Démocratie ? Réellement existante ? A quel degré ?
par Jean-Luc Picard-Bachelerie
jeudi 12 septembre 2024
Même si la Constitution ne le spécifie pas précisément, la tradition sous la 5e République aurait dû conduire Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre issu du groupe parlementaire arrivé en tête des élections législatives. Du reste, dans les démocraties voisines qui pratiquent la proportionnelle, c'est comme cela que ça se passe aussi puisque la majorité absolue est rarement atteinte. Au contraire de cela, le Président a voulu endosser la responsabilité qui revient au Premier ministre en recherchant la stabilité. Stabilité qui, ne l'oublions pas, a été rendue instable de son seul fait. Instabilité entretenue par lui seul pendant deux mois, le temps d'envoyer les lettres plafonds qui contraindront le budget de son nouveau Premier ministre. Ira-t-il jusqu'à démissionner si Michel Barnier saute par une motion de censure ? Rien n'est moins sûr. Toujours est-il que la démocratie est dans un piteux état avec un président césariste qui se conduit comme un autocrate, poussant aux limites de la légalité l'instrumentation de la Constitution à son profit personnel. Jupiter est plus que jamais là ! On peut légitimement, dans notre régime présidentiel, se poser la question de l'état de notre démocratie réellement existante ?
Si nous considérons la démocratie ainsi :
1. La démocratie, c’est l’ensemble des membres d’une société (le peuple des citoyens d’une nation, les membres d’une association, etc.) qui a le pouvoir d’organiser sa société et qui en tire sa souveraineté. Rien n’est au-dessus de lui.
2. Son action principale est celle de s’informer, de débattre et de délibérer. Tous les membres de cette société sont égaux dans la recherche de l’information et le droit à l’information, la construction du débat et la décision.
3. Ils organisent collectivement la démocratie par l’intermédiaire de dispositifs qui garantissent l’information fiable, le débat équilibré et la délibération juste.
4. Pour qu’elle soit juste et bonne, cette organisation nécessite et respecte les valeurs d’égalité, de solidarité et de liberté en toutes choses.
5. L’ensemble des membres de la société peut faire appel à des délégués. Mais ces délégués sont constamment sous son contrôle et peuvent être révoqués.
Maintenant, si on compare notre régime de la Ve République à cette définition, pour en dégager la Démocratie réellement existante, cela donne ceci :
1. Le peuple est dominé par ses représentants. Il y a donc les représentants qui sont au-dessus de lui.
2. Si le peuple peut s’informer et débattre, il ne délibère jamais. Il ne décide de rien sinon en s’isolant pour déposer un bulletin dans une enveloppe. Aujourd’hui, en plus du référendum de 2005, nous avons ces dernières élections législatives dont le résultat n’a pas été respecté.
3. Nous ne disposons pas d'un système fiable de l'information qui soutient le débat du peuple. Le débat n’est pas organisé et même quand il y a des dispositifs de débat (Convention Citoyenne pour le Climat et Grand débat), ils ne servent à rien d’autre que la communication de Macron. Quant à la délibération, elle se déroule dans l’entre-soi de l’Assemblée Nationale et si ses choix ne conviennent pas, le président dégaine le 49.3.
4. La France est un pays de plus en plus inégalitaire (Oxfam), les opposants sont accusés d’être des terroristes, ceux qui aident les migrants sont poursuivis, etc.
5. Nos représentants peuvent faire le contraire de ce qu’ils ont promis sans que nous puissions les révoquer. Le président est irresponsable et ne peut pas faire l’objet d’une motion de censure.
Analyse synthétique certes, mais éloquante. Degré de la démocratie en France ? Chacun peut se faire juge.
L'élection en régime représentatif n'est qu'un transfert de la souveraineté du peuple à ses représentants qu'il ne peut contrôler ni révoquer. Le représentant peut ainsi faire tout le contraire de ce qu'il a promis (ce qui n'est pas rare) sans que son mandat puisse être remis en cause. Rappelons que le seul endroit où le peuple est réellement souverain et donc qu'il délibère et décide vraiment en France, c'est au sein du jury d'assises... mais juste pour les assises et nulle par ailleurs.
« De même que la forme capitaliste de l’économie n’a pas besoin de citoyen mais de travailleur-consommateur, la forme représentative de la démocratie n’en a pas davantage besoin : l’électeur lui suffit. La révision constitutionnelle qui s’impose au sortir de cette séquence politique doit avoir pour objet premier de faire entrer le citoyen dans la sphère de production des lois et des politiques publiques. » (Dominique Rousseau)