D’une fistule anale au God Save The King
par Fergus
jeudi 23 janvier 2025
« Oh my God ! What an horrific revelation ! », ne manquent pas de s’exclamer les Britanniques lorsqu’on les informe sur l’origine de leur National anthem dont ils sont si fiers. De là à traiter de « bloody liars », voire de « fucking bastards », les Français qui osent propager ce qu’ils pensent être un méprisable « bullshit », il n’y a qu’un pas. Mais de quoi parle-t-on ? « What’s the matter ? »
« Que l’hymne des Anglais naquît d’un anus, voilà qui ne cesse de me faire rire sans toutefois un instant de me surprendre. » Marquise de Créquy
C’est – inutile de se voiler la fesse – en effet du royal appareil de défécation de Louis XIV qu’il est question. En 1686, la gloire de celui qui, en toute modestie, aime à être nommé Roi-Soleil est au zénith. L’année précédente, au grand dam des huguenots, il a révoqué l’Édit de Nantes et, de ce fait, reconquis dans une population très majoritairement catholique un prestige mis à mal par sa gouvernance va-t-en-guerre et l’évident mépris dont il fait preuve à l’endroit du Tiers-État. Or, voilà qu’une fistule très mal placée vient inopportunément ternir sa royale félicité en lui agaçant le fondement de manière très déplaisante.
Louis XIV s’en trouve d’autant plus meurtri que, le temps passant, il ressent des douleurs de plus en plus vives en posant son royal arrière-train sur un siège. Quant à monter à cheval pour parader en majesté dans le parc du château de Versailles ou se montrer lors des chasses, il ne faut plus y compter : monter en selle est devenu presqu’aussi pénible qu’aller à la selle. À cet égard, l’on imagine sans difficulté les souffrances que ressent le monarque lorsqu’il est contraint d’asseoir son royal séant sur la chaise percée pour expulser ce qu’il ne peut – sauf à risquer une royale mais périlleuse occlusion –, garder in petto corporis.
Malheureusement pour Louis XIV, ses médecins – parmi lesquels officie celui qui deviendra le premier d’entre eux, Guy-Crescent Fagon – se révèlent impuissants à soigner ce mal engendré par ce qu’ils définissent ainsi : « une petite tumeur devers le périnée, à côté du raphé, à deux travers de doigt de l’anus ». Malgré de savantes palpations et de doctes réflexions, rien n’y fait : ni l’administration de moults clystères, ni l’application d’autant de cataplasmes concoctés par les meilleurs herboristes du royaume. Le royal postérieur, décidément affecté d’« une méchante disposition du dedans », est rétif à la guérison !
Le Roi Soleil, dont les rayons persistent à darder d’intenses douleurs dans le royal rectum, connait certes des moments de répit, mais de courte durée et toujours suivis de rechutes caractérisées par le retour de douloureux abcès. C’est alors que le chirurgien du roi, Charles-François Félix, propose au monarque de pratiquer une intervention chirurgicale afin de mettre un terme aux désagréments que lui cause son royal fondement. Le roi accepte, à condition – on n’est jamais trop prudent – que le chirurgien exerce au préalable son art, sans limitation de nombre, sur le postérieur des fistuleux internés dans les hospices et les prisons.
Le plagiat de Haendel
18 novembre 1686 au matin. Dûment entraîné sur 75 cobayes dont nul ne sait ce qu’il est advenu d’eux, et muni d’un écarteur anal et d’un « bistouri à la royale » qu’il a spécialement mis au point, le chirurgien opère – à vif, l’anesthésie n’a pas encore été inventée – le royal arrière-train. Avec succès : le soir même, Louis XIV préside son Conseil d’un derrière guilleret. Exeunt la fistule et les rumeurs de santé subclaquante qui commençaient à courir en Europe. Charles-François Félix en tirera un grand profit pour lui-même*, de même que pour la corporation des chirurgiens de la Confrérie de Saint-Côme relativement à celle des médecins de la Faculté.
Ravie de cette guérison, Madame de Maintenon, surmontant sa répugnance pour le vice italien dont se rend coupable Jean-Baptiste Lully, demande au Florentin de composer une ode afin de louer le Seigneur d’avoir libéré le royal cul de son époux des douleurs qui l’accablaient. Ainsi naît Grand Dieu sauve le Roi (lien musical) dont les paroles sont écrites par Marie de Brinon, la supérieure du tout nouveau pensionnat de la Maison royale de Saint-Louis destiné à l’éducation des filles de la noblesse pauvre. Du côté de Louis XIV, tout va bien : remis de ses souffrances, il supervise avec un intérêt sadique la recrudescence des dragonnades.
Or, voilà qu’en 1714 l’Allemand Georg Friedrich Haendel, compositeur officiel à la cour du roi d’Angleterre George 1er, est de passage à Versailles. Il y entend l’ode de Lully et s’empresse d’en noter la musique et les paroles. De retour à Londres, il en soumet sans vergogne un plagiat pur et simple au monarque, lequel s’enthousiasme pour la majestueuse solennité de ce God Save The King. Désormais joué lors de toutes les cérémonies royales, ce chant devient progressivement l’hymne qui manquait à la Couronne britannique et qui s’imposera par la suite dans toutes les possessions coloniales puis dans les nations du Commonwealth.
En résumé, voilà un hymne qui a été composé pour un roi français par un musicien italien puis plagié par un compositeur allemand pour honorer un roi anglais. Ce constat fait, le mot de la fin, aussi trivial puisse-t-il paraître, revient au Professeur Jean-Noël Fabiani : « Les Anglais ont, aujourd’hui, sans le savoir, comme hymne national un air qui a été composé pour le cul du roi Louis XIV » ! Une chose est certaine : ce bref opus a bien été composé par Lully, et les paroles écrites par Marie de Brinon. Le rapport avec la royale fistule est-il pleinement avéré ? Pas sûr. Mais le fait est que, véridique ou pas, cette parenté est restée dans les annales.
* Le chirurgien recevra 150 000 livres et sera anobli 4 ans plus tard.
* Co-auteur avec Jean-Noël Fabiani-Salmon et Philippe Bercovici de L’incroyable histoire de la médecine (Éditions Les Arènes, 2018).
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