses yeux et selon les légendes qui nous sont parvenues, c'est bien chez les Hyperboréens qu'Apollon se réfugie l'hiver !
Il n'est pas non plus très difficile de comprendre pourquoi il est fait mention d'habitants qui jouent de la cithare : en effet, sur les armoiries de l'Irlande figure une harpe (cf image IV). Car qu'il s'agisse d'une cithare ou d'une lyre, les instruments de musique préférés d'Apollon et de Lug, ils sont très voisins de la harpe et peuvent être aisément confondus par le commun des mortels.
Et la tradition des bardes celtes qui suivaient les personnalités importantes en chantant leurs louanges peut faire penser à ce que rapporte Diodore :
les habitants sont considérés comme des prêtres d'Apollon, d'après l'habitude qu'ils ont de prier le dieu chaque jour, continuellement et en chanson, et de l'honorer avec excès.
Dernier point, il ne nous reste plus qu'à comprendre pourquoi Léto la mère d'Apollon serait originaire de l'ile. Comme nous l'avons vu, la divinité solaire est le dieu Lug et dans la mythologie celtique irlandaise, sa mère adoptive est l'épouse du roi Eochaid Mac Eirc, la reine Tailtiu qui représente l'Irlande, comme l'explique cet article Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fir_Bolg) :
Son épouse est Tailtiu (la terre), fille de Mag Mor, et mère adoptive de Lug, elle est la personnification de l'île.
Donc au contact des hyperboréens, les Grecs ont fini par intégrer dans leurs mythes que Léto, la mère d'Apollon est originaire de l'ile.
Nous voyons donc que tous les points cités par Diodore de Sicile renvoient bien à l'Irlande. Et sachant qu'à l'époque la Bretagne désignait l'Angleterre, nous en avons la confirmation avec Pline au 1er siècle après JC :
Le pays des Hyperboréens se situe à la même hauteur que la Bretagne. Le jour le plus long y dure 17 heures (Hist. Nat. VI-39).
Nous pouvons donc affirmer que pour Diodore de Sicile et ses contemporains, les Hyperboréens avaient vécu en Irlande.
(à suivre).
crédits photos : site newgrange.com, Wikipédia